Philippe DUBOIS, Nos vies sont des nuages

Paru le 20 novembre 2020, Fauves Éditions

C’est un livre qui m’a d’abord attiré par cette belle photo de couverture. Un paysage hivernal en noir et blanc, des arbres immenses qui jettent leurs branches comme des bras multiples au-dessus d’une large allée d’un parc, la neige recouvrant les bancs et tout le paysage. Blanc intense, impression de lumière hivernale accentuée par les lampadaires allumés. Contraste de la silhouette qui se découpe au fond, dans la perspective de l’allée, une femme sous un parapluie noir dont on remarque les talons hauts. Nos vies sont des nuages, écrits en lettres rouges.

Dès le départ la musique est présente, surtout le jazz, ce qui m’a plu : « J’insérais un CD de Bill Evans dans mon lecteur, le concert de Paris de 1979, celui que j’ai toujours préféré. »

Antoine, le narrateur, a eu une vie bien remplie, des voyages, deux mariages, des enfants et des petits-enfants dont on ne saura rien si ce n’est, dans une courte phrase, qu’il s’en est éloigné depuis quelques temps. Un jour de pluie, en mettant de l’ordre dans un placard, il tombe sur des photos et des lettres de Danièle, la passion de ses vingt ans. Petit à petit, il se décide à reprendre le fil d’une histoire d’amour intense, mais mal terminée à l’époque, à cause du poids de l’environnement, des amis, de la famille, d’une méconnaissance des rouages de la vie à cet âge. Le besoin impérieux de retrouver Danièle est là et ne le lâche plus. Il va tout tenter pour régler une histoire ancienne et aussi pour donner un nouveau sens à sa vie.

« C’était donc décidé, j’allais la rechercher. Mais réellement cette fois-ci, pour la revoir. Pas pour rêver ou me contenter d’une apparition chimérique. J’avais mieux à faire cette fois que m’acharner sur ma mémoire ou de tenter de m’introduire par effraction dans un passé révolu. »

Une quarantaine d’années après, comment peut-il retisser les fils de ce passé inabouti, fait de regrets mais aussi de remords ? Commence alors une enquête quasi policière que je trouve très bien menée et originale. Je me suis vite pris au jeu avec l’envie de connaître le résultat de cette quête difficile.  Les surprises sont là à chaque nouveau chapitre et j’ai avancé de plus en plus rapidement dans cette lecture, jusqu’à la dernière page. Investigations sur Facebook, recours à un privé aux méthodes mystérieuses dont l’accès probable à des fichiers interdits au public, réservés à la police et aux administrations. Le nom très courant de Danièle Durand, sans avoir la date de naissance, ne facilite pas la tâche. On a droit aussi aux fausses pistes, au retour au point de départ sans que l’intérêt du récit ne faiblisse.

Le style est soutenu avec la concordance des temps et le recours à des subjonctifs qui confèrent une élégance au récit, une tonalité propre. Il y a bien quelques omissions de mots, quelques répétitions, quelques images convenues, fondre comme neige au soleil, s’écouler comme du sable fin… Les premières pages évoquent un peu trop un devoir scolaire du genre : un jour de pluie vous retrouvez des photos anciennes qui vont bouleverser votre vie… L’auteur décrit la banlieue Nord-Ouest de Paris, les communes de Colombes et Bois-Colombes par rapport à la « crasse banlieue laborieuse » et là j’ai bien failli refermer prématurément le livre de crainte d’avoir à subir d’autres sentences méprisantes. Heureusement cela n’a pas été le cas. Plus on avance dans le récit, plus le rythme s’installe dans ce qu’il a de meilleur. L’auteur prend même la mesure des aphorismes qu’il utilise en abondance pour s’en amuser et tenter de se corriger :   

« – Disons que pour être heureux, il faudrait se tenir au-dessus de la mêlée, n’avoir ni désir ni passion, proposai-je. A mon habitude, je cédai à la tentation d’enfourcher des généralités et de pousser les idées à leur terme jusqu’à produire des aphorismes tranchants. Souvent, on ne sait trop quoi me répondre et je sais à quel point cela a pu exaspérer Denise, ma première femme. Ce n’est pourtant qu’un jeu de l’esprit, mais un jeu qui provoque bien souvent aussi l’amertume. Je ne pensais pas un traître mot de ce que je venais d’avancer, et corrigeai d’ailleurs de moi-même :Mais franchement, je ne crois pas que ce serait une existence méritant d’être vécue. » 

Plutôt déroutant au départ, mais ma curiosité était attirée et j’ai effectivement eu envie « d’écouter » l’histoire que le narrateur s’apprêtait à raconter à son ami François. Il y a beaucoup de qualité dans ce premier roman, dont les sentiments m’ont semblé trop authentiques pour être fictifs, très bien mené avec des passages s’appuyant sur des œuvres d’art (« La Madeleine repentante » du peintre Latour…), des artistes (Bob Dylan, Joan Baez, Miles Davis, Bill Evans, Schubert…), du « Manuscrit trouvé à Saragosse » de Potocki, des mythes (Ulysse et Pénélope, Aurélien et Bérénice…).

J’ai rapidement pensé qu’il s’agissait d’une autofiction. Il y a trop d’explications sur les raisons qui poussent le narrateur à exhumer un passé lointain d’une quarantaine d’années. Les lieux également sont parfaitement décrits, quel intérêt à inventer ? Ce qui ne m’a pas gêné bien au contraire car de nature à s’identifier facilement avec le narrateur. Mon intuition a été rapidement confirmée. J’ai suivi la même démarche que l’auteur en consultant internet avec comme entrées : le nom de l’auteur, le Lycée Albert Camus. Je suis tombé sur la page « les Copains d’avant » de Philippe Dubois avec portrait, photos de classe, ce site permettant les recherches en rapport avec le récit.

C’est une belle méditation sur la vie, le temps qui passe par un auteur dont il est dit qu’il a eu une  formation en philosophie et une carrière dans les Ressources Humaines, se consacrant aujourd’hui à sa passion : la littérature moderne et ancienne. Le sujet de ce roman est intéressant : qui n’a pas pensé retrouver telle personne affectivement importante à un moment de la vie, puis perdue dans un lointain inatteignable ou disparue définitivement ? Les moyens actuels, informatiques notamment, avec toutes les traces laissées un peu partout dans notre quotidien, permettent cette recherche. Si elle aboutit, le temps et les chemins parcourus par chacun peuvent constituer bien des obstacles à la reprise de contact si celui-ci est encore possible. Philippe Dubois parvient à traiter ce sujet difficile et original de belle manière.

Notes avis Bibliofeel décembre 2020, Philippe Dubois, Nos vies sont des nuages

16 commentaires sur “Philippe DUBOIS, Nos vies sont des nuages

    1. Oui, risqué, c’est ce que j’ai pensé au début du livre ! Et la curiosité m’a finalement emporté moi-aussi. La fin, bien amenée, ne m’a pas déçu… Désolé, il faudra lire le livre pour la connaître. Bonne journée et belle fin d’année !

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    1. Il est question du sens de la vie mais cela n’en fait pas un roman philosophique, d’ailleurs difficile à définir. C’est un roman, un roman-témoignage. Intéressant par le choix d’un sujet très personnel. Pourtant les interrogations mises en avant m’ont touché et peuvent toucher beaucoup de lecteurs à mon avis…

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  1. Un chronique qui, quelque part, est passionnante dans le sens où tout ce qui doit être dit est dit, sans rien dévoiler réellement. On a envie de connaître la fin, d’avoir les réponses aux questions que l’on se pose, forcément….
    Gagné, ce livre on veut le lire. Du coup c’est noté. Une prochaine lecture.
    Merci beaucoup Belle journée, à bientôt.

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