Romain GARY, La promesse de l’aube

Paru chez Gallimard en 1960, édition définitive 1980

Lu dans l’édition folio de mai 2016

Il arrive quelquefois de lire un chef d’œuvre, mais ce n’est pas bien souvent, alors il faut le savourer puis le méditer… comme la promesse de l’aube !

C’est un roman dense et formidable que ce soit pour le style, l’histoire et les idées et en plus l’humour et la dérision sont là à chaque page. Quel choc de lire, enfin, « La promesse de l’aube ». Quel beau titre et quel chef d’œuvre ! J’avais été attiré par la couverture à l’étalage d’un bouquiniste. Mes choix de lecture sont souvent affaire de rencontre…

En me documentant sur Gary, j’ai appris que beaucoup considèrent ce livre comme un des plus grands essais autobiographiques du vingtième siècle, place qu’il n’occupe pas vraiment selon moi. Romain Gary a-t-il payé d’être trop libre dans son style qui varie constamment, léger, tragique, poétique, classique ou négligé et même quelquefois répétitif ? C’est un insoumis, et ça les puissants n’aiment pas trop, lui qui défend les faibles, veut féminiser le monde, défendre la nature et la cause animale. Des thèmes qui devraient le ramener au tout premier plan qu’il mérite ou au moins ne pas le rejeter dans l’oubli ? Le film tiré cette année de cette œuvre redonne de la visibilité à ce grand auteur de la « communauté humaine » dont il se réclamait, ce que vient confirmer la parution récente dans la prestigieuse collection de La Pléiade, en mai 2019 (et tardive, François Mauriac a été intégré à la collection dès 1978…) des œuvres complètes de Romain Gary !

On a dans la première partie le formidable récit d’une enfance d’errance et de pauvreté, de la Russie à la Pologne puis à cette France fantasmée par sa mère. Ensuite dans la deuxième partie, le récit de la formation d’un jeune homme qui doit coûte que coûte réussir et qui réussira même au-delà des plans extravagants échafaudés par sa mère, comédienne de deuxième ordre qui a tout misé sur son fils. Enfin dans la troisième partie, l’héroïsme tenu à distance pendant son engagement comme pilote de guerre au service de la France libre de De Gaulle.

On sent que « La promesse de l’aube » a été écrite d’une traite, dans l’urgence de se soulager de ces objectifs invraisemblables assignés par sa mère puis repris totalement à son compte et aussi de tous les aviateurs morts pendant les opérations de guerre, qu’il évoque plusieurs fois dans la dernière partie.

Sa mère Nina est une francophile absolue pour qui la France est mythifiée, elle va faire de Romain un patriote fervent et un de nos plus grands écrivains français même s’il se considérait citoyen du monde ce qui se comprend au vu de son parcours.

« Chère Méditerranée ! Que ta sagesse latine, si douce à la vie, me fut donc clémente et amicale, et avec indulgence ton vieux regard amusé s’est posé sur mon front d’adolescent ! Je reviens toujours à ton bord, avec les barques qui ramènent le couchant dans leurs filets. J’ai été heureux sur ces galets. » Les barques qui ramènent le couchant dans leurs filets… C’est magnifique !

Les femmes prennent une énorme place dans ce roman, c’est un véritable hymne d’amour à la féminité, une mystique qui le portera dans ses interviews à demander la féminisation du monde (pour lui symbole de tendresse, de protection du vivant) contre l’éloge de la virilité, de la violence et du machisme. Il se révolte constamment contre les souffrances endurées par sa mère, élevant seule Romain, contrainte à l’exil, pour se sortir de la misère.

« Je commençai aussi à m’intéresser enfin aux problèmes sociaux et à vouloir un monde où les femmes seules n’auraient plus à porter leurs enfants sur le dos. »

Dans ce livre, l’humour et l’autodérision sont constants, il en joue et il faut savoir lire souvent au second degré. Il y a un refus de tout esprit solennel, surtout quand il parle de la mort, peut-être une façon de se protéger chez un homme qu’on sent sensible et torturé ?

« Mais enfin, la véritable tragédie de Faust, ce n’est pas qu’il ait vendu son âme au diable. La véritable tragédie, c’est qu’il n’y a pas de diable pour vous acheter votre âme. »

Ses dieux à lui sont très drôles. Il y a Totoche, le dieu de la bêtise, avec son derrière rouge de singe, sa tête d’intellectuel primaire, son amour éperdu des abstractions, Merzavka, le dieu des vérités absolues, Filoche, le dieu de la petitesse, des préjugés, du mépris, de la haine, et d’autres dieux plus mystérieux et plus louches…

Un thème important du livre est la compassion pour les humbles et l’amour pour l’humanité dans sa faiblesse, lui qui voulait dégager une impression de force et de courage et qui a échappé à la mort à de multiples reprises.

Voici un épisode qui m’a particulièrement marqué car je le trouve emblématique de Gary. Dans la première partie où il raconte son enfance à Wilno, un homme âgé, discret, effacé, lui offre des friandises. Celui-ci, sachant que sa mère le destinait à une brillante carrière (et bien hypothétique à l’époque !) de diplomate de France, lui demande, quand il sera devenu ambassadeur de France, de dire aux grands de ce monde « au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny » . Ce qu’il réussira à faire à la fin de la guerre , alors que ce pauvre M. Pieknielny aura disparu dans les camps d’extermination nazis, lorsque la Reine Elizabeth passant en revue son escadrille en Angleterre lui adressera la parole pour lui demander de quelle région de France il venait… Il dit avoir répondu « Au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain Piekielny… » et la reine de passer en revue le suivant… Il aura l’occasion de réitérer sa promesse quand il sera effectivement amené à côtoyer les grands de ce monde « Des estrades de l’ONU à l’ambassade de Londres, du palais Fédéral de Berne à l’Elysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts dignitaires et les bâtisseurs pour mille ans, je n’ai jamais manqué de mentionner l’existence du petit homme et j’ai même eu la joie de pouvoir annoncer plus d’une fois, sur les vastes réseaux de la télévision américaine, devant des dizaines de millions de spectateurs, qu’au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain Piekielny, Dieu ait son âme. » Très drôle et gonflé s’il l’a réellement fait mais avec Gary tout est possible, vraiment.

Sa compassion pour les faibles va jusqu’à parler de la cause animale qu’il défend avec conviction :

 « Je continue à me voir dans toutes les créatures vivantes et maltraitées et je suis devenu entièrement inapte aux combats fratricides. »

« J’ai été assez malade, après la guerre, parce que je ne pouvais marcher sur une fourmi ou voir un hanneton dans l’eau, et finalement, j’ai écrit tout un gros livre pour réclamer que l’homme prenne la protection de la nature dans ses propres mains. Je ne sais pas ce que je vois au juste dans les yeux des bêtes, mais leur regard a une sorte d’interpellation muette, d’incompréhension, de question, qui me rappelle quelque chose et me bouleverse complètement. Je n’ai d’ailleurs pas de bêtes chez moi, parce que je m’attache très facilement et, tout compte fait, je préfère m’attacher à l’Océan, qui ne meurt pas vite. »

Ne rien lâcher jusqu’au bout, un livre sur la volonté inflexible quant à la réalisation des objectifs fixés par sa mère et par lui même (et aussi pour équilibrer la balance du destin) et qui sont fixés à l’homme en général, tout en ayant une conscience absolue de la contradiction de l’humain dans sa grandeur et sa petitesse dues à sa condition :

 « On peut me voir souvent ôter ma veste et me jeter soudain sur le tapis, me plier, me déplier et me replier, me tordre et me rouler, mais mon corps tient bon et je ne parviens pas à m’en dépêtrer, à repousser mes murs. »

Romain Gary (1914-1980) est l’auteur de quelques 30 livres en 36 ans, de 6 livres sous pseudonyme et de 6 en anglais. Une sacrée performance lui qui a grandi en parlant russe, puis polonais, puis a appris et écrit en français et a même écrit 6 livres en anglais. Lui l’enfant pauvre de Wilno (Vilnius, capitale de la Lituanie actuellement) est devenu officier de l’aviation, compagnon de la libération, ambassadeur de France, consul général de France à Los Angelès…

Je connaissais et avais apprécié « La vie devant soi » d’Emile Ajar avec lequel Romain Gary, usant d’un pseudonyme, avait obtenu son deuxième prix Goncourt en 1975 (c’est le seul écrivain à avoir cumulé deux prix Goncourt !). Il avait eu son premier Goncourt pour « Les racines du ciel » en 1956.

Notes avis bibliofeel septembre 2019, Romain Gary, La promesse de l’aube

10 commentaires sur “Romain GARY, La promesse de l’aube

    1. Oui, et renforcé encore au retour du festival de Savennieres à côté d’Angers, terre à livres-terre à vins, avec l’affirmation de Dominique Bona, académicienne, que toute sa carrière s’est construite après la lecture de ce livre. De belles rencontres à ce petit festival animé de superbe manière par Danielle Sallenave. J’y reviendrai prochainement.

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    1. Je suis très content que cet article vous ait intéressé. Je redoute quelquefois de voir dans une même période le film après avoir lu le livre. Malgré tout il y a des belles surprises, j’ai vu dernièrement le « Martin Eden » du réalisateur italien Pietro Marcello qui a superbement réussi l’adaptation d’un autre roman majeur pour moi, le « Martin Eden » de Jack London. Merci pour votre commentaire de cinéphile, ce que je suis également.

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      1. Je n’ai pas lu ce roman de London, écrivain que j’affectionne pourtant, mais en effet lu grand bien de l’adaptation de Martin Eden. Je suis davantage tourné vers l’image que vers les pages, mais j’aime aussi avoir une autre vision d’une œuvre.
        J’ai écrit un article sur « La Promesse de l’aube » (le film) sur le Tour d’Ecran, si le cœur vous en dit…

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