George PELECANOS, Tout se paye

Traduit de l’anglais par François Lasquin et Lise Dufaux

Soul Fiction, éditions de l’Olivier, mai 2003

George Pelecanos est un observateur de la vie sociale des quartiers pauvres dont il est issu !

Derek Strange, détective privé noir, « un dur de la vieille école » et Terry Quinn, jeune flic blanc exclu de la police, sont les héros de ce policier passionnant de bout en bout et recréant un univers crédible des quartiers déshérités de la mégapole de Washington dans les années 80. Le récit touche juste quant au tableau d’une ville rongée par la pauvreté, la drogue, la prostitution et la violence : « A la télé, ils disaient que le tiers des enfants du district de Colombia vivaient au-dessous du seuil de pauvreté, comme il avait vécu lui-même. »

Garfield Potter, Carlton Little et Charles White sont les paumés qui vivent de la vente de drogue, en consomment, volent des voitures pour des mauvais coups. La manière de les décrire à travers leur vie quotidienne est subtile, beaucoup plus que leur nourriture…

« Carlton Little avala la dernière bouchée de son Big Mac, et se servit de sa manche pour essuyer la sauce à la composition ultra-secrète qui lui avait adhéré au coin des lèvres comme de la colle. »

Ils croiseront par hasard la route d’un gamin de l’équipe de base-ball, Joe Wilder. Il y a beaucoup d’émotion dans ces pages, très belles, décrivant la peine et les doutes de Derek Strange suite à la mort de l’enfant. Pelecanos ne décrit pas le monde du grand banditisme, il nous emmène dans les rues, avec des gamins paumés qui tombent dans la violence faute d’avoir d’autres perspectives et par la loi des groupes.

L’interrogation sur la préservation des enfants défavorisés est centrale ainsi que la vulnérabilité des femmes dans la prostitution. Ces gamins sont lâchés par la société qui semble ne plus se préoccuper des problèmes, déléguant à des bénévoles la responsabilité d’occuper et de discipliner autant que possible ces gosses désœuvrés. Derek et Terry, notre détective et notre ancien flic, sont de ceux-là, entraînant une équipe de jeunes au base-ball « les petits bouts » et leur enseignant la discipline et le respect des autres.

« Faire marcher une équipe comme celle-ci, en évitant aux mômes de se laisser embarquer sur la mauvaise pente, était l’affaire d’une collectivité entière. Dont une poignée de membres particulièrement motivés endossaient la responsabilité. »

Ce sont des durs au cœur d’or et j’aime ça dans les romans policiers. J’ai en horreur ceux qui décrivent une rapide descente aux enfers, inéluctable, sans envisager la moindre solution. Que nous apprennent-ils sinon que le pire est possible ? Cela chacun le sait sans avoir à ouvrir un livre…  

Wyclef Jean (en duo avec Mary J.Blige) : « 911 », un des 28 titres cités dans « Tout se paye »

L’écriture est vive, pleine de mouvements, d’images et de sons. On se fait un vrai film à lire ce bouquin tellement tous les sens sont convoqués. Pratiquement dans chaque chapitre, de manière très habile, un environnement sonore est décrit. On retrouve ou découvre de beaux titres soul et funk d’artistes des années 70 à 90 dont Al Green, James Brown, les Commodores, D’angelo, Otis Redding, Johnny Winter, Wyclef Jean (en duo avec Mary J. Blige) au total 28 références !

George Pelecanos a débuté sa carrière de romancier en 1996. D’origine grecque, il est né et a grandi dans un quartier ouvrier de Washington (ville indépendante des USA dont elle est la capitale avec une population noire d’environ un habitant sur deux actuellement et plus des trois quarts dans les années 50) où son père tenait un snack. Âgé de 17 ans, il blesse un ami avec une arme à feu et manque de le tuer. Il fait des études de cinéma à l’université du Maryland et vit de petits boulots. Il est un des grands auteurs de « romans noirs à l’américaine », avec une forte dose de critique sociale.

« Tout se paye » écrit en 2002 marque un tournant prévisible dans sa carrière, lui qui place alors une discographie en fin de ce roman comme une bande son accompagnant le récit. C’est à cette période qu’il fait un retour remarqué au cinéma en étant scénariste (The Wire notamment), producteur et même réalisateur de séries et de films, essentiellement pour la télévision.

Une belle lecture d’un maître du genre permettant de se distraire tout en réfléchissant –  nous avons en France de plus en plus de signaux montrant un État partial et défaillant, assurant de moins en moins la cohésion sociale.

Je suis curieux de lire le dernier roman, sorti en mars 2020, de cet auteur. Un retour très attendu après une pause de plusieurs années. Ce livre s’intitule « A peine libéré », titre parfait pour une lecture après un long confinement !

Notes avis Bibliofeel avril 2020, George Pelecanos, Tout se paye

4 commentaires sur “George PELECANOS, Tout se paye

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