Titiou LECOQ, Honoré et moi

« Parce qu’il a réussi sa vie en passant son temps à la rater, Balzac est mon frère »

Édition L’iconoclaste, paru en octobre 2019

Généralement je choisis mes livres avec beaucoup d’attention. Celui-ci, non… Il s’est trouvé là devant moi avec sa couverture aux couleurs vives, ce portrait d’Honoré et ce « Et moi », comme une invitation !  Je ne pouvais pas résister étant dans le sillage du grand écrivain depuis longtemps, que ce soit à l’école et ensuite dans ma vie – à Tours Balzac est partout présent et il ne se passe pas une seule année sans que je rende visite au magnifique Musée Balzac au château de Saché, lieu où il a écrit des chefs d’œuvres comme Le Père Goriot, Illusions perdues, le Lys dans la vallée.

Titiou Lecoq revisite, comme on dit actuellement, un grand écrivain classique. Cette auteure est décrite sur la 4ème de couverture comme féministe, romancière et essayiste. Elle est une femme des médias et anime un blog connu, cela se sent à la lecture et c’est tant mieux pour le côté moderne. Elle tente de répondre à la question « Qu’est-ce que Balzac nous dit pour aujourd’hui ? » à travers cette biographie centrée sur les thèmes de l’argent et des femmes.

Elle a choisi de tirer le fil du Balzac panier percé, amoureux du luxe, jamais à court d’idées pour se refaire au niveau financier quand les dettes s’accumulent – mais échouant dans toutes ses entreprises que ce soit l’imprimerie, la culture d’ananas ou encore les mines d’argent de Sicile –, rêvant d’un beau mariage qui lui permettrait d’accéder à l’aisance matérielle ainsi qu’à la fréquentation des élites dont il se sent faire partie. Qu’on en juge pour les dettes : en 1828, il doit 120 000 francs (360 000 euros) ; en 1835, 105 000 francs ; en 1842, 250 000 francs. On a d’ailleurs page 229 « le graphique de la dèche balzacienne », montrant une belle progression à partir de 1830 (il a alors 31 ans). Voilà bien un livre avec les codes de notre époque ! Des chiffres encore des chiffres, mais seulement de 31 à 43 ans, on ne sait pas pourquoi… Il semble pourtant qu’à 51 ans, il n’a laissé que 100 000 francs « sur l’ardoise » à sa femme, Mme Hanska. Il est exact que vivre constamment avec des dettes est une calamité surtout quand on aspire à la richesse. Il savait pourtant y faire Honoré, en déménageant fréquemment, en se faisant prêter des sommes importantes qu’il était rarement en mesure de rembourser…

Pouvait-il être ce forçat de l’écriture et tout à la fois l’entrepreneur, le gestionnaire et même le représentant politique qu’il a envisagé ? Encore qu’il ne se débrouille pas si mal pour faire connaître ses livres : « Pour la parution de ce roman, Honoré a bien préparé son coup. Maintenant qu’il a ses entrées dans les salons élégants de Paris, il y lit des morceaux. C’est le pré-buzz. Puis viendra la publication dans les journaux, sous forme d’extraits, et enfin la parution en volume. L’éditeur annonce une rupture de stock au bout de quatre jours, ce qui se révèlera une stratégie commerciale pour faire monter la rumeur du succès. »

Quant aux femmes, il ne recherche pas le menu fretin : Caroline Landrière des Bordes, baronne Deurbroucq, riche veuve ; puis Madame Laure de Berny qui a déjà 45 ans et 9 enfants quand il entre en relation avec elle ; La duchesse Laure d’Abrantès qui a connu « les fastes de l’empire » ; La duchesse Claire de Castries, une déception amoureuse ; Marie du Fresnay d’origine plus modeste – liaison secrète – avec qui il aura une fille ; la comtesse France-Sarah Guidoboni-Visconti ; enfin la comtesse Ewelina Hanska – au domaine de 21 000 hectares en Ukraine et ses 3035 serfs – qu’il épousera en 1850 quelques mois avant de mourir. Sans oublier Louise Brugnol sa gouvernante, avec qui il a « probablement » vécu maritalement, qui sera priée de déménager quand Eve Hanska viendra s’installer à Paris. Toutes ou presque ont servi de modèle dans sa « comédie humaine », à la fois son œuvre et sa vie.

A-t-il « réussi sa vie en passant son temps à la rater » ? A cette question j’ai ressenti un certain embarras car ce n’est pas simple de dire ce qu’est réussir sa vie et encore moins d’en juger pour un auteur du début du XIX ème siècle. Balzac a la passion du détail vrai et donc il lui fallait certainement chercher à approcher à tout prix cette classe sociale dont il parle tant dans ses romans. Cela explique peut-être son train de vie trop élevé mais qui le rendait visible dans les hautes sphères parisiennes.

Il se dit monarchiste, attiré par l’ancien régime, mais ses capacités d’analyses lui font décrire une société dans toute sa vérité, véritable spécialiste des sciences humaines et sociales avant l’heure. Par exemple, concernant Mémoires de deux jeunes mariées, Titiou écrit « le roman nous démontre l’inverse de ce que pensait Balzac, et c’est aussi cela son génie. » En 1837, il avait écrit, dans La Maison Nucingen, « les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites. » George Sand lui trouvait une impartialité supérieure à toute opinion.

Il est à la charnière de deux régimes que tout oppose, l’ancien régime qui s’est écroulé – il est né en 1799 –, et une nouvelle société dont les contours sont mal établis. Titiou Lecoq s’amuse et nous amuse en décrivant un personnage qui a la poisse – pas tout faux – et qui fait continuellement de mauvais choix. Possible mais qui peut juger ! Il n’était pas loin d’atteindre son but, son mariage lui permettait d’espérer une vie facile, débarrassée des soucis d’argent. Son âge est alors de 51 ans et, sans cette septicémie à une époque où il n’y a pas d’antibiotiques, seulement des médecins ignorants, prescrivant saignées…, sangsues…, ventouses scarifiées, il aurait pu vivre encore pas mal de temps et peut-être aurait-on dit « il a réussi sa vie ». Il a fait l’acquisition de la maison des Jardies en mauvais état, puis de l’hôtel Beaujon qui nécessite de gros travaux. Peut-il viser très haut alors qu’il est fauché ? Balzac n’hésite pas, il voit toujours grand !  

Sa personnalité, sa démesure lui ont permis d’approcher beaucoup de gens des classes « fastueuses » et aussi tant d’écrivains si différents que ce soit George Sand, Victor Hugo, Théophile Gautier… Auteurs qui n’auraient pas donné leur estime, leur amitié à un ambitieux fantasque et irréfléchi.

J’ai trouvé ce livre très réussi, je l’ai lu rapidement en m’amusant beaucoup – il y a vraiment un style Titiou Lecoq ! J’ai dû quitter Balzac et Titiou à regret, tellement cette lecture était belle. Une lecture qui peut permettre de garder tout à fait vivant ce génie de l’écriture pour les nouvelles générations même si Titiou Lecoq fait vaciller la statue sur son socle – Il manque Balzac écrivain, monstre de travail et génial romancier mais il y a bien d’autres biographies pour cela, voire ses romans eux-mêmes.

Est-ce qu’il a construit son œuvre pour la vie facile, l’argent, les femmes du monde ? Ou bien sa passion d’écrire  « La Comédie Humaine » lui a-t-elle imposé de mener cette vie ? Il me semble que des clés sont à rechercher du côté d’une enfance difficile. Éloigné de ses parents puis en pension à Vendôme avec une seule visite par an, il s’est construit un monde de lecture et d’imaginaire qu’il a voulu reproduire et organiser dans ses écrits. Sa vie consistait à « écrire » et il n’aurait certainement pu vivre sans cela. « D’autres anecdotes, dont il est difficile de trancher le degré de véracité, insistent plus particulièrement sur la porosité de la frontière entre imagination et réel chez Balzac, la première contaminant sans cesse le second »

Avec une telle œuvre il a réussi malgré tout sa vie. La thèse de cet excellent livre me semble différente, décrivant une vie plutôt ratée… Comme quoi, il y a Honoré, Titiou et Moi… qui essaie modestement de redresser un peu la statue admirée ! Et Vous ?

Notes avis Bibliofeel mars 2020, Titiou Lecoq, Honoré et moi

11 commentaires sur “Titiou LECOQ, Honoré et moi

  1. Votre article me donne envie de lire ce livre. J’ admire aussi ce grand écrivain qui nous révèle l’âme humaine dans toute son âpreté. Accessoirement, je suis originaire d’Angoulême, immortalisée par Balzac.
    Que signifie réussir ou rater sa vie…Mais, comme vous le dites, on ne peut rater sa vie quand on a créé une telle œuvre! Balzac, j’ imagine était conscient de ce qu’il avait réalisé et de la puissance de son œuvre!

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      1. J’ai lu Honoré et moi et j’ai beaucoup aimé le point de vue très personnel de l’auteur qui nous parle d’elle-même et de ses idées et convictions en même temps qu’elle nous parle d’Honoré (souvent avec drôlerie). Même si l’angle choisi, Balzac et l’argent, est un peu triste. Merci de cette découverte.

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  2. J’apprécie beaucoup les romans de Balzac et j’ai passé de bons moments à la lecture de cet ouvrage qui lui est dédié et qui m’a fait découvrir Titiou Lecoq. Peut-on en effet parler de vie ratée quand on est l’auteur de telles oeuvres ? C’est à chacun de tenter de vivre son passage sur Terre comme il le souhaite, ou comme il le peut avec ses aptitudes et ses limites. « Honoré et moi » me donne bien envie de replonger dans ses livres.

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