Pierre LEMAITRE, Miroir de nos peines

Troisième et dernier tome de la série intitulée « Les enfants du désastre »

Éditions Albin Michel, 2020

Paru au Livre de Poche en mars 2021

Le premier volet de la trilogie « Au revoir là-haut » m’avait enthousiasmé, le second « Couleurs de l’incendie » avait poursuivi sur la lancée, j’avais retrouvé avec plaisir certains personnages du premier tome. Je me faisais une joie de lire enfin ce « Miroirs de nos peines », tout à fait en confiance après deux premiers tomes de haute volée.

Après un début de roman plutôt laborieux, dédié à la découverte de nouveaux personnages, j’ai retrouvé l’art du découpage et de l’intrigue qui m’avait tenu en haleine pour les précédents volumes. M. Jules est le patron de La Petite Bohème, restaurant populaire ou vient s’assoir chaque samedi « Le docteur ». Louise est institutrice et serveuse occasionnelle dans l’établissement de M. Jules. Pourquoi donc le docteur, ce vieil homme si paisible, lui propose-t-il de la payer afin de la voir nue ? Voici le premier fil d’une intrigue à rebondissement qui va distiller ses réponses tout au long des 571 pages de cette édition. Tout comme dans « Au revoir là-haut » on retrouve dans ces histoires mêlées deux soldats, Gabriel et Raoul Landrade. Ces deux-là sont plutôt de caractères opposés, Gabriel est bien intégré alors que Raoul, écorché vif, participe et élabore tous les coups douteux possibles. Les personnages secondaires sont ici encore bien représentés : Madame Thirion et sa fille Henriette, la femme et la fille du docteur, le juge Poittevin aux convictions bien arrêtées, Jeanne Belmont mère de Louise, Fernand l’adjudant-chef des gardes mobiles et sa femme Alice, le caporal-chef alcoolique Bornier…

Louise est celle qui permet la continuité de l’histoire par rapport aux précédents volumes. Elle avait dix ans dans « Au revoir là-haut » quand elle aidait Edouard Péricourt et son compagnon Albert Maillard, anciens combattants de la guerre de 14-18, réfugiés chez ses parents, à élaborer des masques pour la gueule cassée d’Edouard. Mais le fil est ténu… Donne-t-il du sens à l’histoire ? Autant dire que ce tome peut se lire sans problème en dehors des deux autres.  

Heureusement, arrive à la page 74, Désiré Migault ou Migaud, ou Mignard ou … que l’on va retrouver avec un plaisir toujours renouvelé au fil des histoires qui se succèdent et se rejoindront petit à petit jusqu’au dénouement dévoilant les liens entre tous. Désiré que l’on découvre avocat flamboyant capable de retourner un procès mal engagé, lui qui avait été instituteur aux « méthodes pédagogiques extrêmement innovantes », également pilote d’aéroclub « Il n’était jamais monté dans un avion, mais avait présenté un carnet de vol et des certificats en acier trempé », et même chirurgien… Sa principale spécialité étant la fuite en emportant la caisse de l’établissement. Sacré Désiré qui vaut à lui seul la lecture de ce livre. Les chapitres où il se présente comme spécialiste des langues orientales afin d’être embauché au ministère de l’information (« autant dire de la censure »), sont des plus hilarants malgré le terrible contexte historique.

« La concentration de pistonnés et de fils de bonne famille était spectaculaire, car tout le monde avait envie d’intégrer ce caravansérail guerrier et républicain naguère dirigé, si l’on peut dire, par un dramaturge célèbre dont à peu près personne ne comprenait les propos, remplacé par un agrégé d’histoire qui venait de la bibliothèque nationale et placé sous la férule d’un ancien pourfendeur de la censure propulsé ministre de l’Information, tout ça avait des allures de foutoir mondain et exerçait un énorme pouvoir d’attraction sur les intellectuels, les femmes, les planqués, les étudiants. Et les aventuriers. Désiré s’y sentit tout de suite à son aise. »

Vient ensuite la défaite, la fuite sur les routes des civils et des militaires déserteurs tels que Gabriel et Raoul. Ils sont tous en route vers Orléans, que ce soit ces deux-là ou Jules accompagné de Louise dans sa vieille voiture. Et même Désiré que la découverte du corps d’un prêtre a propulsé à la tête d’un étonnant centre d’accueil, secourant des réfugiés totalement livrés à eux-mêmes.

Pierre Lemaitre jubile dans cette série. Il nous précise dans l’épilogue concernant le devenir de Désiré : « Je ne vais pas vous raconter d’histoire, quasiment rien de ce qu’on croit savoir de lui n’a été prouvé ou démontré. », pour mieux repartir dans une destinée incroyable dans la Résistance… L’auteur s’amuse et nous amuse, dans ce récit bien documenté : une colonne de prisonniers militaires s’est bien mise en marche en juin 1940 pour se rendre au camp de Gurs dans le Cher, la péripétie des billets brûlés de la banque de France est attestée, les informations rapportées par Désiré dans ses émissions de radio sont réelles pour la plupart.

Un roman lu avec plaisir même si j’ai une préférence pour « Au revoir là-haut » et « Couleurs de l’incendie ».  Les 3 volumes de la trilogie « Les enfants du désastre » sont sortis en coffret en novembre 2020 accompagnés d’un livre de 32 pages composé d’un texte inédit de Pierre Assouline et d’une quinzaine d’illustrations exclusives en couleur de Christian de Metter, des portraits et scènes emblématiques issus des trois tomes.

Autres citations :

« La voiture cahotait lentement dans le flot des fuyards qui étaient à l’image de ce pays déchiré, abandonné. C’étaient partout des visages et des visages. Un immense cortège funèbre, pensa Louise, devenu l’accablant miroir de nos peines et de nos défaites. »

«  Les cloches de Notre-Dame sonnèrent à la volée au-dessus de la foule recueillie. En voyant les membres du clergé et ceux du gouvernement quitter la cathédrale à pas lent, il était clair pour tout le monde que Dieu venait d’être nommé chef d’état-major. »

Notes avis Bibliofeel août 2021, Pierre LEMAITRE, Miroir de nos peines

16 commentaires sur “Pierre LEMAITRE, Miroir de nos peines

  1. Bonjour, cet excellent article vient à point, je viens de lire Au-revoir là-haut et me demandais si je devais poursuivre, j’ai la réponse, au moins pour le second volet.
    Merci beaucoup.

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  2. Bonjour, mon premier commentaire n’est pas passé, je vous remerciais pour cet excellent article, je vais poursuivre en lisant le second volet.

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    1. Ce sont largement les meilleurs selon moi. La lecture de ce volume a été agréable mais avec des réserves. Ce n’est pas un livre essentiel. Je ne lis pas non plus souvent de saga exception faite avec la formidable série 1Q84 de Murakami et le passionnant Clan de Otori de Lian Hearn.

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      1. je vois que nous avons les mêmes livres dans nos bibliothèques. J’avais bien aimé le Clan des Otori acheté il y a longtemps pour faire aimer la lecture à mon fils ainé alors adolescent et que je lui lisais à haute voix. J’ai aussi 1Q84 que mes enfants m’on offert quand il était sorti dans un beau coffret mais toujours pas lu. Et les 2 premier Lemaitre aussi mais pas encore lus non plus. Je n’ai pas encore acheté ce dernier volume parce que même en occasion il restait cher (avec les frais de port pour les USA) la version poche sera la bienvenue.

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        1. Étonnant en effet. J’ai découvert le clan des Otori en l’empruntant à ma fille pour ne plus pouvoir lâcher avant la fin du dernier tome. Le dernier volume de Pierre Lemaitre n’est peut-être pas le meilleur mais je suis content d’avoir terminé la saga. Le succès, la facilité ? J’espère un retour si tu le lis…

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  3. J’avais lu le miroir de nos peines, que j’avais bien aimé, dans la même veine que les précédents.
    Je lis maintenant la suite française d’Irène Nemerovsky. Je trouve d’étranges similitudes dans la construction et dans certains personnages.
    C’est étrange

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    1. J’ai lu La suite française il y déjà bien longtemps. Il faudrait que je relise cet excellent récit… Mais cela ne me surprend pas que Pierre Lemaitre se soit inspiré consciemment ou pas d’une romancière aussi habile qu’Irene Nemirovsky.

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