Éditions 10-18, paru en février 2010
Traduit du japonais par Hélène Morita
506 pages

Le titre de ce recueil de 23 nouvelles est énigmatique et poétique, proche d’un haïku. Quatre mots si difficiles à accoler : femme, endormie, saule, aveugle. Des saules, une femme ? Comme le livre commence par la nouvelle éponyme du titre, je pensais retrouver rapidement l’univers si particulier et enchanteur de Murakami, celui qui m’avait tant enthousiasmé dans les nouvelles du recueil Des hommes sans femmes. Mais ce début s’est révélé assez lent. J’aurais pu m’endormir moi-aussi sous le saule aveugle… et passer mon chemin… Pourtant, la variété des sujets et la petite musique de l’écriture m’ont une fois de plus envouté. J’ai continué à lire une nouvelle comme on croque un chocolat, de temps en temps, pour le plaisir. Bien m’en a pris !
Vers la fin, dans La baie de Hanalei, une attaque de requin m’a sorti de ma douce torpeur. Une bien jolie histoire ou la nature est omniprésente et gère à sa convenance la vie et la mort, une histoire d’amour aussi d’une mère pour son fils, passionné de surf.
« Même s’ils invoquent de grande et noble cause, à la guerre les hommes meurent parce qu’il y a de la colère, de la haine, dans les deux camps. Mais la Nature, elle, ne connaît pas de camp. Je comprends à quel point l’épreuve que vous traversez est terrible, mais je vous en prie, essayez de vous dire ceci : votre fils est retourné dans le grand cycle de la Nature ; et cela n’a rien à voir avec une grande cause, de la colère ou de la haine. »
Tout de suite après, arrive cette histoire géniale que seul ce grand auteur japonais peut imaginer et écrire : La pierre-en-forme-de-rein qui se déplace chaque jour. Junpei a seize ans quand son père lui dit que, dans une vie, un homme ne rencontre que trois femmes qui comptent. Pendant ses études, il a des aventures mais reste en retrait, obsédé par la théorie paternelle « des trois femmes ». Il devient écrivain, avec un début de succès prometteur. A une soirée d’inauguration il rencontre Kirié, une femme séduisante et mystérieuse. Elle refuse de lui dire d’emblée sa profession, préférant le laisser trouver par lui-même, par son imagination, comme un écrivain doit en être capable, selon elle. Junpei, très attiré, accepte le jeu, au grand bonheur du lecteur ! Il arrive à déterminer qu’il s’agit d’un métier très spécifique, pratiqué en extérieur, ce qui explique son bronzage et ses bras plutôt musclés, que cela n’a pas été facile d’en arriver là, un métier représentant un acte d’amour, demandant la perfection, où l’échec ne pardonne pas…
Ils vont s’aimer mais elle ne veut pas vivre avec lui, cette activité mystérieuse demandant un équilibre qu’elle pourrait perdre si elle était troublée par la présence d’un homme à ses côtés…
A ce stade, si vous êtes comme Junpei, que vous n’avez pas encore trouvé, alors courrez acheter ou emprunter ce livre afin de découvrir la fin de cette nouvelle formidable.
Le mystère de l’activité de Kirié entre en écho avec le livre que Junpei est en train d’écrire. Lorsqu’il lui raconte le début, il va enfin réussir à imaginer la suite qui lui manquait, avec cette pierre en forme de rein qui se déplace chaque jour. Les histoires de l’un vont se mêler aux histoires de l’autre et se mêler à la Nature, décidément très présente dans ce volume.
Les mots de Kirié perdirent leur forme grammaticale dans l’air de la nuit, ils se mêlèrent à l’arôme léger du vin avant d’atteindre les replis secrets de la conscience. « Par exemple, le vent a ses raisons. En temps ordinaire, nous vivons sans nous en rendre compte. Mais à certains moments, nous sommes amenés à en prendre conscience. Le vent vous enveloppe avec une intention particulière, il vous ébranle aussi. Le vent a connaissance de tout ce qui est en vous. Mais pas seulement le vent. Toutes les choses. Mêmes les pierres. Tous les éléments nous connaissent très bien ? Jusqu’aux tréfonds de nos êtres. Et parfois ils se rappellent à nous. Alors nous devons les accompagner. Et si nous les acceptons, nous restons vivants, nous nous approfondissons. »
Kirié sera son échec numéro deux mais, grâce à la pierre, plus jamais il n’aura peur de la sentence de son père.
« Ce qui importe, c’est de décider d’accepter une autre personne dans sa totalité. Et que ce soit toujours la première et la dernière fois. »
Du grand Murakami qui décidément excelle dans l’art et la maîtrise de la nouvelle. Dans les notes d’introduction de l’édition anglaise, il a ces mots merveilleux, « l’écriture de romans est un défi, l’écriture de nouvelles est une joie. Si on compare l’écriture de romans à la plantation d’une forêt, alors l’écriture de nouvelles revient à planter un jardin. »
Le livre se termine par Le singe de Shinagawa, la relation de Mizuki avec sa thérapeute Yuko alors qu’elle la consulte pour des troubles de la mémoire. Elle oublie son nom, seulement son nom !… Heureusement un singe va les aider à remettre tout en ordre…
Voilà encore de bien belles pages écrites par cet auteur dont j’aime l’univers. Je suis devenu peu à peu « harukiste », ce terme désignant maintenant ses lecteurs les plus admiratifs. J’ai mis en avant quelques nouvelles qui m’ont le plus impressionné. L’auteur nous fait voyager dans les abîmes de notre conscience. Peut-être serez-vous plus touchés par d’autres nouvelles en fonction de votre vécu. Avez-vous lu ce Murakami ? Quelles histoires avez-vous préférées ?
En quatrième de couverture :
« Haruki Murakami confirme sa stature de géant nippon des lettres. Ce recueil est un labyrinthe familier, un palais des glaces, où le lecteur peut se perdre, et se reconnaître, avec délices. » David Fontaine, Le Canard enchainé. Là tout est dit !
Notes avis Bibliofeel janvier 2022, Haruki Murakami, Saules aveugles, femme endormie
Au vue du titre, j’aurais pensé à un recueil de poésies.
J’aimeAimé par 1 personne
L’écriture est souvent douce et poétique. Cet auteur a l’art de trouver des titres originaux.
J’aimeAimé par 1 personne
Encore un que tu m’as fait découvrir. J’ai commencé par ce livre de nouvelles , Des hommes sans femmes, et d’autres ont suivi. J’aime beaucoup Murakami…. Et donc je note celui-ci.
Merci Alain, pour cette super chronique, encore une fois.
Bonne soirée à toi, à bientôt !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup pour ton commentaire Solène et pour ton enthousiasme. Je compte lire Kafka sur le rivage, prochain Murakami 😃… Bon, pour le moment j’ai tout ce qu’il me faut comme lecture. 😉. Bonne soirée à toi !
J’aimeAimé par 1 personne
noté bien sûr, j’aime tellement l’auteur! « Kafka sur le rivage » fut une révélation pour moi: coup de coeur 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Je le lirai, c’est programmé 😃
J’aimeAimé par 1 personne
Tu as le don de donner envie aux lecteurs. J’aime beaucoup cet auteur. Merci pour cette découverte. J’aime ce passage « Même s’ils invoquent de grande et noble cause, à la guerre les hommes meurent parce qu’il y a de la colère, de la haine, dans les deux camps. Mais la Nature, elle, ne connaît pas de camp »
Bonne semaine
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Alan, tes commentaires sont vraiment agréables à lire tout comme tes articles. Bonne semaine et à bientôt !
J’aimeAimé par 1 personne
❤❤❤
J’aimeAimé par 1 personne