Pascal QUIGNARD, L’Homme aux trois lettres

Paru en SEPTEMBRE 2020, Éditions GRASSET

Vous avez raté les 10 tomes précédents de cette œuvre monumentale que l’auteur a nommé LE DERNIER ROYAUME ? Alors, vous pouvez peut-être commencer par ce tome 11. Cela tombe même bien, il parle de votre passion, de notre passion : LE LIVRE. La forme peut dérouter au premier abord. J’ai envie de dire qu’il s’agit de poésie en prose. Un livre qui parle du Livre. Une littérature pour dire l’histoire de la Littérature. Pascal Quignard déconcerte, entraîne dans ses rêves herculéens, comble de ses millions de vie, ne laisse jamais indifférent. On est plongé dans un tourbillon, un maelstrom de l’Histoire transmis par les écrits, les mythes, parcourant les époques plus vite que le vent. Il fait dialoguer : Pétrarque, Cicéron, Ravel, Colette, Mallarmé, Freud, Tite-Live… empruntant aux uns et aux autres, malaxant le tout pour composer des textes étranges, puissants, uniques. Ici, l’auteur parle aussi de lui-même, il se dévoile dans un court volume bilan, autobiographique. Passionnant !

Le temps selon Pascal Quignard : Etre heureux c’est oublier le temps, affirme l’auteur dans le jeu le plus doux

« Sauter l’heure des repas, oublier le rendez-vous, ne plus savoir si c’est le jour ou la nuit, sont des évènements plus importants qu’avoir un avenir.

Là encore un rêveur, l’enfant, le joueur, le musicien, l’amateur de fantasmes, de perversions, de fétiches, le mystique, le lecteur, l’érudit, le savant, tous sont des affranchis du temps. »

En miroir, être malheureux, c’est l’obsession du temps. Dans la Tapisserie, Pascal Quignard revient sur ses deux dépressions sévères, en 1975 et 1981.

« Tous les dépressifs cherchent à tenir. / Dans écrire une main absolue s’agrippe. »

Il consacrait son temps à d’immenses tapisseries.

« Je me cramponnais à l’épaisse aiguille à broder. / Il s’agissait, seconde par seconde, de faire passer, minute par minute, le temps insupportable. »

Le texte expliquant le titre, l’Homme aux trois lettres, arrive au chapitre III. C’est FUR, ce qui signifie en latin le voleur et qui a donné le mot français FURTIF. Pascal Quignard passe du vol – effraction – au vol de l’oiseau…

A travers une écriture superbe, il nous initie ainsi au miracle des mots qui élèvent, qui volent dans les deux sens du mot. Le rêve l’écriture qui lui est apparentée dérobe les silhouettes de la nature, les saveurs, les êtres du passé. Les écrivains, les lecteurs, sont pour lui une confrérie, une assemblée d’hommes et de femmes hors du temps, étudiant en silence, « volant » sans bruit, comme le vol de l’oiseau.

Des fulgurances qui n’appartiennent qu’à Pascal Quignard pour décrire l’étrangeté de la vie, le bonheur et la douleur aussi !

« L’archæoptéryx a cent cinquante millions d’années. / Son bec contient encore des dents. / Son dos porte déjà des plumes. / Oiseau qui ne picore ni ne vole. / C’est un être sans nom qui avance à quatre pattes comme un crocodile devenu fou. »

« Ô langage qui divises tout par deux dans la perte et la souffrance, tu es aussi un langage qui s’est multiplié par deux dans le silence et la lecture ! »

Voici un livre que j’ai lu et que j’ai ouvert ensuite à n’importe quelle page. Surgit alors un nouveau texte, des images, un sens qui m’étaient cachés à la première lecture. Des quelques livres que j’ai lus de cet auteur, celui-ci est peut-être le plus fort, le plus personnel. Lui qui cite abondamment les anciens lettrés, ne cite ici qu’une seule fois Cicéron comme s’il acceptait de parler en son nom propre: « Qu’y a-t-il de plus doux qu’un loisir dédié uniquement aux lettres ? »

Pascal Quignard a entrepris de renouer avec la vie par l’écriture suite à un grave problème de santé – Les désarçonnés, Tome 7 du Dernier Royaume, publié en 2012 raconte en creux cette expérience –. Cela donne des tableaux qui ont rapport tout à la fois à la poésie, au songe, à l’histoire, à l’érudition la plus complète, à la philosophie, à la psychanalyse, voire à la musique – il est violoncelliste, à l’origine du film « Tous les matins du monde » et Prix Goncourt 2002 pour Les Ombres errantes .

LE DERNIER ROYAUME est composé de 11 volumes édités depuis 2002. Pascal Quignard publie sans discontinuer depuis cinquante ans une œuvre qu’il décrit lui-même comme sans borne, sans dessein, de littérature pure, infinie, océane ! Comme si l’auteur ne devait pas, ne pouvait pas s’arrêter d’écrire.

A quand un tome XII à ce Dernier Royaume ? L’Empereur des lettres son œuvre est l’une des plus importantes de la littérature française contemporaine en est bien capable même s’il termine ce volume par ces mots :

« Il range sa bêche dans l’abri. Il semble qu’il s’en aille seul dans le sentier, sur la lande, dans la neige. Ils s’en vont tous les deux dans la nuit et la neige. »

Notes avis Bibliofeel mai 2021, Pascal Quignard, L’Homme aux trois lettres

9 commentaires sur “Pascal QUIGNARD, L’Homme aux trois lettres

  1. Bonjour,
    me voici fortement tenté par ce livre.
    Ayant lu « Tous les matins du monde » 3 fois et assez peu apprécié « Le nom sur le bout de la langue », j’en étais resté là.
    Et je découvre l’existence de toute une œuvre monumentale de cet auteur, merci beaucoup !

    Aimé par 2 personnes

    1. Ah ça oui, une oeuvre monumentale ! C’est pour cette raison que j’ai mis le Penseur de Rodin… Pas une œuvre facile à aborder mais, petit à petit, je me laisse entraîner par ce Dernier Royaume que je vais continuer d’explorer de temps en temps. Merci pour votre lecture et commentaire.

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  2. Ce livre doit être passionnant. Aborder la littérature par l ‘histoire tout en écrivant son vécu, son ressenti comme le fait l’auteur, ça doit être captivant. J’aime bien les extraits que tu as choisi sur le temps et le bonheur, sur L’archæoptéryx et sa description. Ouais, ça donne envie. Je me le note sur ma liste, tout en haut de la pile.
    Merci pour ce nouveau partage.

    Aimé par 1 personne

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