André DHÔTEL, Idylles

Edition Gallimard 1961, réédité en Folio juin 2003

Voici un grand écrivain et poète qui a passé son enfance dans les Ardennes, là même où est né Arthur Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent »,
André Dhôtel, autre âme sensible, parcourt modestement les prés et les forêts et crée des histoires étonnantes.

J’aime énormément lire André Dhôtel et particulièrement ce recueil de nouvelles. Ces petites histoires peuvent permettre de découvrir un auteur « lumineux » dont a si bien parlé, par exemple, Christian Bobin : « Je viens de lire trois livres d’André Dhôtel. J’y ai retrouvé un goût d’adolescence, le désir contradictoire de parvenir vite au dernier mot et de ralentir l’allure des phrases, tellement on est bien dans la cabane d’encre, sous le feuillage d’une voix. » Hommage d’un poète à un autre écrivain poète, à qui il emprunte peut-être cette économie, cette modestie d’artisan des mots qui œuvre, dans l’ombre et avant tout pour lui-même, à son équilibre et son bonheur. Il est précieux, en période de confinement de pouvoir me hisser dans cette cabane d’encre, sous le feuillage de la voix d’André Dhôtel.

L’auteur fait mine de raconter des faits réels alors que très vite on part tout à fait dans l’univers des contes. Un monde étrange, merveilleux et poétique s’ouvre alors au lecteur, d’abord réticent, puis captif jusqu’à la dernière phrase. En ce qui me concerne, ça fonctionne tout à fait ! Il nous entraîne en douceur vers les rêveries bucoliques, des aventures fantastiques, des mondes inconnus, avec un goût pour le rythme des jours et des saisons, la terre devient un personnage à part entière ainsi que les prés, les arbres, la végétation tout entière. Écolo avant l’heure, il nous rappelle une époque de nature généreuse où il était courant de faire des herbiers, de collectionner les papillons et les insectes dans des cahiers afin de les répertorier, de les étudier, ce qu’il a pratiqué lui-même. Observer, imaginer, écrire : « … la vertu consiste d’abord à prendre son temps. » 

Je vais présenter quelques-unes des dix nouvelles de ce recueil « Idylles ».

Dans « Idylle au Chesne-Populeux » Martinien découvre l’amour avec Jeannine qui arrive dans son terrain de jeu, une villa abandonnée. Mais la jeune fille doit partir. Elle lui donne rendez-vous dans 8 ans, même date, même heure. Le récit est parfaitement mené et, malgré les obstacles, ils se retrouveront la nuit devant la villa à la date prévue. Attente, doute, extrême impossible de tout cela… Un conte optimiste qui s’adresse à tous. Si la vie, et encore plus la lecture évidemment, permettent des rencontres improbables, alors ça vaut la peine.

Dhôtel a enseigné en Grèce pendant quatre ans entre 1924 et 1928 cadre de cette nouvelle : « Idylle à Samos ». Marthe retrouve son professeur à Samos, celui-ci a pris un nouveau nom, il s’appelle Marcos et souhaite tout oublier de sa vie passée. Marthe qui ne voulait pas de l’amour de son professeur tombe amoureuse de Marcos. Comme dans beaucoup d’histoires racontées par André Dhôtel, les femmes prennent l’initiative, savent ce qu’elles veulent et agissent.

J’aime particulièrement « La nuit d’été » : Alcide est en haut d’un cerisier immense, une nuit d’été, et ne peut redescendre…De cet arbre, une sorte d’île, le monde apparaît autre, la réflexion se fait plus aigüe sur ce qui est important ou non. Un noyau avait été déposé là bien des années avant, quand il vivait un amour de jeunesse avec Lucienne. Et maintenant, il est immobilisé dans son cerisier, sa femme et sa fille sont en fuite…

« La longue journée » : récit d’un assassinat qui n’en est pas un, d’un amour qui n’existe pas, d’une longue journée parmi les prés, ponctuée par les jeux de cartes. On est avec Arthur et Julien dans leur cavale et tout est possible : « La vie est immense comme les jours. Il ne faisait pas encore nuit ».

C’est l’écrivain lui-même qui se met en scène dans la nouvelle : « Jean-René sur les toits », lui qui était surnommé dans ses Ardennes natales : « le promeneux ». C’est une magnifique histoire où les habitants du village de Teron, maire en tête, vont monter tout un scénario pour permettre le mariage de Jean-René avec Marie-Jeanne, alors que celui-ci croit être recherché par les gendarmes et promis à la prison.

« J’aime étudier leurs mœurs et leurs villages, les révoltes des femmes dans les lavoirs, les enfants châtiés au fond des jardins, et les ivrognes qui s’en vont doucement à la pêche ». Et encore « Moi-même, j’ai le bonheur de ne pas me connaître, et je puis marcher sans fin à travers les labours de novembre, bouleversé par l’odeur des flores qui fermentent, me rappelant des faits que personne n’a divulgués ».

André Dhôtel (1900-1991), est un auteur singulier à l’écriture simple en apparence, ciselée en fait, belle et épurée. Poète, romancier, essayiste, il est né à Attigny dans les Ardennes, a étudié la philosophie, a été professeur puis c’est consacré à la littérature. De nature discrète, il a été reconnu et encensé par toute une génération d’écrivains. La famille d’Arthur Rimbaud était installée dans ce même pays d’Attigny, sur les bords de l’Aisne, et c’est là qu’Arthur, de retour de Bruxelles, avait écrit en 1873 « Une saison en enfer », quelques dizaines d’années avant la naissance d’André Dhôtel. Admirateur du célèbre poète, sans partager sa vie tumultueuse, il a rédigé plusieurs textes sur Rimbaud.

Son œuvre est considérable avec environ 70 ouvrages et 40 romans. Il a reçu de nombreux prix : prix Femina attribué en 1955 pour « Le Pays où l’on n’arrive jamais », le Grand prix de littérature pour les Jeunes en 1960, le Grand prix de littérature de l’Académie française en 1974, le Grand prix national des Lettres pour le roman « Les Disparus » en 1975. Réédité dans les années 2000, cet auteur semble se diluer peu à peu dans l’oubli ? Un auteur de ce calibre peut disparaître… Possible… Ou continuer à être lu à la faveur du regain d’intérêt pour la nature, les choses simples d’une vie plus saine, plus à l’écoute des autres, plus heureuse…

Une large place est faite dans ses histoires aux femmes, aux obscurs, aux faibles, aux vagabonds, à ceux qui possèdent l’immense richesse de leur rêve qu’ils poursuivent à travers la campagne et à travers l’autre. Des destins qui ne sont jamais confiés à dieu où autre, mais qui se font dans le tourbillon de la nature et des gens. Une enfance intacte chez cet écrivain, professeur, vagabond, qui sait si bien faire rêver ceux qui gardent vivant leurs rêves d’enfants. Je pense que ce serait bien dommage de passer à côté de ce bonheur-là. Une écriture optimiste avec la conviction que rien n’est jamais terminé… Avez-vous lu cet auteur ? Qu’en avez-vous pensé ? Avez-vous envie de le découvrir ?

Pour en savoir plus il est intéressant d’aller voir le site de « La Route Inconnue », l’Association des Amis d’André Dhôtel : https://www.andredhotel.org/

Notes avis Bibliofeel avril 2020, André Dhôtel, Idylles

23 commentaires sur “André DHÔTEL, Idylles

  1. J’avais lu « le pays où l’on n’arrive jamais » quand j’avais douze ou treize ans, c’était une lecture imposée par l’école mais j’avais bien aimé. C’était poétique et ça évoquait le monde de l’enfance … C’est vrai qu’on ne parle plus du tout de cet écrivain de nos jours, malheureusement …

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    1. C’est le plus connu effectivement et que je n’ai pas lu. Il était étudié en classe, ce qui l’a mis en valeur, au détriment de ses autres écrits. Il me semble que c’est une injustice. Merci pour ce retour. Bonne journée et bonnes lectures.

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  2. lu a l’école (ca fait longtemps donc) Le Pays où l’on n’arrive jamais et j’avais adoré ! J’ai toujours mon exemplaire en livre J’ai Lu de cette époque avec la carte des déplacements du petit garçon que notre prof nous avait fait faire.

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  3. merci pour cette découverte. Je vais lire cet auteur, d’autant plus intéressé que mes grand-parents habitaient en Argonne à proximité de Sainte Menehould et que j’y ai de merveilleux souvenirs de vacances d’été.

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  4. bonjour, je termine Idylles d’André Dhotel. D’abord la citation que vous reprenez de Christian Bobin ( du reste tellement jolie) traduit admirablement l’impression laissée à chacune des nouvelles de cet auteur. Il y a un délicat parfum de vacances qui plane sur ces œuvres, dont les intrigues se situent globalement toutes durant la période estivale, mais également beaucoup de tendresse et de positivité vis à vis des personnages, dans des descriptions précises et lumineuses, avec une dose de mystère, qui donnent une petite touche de féérie. Par ailleurs l’auteur a une relation affective positive à cette terre, se soucie de la valorisation de ses personnages et des lieux de l’intrigue, avec un certain dynamisme économique.

    Je vais continuer à le lire.

    Merci pour cette découverte

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    1. Je suis ravi de recevoir un tel retour. Je suis tout à fait d’accord avec vos commentaires qui me donne envie de me replonger dans l’oeuvre de cet auteur singulier. Le lire en période estivale est effectivement un très bon choix tellement il nous emmène dans des endroits secrets, au plus proche de la nature et des gens. Merci pour vos belles impressions de lecture.

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