Mathieu PALAIN, Ne t’arrête pas de courir

Éditions L’Iconoclaste, août 2021

Prix Interallié 2021

432 pages

Alors que déferle une nouvelle rentrée littéraire, je cherche encore ce que l’année passée nous a donné de meilleur, aidé en cela par le temps et les avis qui s’accumulent. Voici un livre de non-fiction (et roman) qui n’avait pas retenu mon attention à sa sortie. Un journaliste raconte le terrible destin d’un enfant de la banlieue… Cet été, le livre a été mis d’autorité au-dessus de ma pile à lire, accompagné de la sentence « il faut que tu lises » et des yeux qui brillent ! Je suis tellement heureux que ce coup de pouce m’ait fait découvrir Ne t’arrête pas de courir. Quelle belle lecture, de celles qui ont illuminé l’instant et que j’intègre dans mon expérience personnelle de la vie à travers la relation improbable d’un journaliste et d’un délinquant.

Il était une fois un enfant parmi les dix-huit autres de la famille, devenu champion d’athlétisme le jour, voleur la nuit.

Il était une fois un journaliste qui pose son regard sur ce jeune et sur son choix d’enquêter sur la prison.

« Je rêvais du détenu parfait, celui qui a été condamné à tort. Je devais le chercher, je suppose, car, juste après ce reportage en nurserie, j’ai entendu parler d’un boxeur américain, Dewey Bozella, qui venait d’être libéré après avoir passé vingt-six ans dans une cellule de la prison de Sing Sing, au nord de New York, pour un meurtre qu’il n’avait pas commis. »

Mathieu Palain s’intéresse à l’énigme Toumany Coulibaly, cet athlète cambrioleur. Il lui envoie une lettre demandant à le rencontrer au parloir de la prison. Un an passe sans nouvelles, puis la réponse arrive. Une relation se crée, bien plus forte qu’un reportage ponctuel. Les vies de l’un et l’autre vont en être profondément modifiées. Un livre est écrit scellant un engagement, interrogeant aussi l’ordre du monde. Le lecteur se passionne, découvre toutes les péripéties de cette histoire hors norme, se fait son propre jugement. Et découvre aussi, s’il ne le savait pas, que l’athlétisme est un sport de pauvre !

« Il hausse les épaules.

– Je ne sais pas. J’avais besoin de fric. J’étais en rééducation à Clairefontaine, je voyais les footballeurs débarquer en Ferrari, en Lamborghini, et moi j’étais là, avec mon survêt de l’équipe de France, pas un euro en poche, j’avais même pas de quoi me payer le kiné. »

Chapeau à Mathieu pour son engagement et à Toumany pour la confiance qu’il a placée dans ce jeune journaliste. Le lecteur a l’impression d’assister à un exercice d’équilibriste. J’ai envie de saluer la formidable intégrité de l’auteur qui se pose les bonnes questions et se met constamment à la place de l’autre, fut-il à priori différent. Si chacun de nous se consacrait à cet exercice, se mettre à la place de l’autre avant de se faire son opinion, la vie pourrait être plus juste et plus belle.

« Tout comme la veuve crédule qui se réveille un beau matin pour constater que le charmant jeune homme s’est envolé avec ses économies, celui qui consent à devenir le sujet d’une œuvre écrite de non-fiction paie au prix fort la leçon qu’il reçoit le jour de la parution du livre. Suivant leur personnalité, les journalistes trouvent à leur traîtrise différentes justifications. Les plus pompeux parlent de liberté d’expression et du « droit du public à savoir », les moins talentueux parlent d’art, et les minables marmonnent qu’il faut bien gagner sa vie. Je n’avais envie d’être aucun d’entre eux. »

J’aime vraiment ce titre « Ne t’arrête pas de courir » car le surdoué de la piste a vu sa carrière se briser après plusieurs années au plus haut niveau et un titre de champion de France du 400 m en 2015. Malgré les années de prison, la carrière de sportif stoppée nette, le titre indique déjà que la vie peut continuer. Mathieu Palain n’écrit pas un livre expliquant le formidable pouvoir de réinsertion de la prison, c’est même l’inverse qu’il décrit. Mais il explique, et s’en étonne même, que dans le cas de Toumany, cela a bien fonctionné. La sortie de prison est très récente, en 2021. Le travail de reconstruction n’est pas terminé mais un joli parcours a déjà été fait.

Le livre montre différentes facettes de la vie carcérale et interroge sur le poids des condamnations à travers l’actualité récente : le maire de Levallois, Patrick Balkany, condamné à quatre ans de prison pour fraude fiscale et à cinq ans pour blanchiment ne passe que cinq mois en détention… François Fillon, deux ans ferme pour détournement de fonds publics : des éditorialistes et avocats parlent de peine sévère… Il a détourné un million d’euros d’argent public. J’y lis à ce niveau que beaucoup d’argent ne sera pas disponible dans les écoles, les hôpitaux, les banlieues, les clubs sportifs… Et une perte de chance pour les plus défavorisés. On croise heureusement, et plus longuement, des hommes et des femmes plus investis dans le vivre ensemble : des dirigeants sportifs, des entraîneurs, des psys… Je dois aussi mentionner ces très belles pages où Mathieu nous parle de sa famille, de son amie d’enfance Lorentxa, étudiante basque brillante, diplômée en ethnologie, « …qui souffre de voir son peuple méprisé et admire ceux qui savent qu’il existe des causes plus grandes que soi. »

La grande force de ce livre est de ne pas juger mais de ne pas être dans la complaisance.

« Qu’un garçon intelligent comme lui accepte des plans aussi foireux, ça m’échappe. C’est comme s’il débranchait son cerveau le temps de prendre la mauvaise décision. »

Une autre force réside dans l’écriture. Le propos aurait pu représenter un témoignage parmi d’autres. Ce n’est pas du tout le cas. On est dans une vraie écriture, dans l’œuvre littéraire. Plus de quatre cents pages qui se lisent d’une traite et le sentiment qu’on a assisté au processus de transformation, à la fois pour le champion-délinquant et pour le journaliste. Une belle et sincère amitié sans laquelle l’œuvre n’aurait pas eu cette puissance.

J’ai envie de partager cette vidéo que l’auteur suggère de voir absolument, « … si possible avec les commentaires ». L’or avec les filles du relais 4 fois 100 mètres, aux mondiaux de Paris en 2003. Il nous prévient avec humour: « Si vous n’êtes pas ému après avoir vu ces filles gagner ensemble, je ne peux rien pour vous. » Le sport est loin d’être le seul thème d’un récit aux multiples facettes mais il est central en dépassement de soi, en exemplarité, en leçon de vie… Et si vous êtes ému-e-s, lisez ce livre si ce n’est déjà fait.

Notes avis Bibliofeel août 2022, Mathieu Palain, Ne t’arrête pas de courir

10 commentaires sur “Mathieu PALAIN, Ne t’arrête pas de courir

  1. Ce n’est pas forcément le type de livres que je lirais spontanément mais ta chronique est capable de persuader le plus dubitatif des lecteurs :-). Merci beaucoup. Et c’est sympa de commencer la journée en entendant l’enthousiasme de Patrick Montel commentant cette mémorable course !

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