Colin NIEL, Entre fauves

COLIN NIEL

Entre fauves

Le Livre de Poche

Date de parution : février 2022

384 pages

Jamais je n’avais lu un Polar dont le point de départ était le meurtre d’un animal… Un groupe d’internautes, nommé Stop Hunting France, recherche une jeune femme accusée d’avoir tué un lion lors d’une partie de chasse. Un garde au parc national des Pyrénées est du lot. Il va tout faire pour la retrouver… J’avoue avoir été un peu dérouté dans un premier temps, puis vite embarqué par ce scénario surprenant, d’autant que les motifs de réflexion sur des sujets très actuels sont nombreux : la chasse en premier, notamment la chasse safari, la disparition accélérée de la faune sauvage, le pouvoir d’action – ou de nuisance – via internet, la responsabilité individuelle et le rôle de régulation que devraient avoir les États… On peut bien sûr se contenter de le lire comme un roman d’aventure, dans les paysages magnifiques des montagnes pyrénéennes au début et à la fin du roman, et dans le nord-ouest de Windhoek en Namibie, lors de la traque du lion.

Dès les premières pages est donné à voir un thriller sans nuance qui semble évoluer vers un dénouement prévisible. Mais ce serait sans compter sans la capacité de l’auteur à introduire de plus en plus de complexité. C’est un roman choral, la parole est donnée à plusieurs narrateurs : à Martin, garde national assermenté vite inquiétant, pour moi, dans ses certitudes ; son collègue Antoine, plus positif mais s’effaçant vite de l’intrigue ; Apolline, la chasseuse à l’arc en partance vers la Namibie pour sa chasse au lion, cadeau de son cher papa pour ses vingt ans ! On a ensuite la vision des évènements en Namibie avec la parole de Komuti, fils d’un éleveur Himba et même le ressenti de Charlesle lion poursuivi à la fois par Appoline et Komuti.

Martin est un anti-chasse viscéral, il passe son temps sur le terrain, à ruminer sur l’extinction des espèces, sur la crise climatique, sur la puissance des lobbies de la chasse et sur les faibles moyens dont il dispose au quotidien – l’auteur, ayant un passé professionnel dans ce domaine, en sait certainement beaucoup sur le sujet. De plus, lui et son collègue ne retrouvent aucune trace de Cannelito, dernier ours avec un peu de sang pyrénéen qui fréquentait la forêt. Alors, quand il trouve sur les réseaux sociaux une photo d’une jeune femme avec un arc devant la dépouille d’un lion, il décide de mener l’enquête et projette de la livrer en pâture à l’opinion publique dès qu’il aura retrouvé sa trace.

Dans la partie qui se déroule en Afrique, Komuti observe ces blancs venus de pays lointains pour la chasse aux trophées, leur mépris pour l’histoire et les coutumes de son pays. Komuti est en concurrence avec Apolline et l’organisateur de l’approche, un allemand nommé Lutz, pour chasser ce lion qui, en anéantissant son troupeau de chèvres, a laissé sa famille sans ressources et sans statut social, lui interdisant tout espoir de se marier avec la belle Kariungurua.

Sont en présence deux attitudes parfaitement opposées et inconciliables avec le risque d’une explosion de violence. Martin est un écoanxieux, agissant seul, vite dépassé par ses convictions, Apolline cherche à plaire à son père, gamine usant d’anglicismes, profitant sans trop réfléchir de leur passion commune pour la chasse… et de l’argent de papa. Les deux sont dans des postures qui ne permettent pas d’accéder à des choses plus justes sauf à un moment très bref, lorsque Apolline entre en empathie avec Kariungurua, l’amoureuse de Komuti. Le collier que celle-ci offre à Apolline marque un pont symbolique entre les deux cultures. L’avenir devrait se construire collectivement, dans le respect de la vie, sans ajouter de violence supplémentaire mais lorsque cela n’avance pas assez vite, des individus comme Martin se mobilisent pour le meilleur et pour le pire…

Komuti : « Je longeai quelques supermarchés, des étals de viande suspendues à des crochets sous un toit en paille, puis me laissai guider par la musique que le bottle store hurlait dans tout le quartier, du kwaito d’Afrique du sud. »
Le kwaito est un genre musical apparu dans les townships de Johannesburg au début des années 1990, mélange de house et de rap incluant des références africaines. J’ai choisi un titre apparenté : « khomo tsaka deile kae de Marumo, 1982 »

On sent beaucoup de travail pour écrire ce roman avec une envie d’en mettre assez pour convaincre les amateurs de rebondissements, d’action et de poursuites avec quelques soucis de vraisemblance. L’auteur connaît parfaitement la faune et la flore, il est allé sur place en Namibie se renseigner directement – deux pages de remerciements en attestent. Il nous donne beaucoup de détails sur cet arc de chasse à poulies digne des BD d’anticipation : le Mathews AVAIL, son tunnel de visée et ses flèches meurtrières aux pointes Striker Magnum, donnant de l’intensité à l’action, matière à des allers-retours avec la chasse ancestrale et ses arcs rudimentaires.

La fin amène son lot de surprise, un rééquilibrage dont on aurait pu douter au départ, je n’ai pas été déçu… Le roman policier et thriller est un genre qui, à côté d’un rythme et d’un récit devant faire monter l’adrénaline, véhicule d’une manière ou d’une autre des idées… Celui-ci, en choisissant le thème de la chasse, de l’utilisation des réseaux internet pour agir, une sorte d’action directe – avec sa violence aveugle – face au manque d’action des États, aborde bien des problèmes de notre époque. Sujets passionnants et risqués, une audace qui n’est pas pour me déplaire et qui m’a conduit à ouvrir des sites proposant des séjours safari. Triste expérience des passions tristes que ces photos de trophées dévoilent…

Colin Niel, né en 1976, est un ancien ingénieur agronome et ingénieur du génie rural et des eaux et forêts. Il a travaillé pendant douze ans dans la préservation de la biodiversité, notamment en Guadeloupe et en Guyane, avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Il est aujourd’hui un auteur reconnu du roman noir français. Sa série guyanaise a reçu de nombreux prix : Les Hamacs de carton (prix Ancres noires 2014), Ce qui reste en forêt (prix Sang pour Sang Polar 2014), Obia (prix des lecteurs Quai du polar/20 minutes 2016) et Sur le ciel effondré (Trophée 813 du Meilleur Roman francophone 2019) mettant en scène le personnage d’André Anato, un gendarme noir-marron à la recherche de ses origines. Son roman multi primé Seules les bêtes (2017) a été porté au cinéma par Dominik Moll en 2019, avec Laure Calamy, Denis Ménochet dans les rôles principaux.

Citations

« La sécheresse, certains disent que les Himbas sont condamnés à s’y habituer. Que désormais les années sans pluie ni courant dans les rivières vont devenir la règle, que le Kaokoland tout entier va devenir aussi sec qu’une bouse au soleil, que nous serons contraints de migrer jusqu’en Angola pour trouver de quoi nourrir nos bêtes. »

«  Ce que je me disais à ce moment-là, c’est qu’il fallait que j’aille au bout de mon enquête avant de lui en parler. Qu’une fois toutes les infos réunies, je livrerais la fille à Internet comme on l’avait fait avec d’autres avant ça. »

«  Papa se répandait en excuses, il a essayé de supprimer le compte, d’effacer la photo. Mais c’était trop tard, le coup était déjà parti. J’étais devenue la proie des anti-chasse planqués derrière leurs écrans. Amaury avait beau relativiser, moi j’avais hyper peur, chaque matin je me levais avec l’angoisse de trouver mon nom et mon adresse livrés à ces cinglés, comme c’est arrivé à pas mal d’autres chasseurs ces derniers mois, aux patrons du Super U, à Luc Alphand. »

Notes avis Bibliofeel, mars 2023, Colin Niel, Ente fauves

14 commentaires sur “Colin NIEL, Entre fauves

    1. Merci beaucoup ! C’est un roman très réussi qui se lit à plusieurs niveaux. J’ai apprécié la complexité de pensée qui se dégage petit à petit, sous une agréable écriture.

      J’aime

  1. Bonjour Alain,
    Merci beaucoup pour cette chronique… Comme toujours, j’en ressors plus instruite ! Je ne connaissais pas du tout le kwaito, par exemple !
    Dirais-tu que ce polar est très noir, ou la violence est-elle « supportable » ?
    Bonne soirée,
    Lilly

    Aimé par 1 personne

    1. J’ai beaucoup de mal avec les récits violents. J’avais lu le « Le manuscrit inachevé » de Franck Thilliez et ne l’avais pas mis sur le blog du fait de violences que je trouvais gratuites, n’apportant aucun sens. Rien de cela ici, c’est vraiment largement « supportable » et riche de sens. Bonne soirée également Lilly !

      Aimé par 1 personne

      1. Merci de ta réponse !

        De Franck Thilliez je n’ai lu que « Fractures » qui était déjà plutôt noir à mon goût… Supportable, mais âmes sensibles s’abstenir tout de même… Merci pour ces commentaires sur ce livre de Colin Niel, cela me permettra de savoir à qui je peux le conseiller ou pas !

        Bon dimanche 🙂

        Aimé par 1 personne

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