Maryse WOLINSKI, « Chérie, je vais à Charlie »

Paru en janvier 2016, Editions du Seuil

« Grâce à lui (Georges), je suis devenue pleinement moi-même, j’ai appris la tolérance et la liberté. »

Tout s’est passé, il y a tout juste 5 ans, le mercredi 7 janvier 2015. « Chéri, je vais à Charlie »; ces mots sont les derniers prononcés par Georges Wolinski à sa femme Maryse dont il partage la vie depuis bien longtemps.

« Quarante-sept ans que cet homme, fou de femmes, de leur silhouette, de leurs audaces, de leur voix, de leurs modes, de leur courage, de leur foi en ce qu’elles décident, de leur force d’âme, pose son regard amoureux sur moi. »

L’attentat des frères Kouachi a fait douze morts… Et des blessés dont la vie serait à jamais incertaine. Des dessins humoristiques – oui, des dessins –  avaient abouti à ce résultat, un meurtre de sang froid de journalistes et artistes armés de leurs crayons ! Ce récit poignant, mais toujours digne, permet de comprendre pourquoi une scène de guerre a pu se produire dans les locaux d’un journal satirique. C’est un témoignage émouvant dont je conseille la lecture.

Maryse a mis un an pour sortir ce livre touchant et précieux pour ne pas oublier son Georges, notre Georges car il devrait être un peu à nous tous, cet homme aux dessins géniaux qui avait mis son talent au service des causes les plus nobles. « Cinquante ans de combats en faveur de la liberté d’expression pour être confronté à l’obscurantisme, à la barbarie, à la charia. Être à nouveau contraint de se poser la question : peut-on rire de tout ? Georges a choisi son camp : le rire de résistance. »

Moi j’ai mis trois ans à ouvrir et à lire presque d’un trait ce récit dense et poignant tellement cela me rappelle le moment où j’ai appris cette nouvelle qui m’a abasourdi : « Georges Wolinski et bien d’autres (Charb, Cabu, Tignous, Bernard Maris…) ont été abattus dans les locaux de Charlie Hebdo… ». Récit d’un chagrin immense. Elle dit « Désormais, je suis celle qui va » et cite en exergue le poète Paul Eluard, Ma morte vivante, dans Dernier Poème d’amour.

« Dans mon chagrin rien n’est en mouvement J’attends personne ne viendra Ni de jour ni de nuit Ni jamais plus de ce qui fut moi-même »

Mais la grande force de ce livre est de ne pas en avoir fait un lieu d’expression de haine. Au contraire, ce qui triomphe dans toutes ces pages c’est le cri d’amour d’une femme qui se savait aimée et qui aimait. C’est beau, c’est touchant, écrit avec des larmes de ce qui s’est passé et aussi avec l’émerveillement de ce qu’ils ont vécu ensemble. Personne ne pourra lui ôter cela mais que la résilience est difficile !

Elle dénonce l’insuffisance de la surveillance – les menaces étaient connues –, question de coût ? La police a été prévenue par téléphone de ce qui se passait, d’autres ont pensé prévenir les gens de Charlie, mais aucune disposition n’était prévue ! C’est comme dans les tragédies grecques : cent fois le drame peut être évité et pourtant il finit par arriver. Elle dénonce également un certain déni de l’équipe Charlie hebdo face aux menaces et au danger.

Maryse Wolinski dévoile les « Post-it » que Georges lui laissait et qui tapissent le mur de la cuisine.  Ne rien céder aux terroristes, les kalachnikovs n’ont pas tous les pouvoirs, surtout pas celui de briser l’amour et l’intelligence.

C’est un article du cœur pour se souvenir et honorer un artiste brillant qui s’est mis au service de la presse écrite : Hara-Kiri, L’Enragé, France Soir, Charlie Hebdo, L’Humanité, Paris-Match. Il a aussi réalisé des albums de dessins, des bandes dessinées et a été scénariste pour le cinéma.

Maryse Wolinski est sa seconde épouse, il avait perdu sa première femme dans un accident de voiture. Elle est journaliste et auteure de plusieurs récits et romans.  

Plus de mille dessins de Georges Wolinski sont consultables gratuitement en ligne dans Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. En libre accès depuis 1997, elle regroupe plus de 5 millions de documents.  C’est le premier grand ensemble de dessins de presse contemporains mis en ligne, avec l’accord de l’artiste et de ses ayants-droit. Une occasion de mieux connaître un dessinateur talentueux et féru de liberté. Et de faire un pied de nez aux censeurs et autres propagateurs de haine. Le RIRE vaut mieux !

J’ai également découvert qu’il existait un Centre International de la Caricature du Dessin de Presse et d’Humour. Il se trouve près de Limoges dans la commune de Saint-Just-le-Martel, 2500 habitants. Une place au nom du dessinateur et humoriste a été inaugurée en 2017. Sur cette nouvelle place, une maison de santé et des commerces ont été installés afin de redynamiser la commune. De la vie, de l’amitié… Wolinski en aurait sûrement été fier ! Alors si vous passez par là…

Notes avis bibliofeel janvier 2020, Maryse Wolinski, « Chérie, je vais à Charlie »

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