Avoir vingt ans en 1914
Paru en novembre 2020, Éditions L’Harmattan
Romans historiques, Série XXe siècle
« On oubliera. Les voiles du deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L’image du soldat disparu s’effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qu’il aimait tant… Et tous les morts mourront pour la deuxième fois » Roland Dorgelès
Cet exergue indique bien qu’Yveline Le Grand ne se résout pas à l’oubli et nous incite, avec ce livre à la couverture lumineuse, à ne pas oublier.

P’tit Louis détonne dans cette famille de bûcherons travaillant le bois – coupe, sciage, écorçage – depuis des générations. Ce qu’il aime c’est réaliser des broderies avec sa grand-mère, il voudrait devenir tailleur d’habit ou brodeur. Son père ne l’entend pas ainsi et le traite de fainéant, de mauviette, de poltron. Il lui donne le choix entre travailler au bois avec lui ou bien partir définitivement de la maison. Pour prouver son courage et parce qu’il n’a pas pu se résoudre à ne plus revoir sa grand-mère, il s’engage dès le début de la guerre en août 1914. Il a vingt ans !
A partir de là le lecteur va réellement vivre le quotidien de la guerre, les blessures visibles et invisibles, les amitiés qui maintiennent l’espoir de vivre autre chose, après ce que certains soldats veulent voir comme « une parenthèse » dans leur existence. Léon Ollivier est l’ami plein de vie, il chante – on l’a surnommé Rossignol – et rêve un avenir de bonheur partagé avec Suzie qui l’attend là-bas en Bretagne pour se marier :
« – Il faut rêver P’tit Louis. Il faut penser à demain, à après-demain et au jour d’après encore. Ici P’tit Louis ce n’est pas la vie. C’est une parenthèse. Il ne faut juste pas la laisser se refermer. Une parenthèse… P’tit Louis haussa les épaules. Ça pouvait bien être une très longue parenthèse, oui. »
Roman historique et roman d’action, inspiré de faits réels, La parenthèse montre au lecteur ce qu’aucun livre d’histoire ne peut montrer, sur des aspects peu relatés du conflit. En passant par la fiction Yveline Le Grand nous touche à chaque page sans forcer sur l’horreur de la grande boucherie qui serait simplement repoussante. Le lecteur est immédiatement au côté de ce gamin à qui on a donné un fusil, une baïonnette, des grenades…, qui ne mange pas souvent à sa faim, dans le froid et la peur… avec la gnôle distribuée largement, refusée au départ avant de faire avec pour se réchauffer de la mort environnante.
J’ai vu des expositions lors du centenaire commémoré entre 2014 et 2018. Les lettres de poilus ont été recherchées, montrées, lues à la radio. L’autrice historienne y a participé mais ce livre est encore un cran plus fort pour appréhender une réalité qui nous échappe facilement. Après cette guerre, beaucoup ont dit « plus jamais ça », et plus on oublie petit à petit. Ce livre, très bien conçu, vient nous rappeler les souffrances endurées par ces jeunes, la peur, les blessures, les traumatismes psychiques irrémédiables.
C’est très bien écrit, avec l’apparence de la simplicité des écrivains qui savent où ils vont, et juste ce qu’il faut pour concevoir la dureté du quotidien de ces jeunes gens, mais aussi la réalité des amitiés fortes et les solidarités. Yveline Le Grand utilise les mots de l’époque – fusant, shrapnel, marmite, crapouillot, fourneau de mine, torpille, percutant, artiflot, sape –, des expressions d’alors, l’argot aussi, prouvant qu’il ne suffit pas de mettre des noms sur un monument aux morts sur une place, la lecture de ce récit permettant de redonner une humanité à ces combattants et quelque part, par la mémoire de ces années atroces, pouvant nous inciter à œuvrer à la concorde entre les peuples.
« – La tactique ici, c’est d’faire exploser plusieurs mines sous la ligne ennemie et d’partir à l’assaut, expliqua Monnier. Un coup c’est nous, un coup c’est eux. Celle-là, c’était une mine à nous, ajouta-t-il en embrassant du geste l’entonnoir qu’ils occupaient. C’te fois-là, on leur a bien grignoté 50 mètres. »
Jamais je n’avais aussi bien visualisé l’organisation (si l’on peut dire…) des tranchées, l’attente des assauts. On traverse ainsi, en compagnie de P’tit Louis, les quatre années de guerre puis l’impossible retour à la vie civile.
Les titres des chapitres plantent le décor (j’ai ajouté entre parenthèse les lieux indiqués dans le livre, là où ont eu lieu les combats les plus meurtriers) : 1. La retraite, fin août 1914 (les rives de la Sambre) ; 2. La convalescence ; 3. En Argonne, juillet 1915 (arrivée en gare de Sainte Ménehould, la forêt d’Argonne va constituer une zone de combats féroces entre les deux zones majeures que sont à l’ouest la Champagne et à l’est Verdun) ; 4. Le front, été 1915 ; 5. Le temps des relèves, automne-hiver 1915-1916 ; 6. Verdun 1916 (fort de Fromeréville au pied des hauteurs de Mort-Homme, caserne d’Anthouard, fort de Thiaumont) ; 7. La nouvelle escouade, 1917 (de Melun à la Somme à pied) ; 8. Vers l’Allemagne, 1918 ; 9. Le retour en France, automne 1918 ; 10. La vie civile, automne 1921.
Yvelyne Le Grand est historienne, docteur en archéologie. Ce roman est l’ultime étape d’un projet consacré à 14-18 qui a compté une exposition à partir de documents originaux et un ouvrage « Des bretons dans la Grande Guerre. Les 89 soldats de Quéménéven morts pour la France » paru en 2015, retraçant le parcours de ces soldats du Finistère dans le contexte de la Grande Guerre. Autant dire que « La parenthèse » est un récit parfaitement documenté.
L’autrice a su trouver le ton juste, c’est un livre que je conseille. La lecture est édifiante et suscite toute une riche palette d’émotions. Merci à l’Harmattan pour cette belle découverte permettant d’appréhender le vécu d’un soldat de vingt ans pendant la guerre 14-18 tout en lisant une œuvre de fiction très plaisante.
Notes avis Bibliofeel janvier 2021, Yveline Le Grand, La parenthèse
Autres citations :
« Il sentit la brûlure intense dévorer ses boyaux. « Tu n’es pas un homme si tu ne supportes pas l’eau-de-vie ». L’eau-de-vie, qui de l’avis de P’tit Louis portait bien mal son nom. C’était un sujet fréquent de moquerie quand il aidait son père au bois. P’tit Louis n’aimait ni l’alcool, ni le goût âcre de la piquette. Mais ici, il faisait contre mauvaise fortune bon cœur. Le pinard était la seule boisson dont on disposait abondamment. Il regrettait la bière des Belges et plus encore le bon cidre pressé à la ferme. »
« – Je m’en vais écrire à Suzie. « Poilu qui écrit, poilu qui vit. Poilu qui chante, poilu qui rentr’. Poilu qui pleure, poilu qui… » chantonna Rossignol en s’éloignant. »
Merci pour cette lumineuse chronique et aussi de remettre ce genre de livre au premier plan Alain !
Les années passent, les témoins disparaissent petit à petit, la transmission s’efface un peu (beaucoup), et certains ignorants refont l’Histoire. La paix et la liberté sont, tous les jours, à reconquérir 🙂
À bientôt.
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Merci pour ce lumineux commentaire qui me ravi. Tout à fait d’accord pour cet effort à faire absolument…et toujours…pour la paix et la liberté. Bonne année et belles lectures
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L’autrice semble offrir à son lecteur une vraie plongée dans les tranchées.
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Pas seulement. On plonge dans le quotidien, les sentiments, amitiés, peurs, espoirs. Le livre se lit facilement, il est difficile de le lâcher une fois qu’on a commencé. Il conviendrait parfaitement à la jeunesse pour découvrir la réalité de cette guerre et la réalité de la guerre. Merci pour ta lecture et commentaire !
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Un livre visiblement important ! Il me fait penser à À l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque, sans doute serait-il intéressant de faire le parallèle entre des récits français et allemands, d’historien(ne)s et de témoins de cette époque. Car la souffrance humaine est bien la même…
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C’est tout à fait comparable effectivement mais du côté français. On retrouve les mêmes thèmes même si Yveline Le Grand est sur le quotidien des émotions et développe peu sur la nature de la guerre. C’est un livre important car s’il y a eu des livres de témoignage de Maurice Genevoix, Roland Dorgelès, Henri Barbusse, Jean Giono… Il y a eu peu de fictions ensuite parcourant toutes les années de guerre. Yveline Le Grand serait heureuse d’être comparée à EM Remarque.
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La diversité des récits permet en effet de toucher un public plus large et d’explorer le même sujet sous des angles différents, afin que chacun et chacune y trouve « son compte » (même si l’idéal aurait bien sûr été de ne pas avoir à relater ces événements tragiques).
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Le livre qui m’a le plus marqué sur l’époque, et que j’ai lu, relu, rerelu jusqu’à en faire un de mes livres de chevet, c’est le voyage jusqu’au bout de la nuit de L-F C. Je l’avoue, plus pour l’écriture (dont je suis tombée amoureuse) que pour les faits historiques.
Là, j’ai lu l’excellente chronique (comme toujours) en me disant, ce « gamin » pourrait être mon arrière grand père…. Les poilus, les tranchées…. c’est notre grand-mère qui racontait ce qu’ ‘on lui avait raconté….
Avoir 20 ans à une époque aussi importante de l’histoire… où la vie continue (malgré tout)… Et là on est dans l’émotion, dans l’humain au quotidien. C’est ce qui me tente.
Merci Alain. Noté.
Re bonne journée. A bientôt.
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Merci Solène. Je suis ravi, enchanté par tes retours. J’ai effectivement oublié Céline – dans un commentaire précédent – qui lui aussi a vécu la guerre de 14-18. Voyage au bout de la nuit va bien au-delà d’un récit de la guerre et le style est remarquable, évidemment. Je pense qu’Yveline Le Grand serait ravie si elle lisait ces echanges et les auteurs évoqués. 😀. Belle journée à toi !
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Merci infiniment pour cette riche recension de mon premier roman. Je suis vraiment très touchée de lire votre chronique et les commentaires de vos lecteurs. Mon objectif était, comme le dit, une de vos lectrices de « toucher un public plus large » que les livres d’Histoire, je ne doute pas que cette chronique y contribue. Merci à vous.
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Et moi, je suis infiniment touché d’avoir un commentaire sur ce blog de l’autrice elle-même ! Enchanté d’avoir lu votre livre. Je confirme qu’il est bienvenu afin de toucher un large public, tout âge confondu. Quand j’ai commencé ce blog, il y a presque deux ans, j’étais loin de penser qu’il m’amènerait des échanges aussi riches avec les lecteurs, et encore moins avec des écrivains… Je suis honoré et ravi, un grand merci à vous ! Belle journée et bonne année littéraire et autre !
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Très intéressant merci. Je vais me procurer l’ouvrage.
(il y a quelques années, j’ai lu un bouquin racontant l’histoire du dernier mort de la guerre 14 ; édifiant ; je crois que le titre est « 10H58 », mais je n’en suis plus certain)
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Je ne connais pas cette histoire mais je viens de voir qu’un certain Auguste Renault a bien été tué à 10h58 le 11 novembre 1918 – ce doit être le sujet du livre dont tu parles -, soit quelques minutes après Augustin Trébuchon auparavant considéré comme le dernier mort de cette hécatombe. Il y aurait donc débat d’historiens pour l’attribution de ce titre désolant.
« Non, mais sérieusement ! »
Merci pour ton passage sur mon blog et belle soirée !
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