Mick KITSON, Poids plume

Éditions Métalier, publié en août 2022

Bibliothèque écossaise dirigée par Keith Dixon

Traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller

366 pages

La gazania recherche le soleil et il s’adapte bien à la sécheresse. Association inconsciente avec le caractère des personnages ? Ou rapport avec l’omniprésence de la nature dans le livre ?

Annie Perry, l’héroïne, raconte son abandon par sa famille gitane, trop pauvre pour l’élever dans cette fin du XIXe siècle. Elle est vendue à un champion de boxe à mains nues, William Perry dit Bill, un géant ne connaissant que le langage de la force, la chope de bière à la main quand il ne se bat pas, mais au cœur tendre avec les siens. Elle trouve là un foyer, s’initie à la boxe, côtoie les filles du révérend Warren, Esther et Judith, apprend à lire la Bible puis les poètes romantiques William Wordsworth et Burns. Quatrième de couverture : « Entre coups de poing et coups de cœur, fêtes foraines et matchs de boxes illégaux, une aventure réjouissante où l’art de l’esquive, la souplesse et la rapidité de poids plume d’une héroïne sauvage et attachante l’aideront à contourner la noirceur de la révolution industrielle et à partir à la découverte des États-Unis. »

Voici un récit à la Dickens, d’ailleurs le révérend se nomme Warren tout comme la manufacture où Charles Dickens, à douze ans, colle des étiquettes sur des pots de cirage. C’est un plaisir pour moi de voir revivre sous une nouvelle forme et des messages actuels, la mode des feuilletons hebdomadaires ou mensuels, publiés à cette époque dans les journaux, dont Dickens a été un des initiateurs. J’ai ressenti un plaisir de lecture comparable à celui de la trilogie de Pierre Lemaitre « Les enfants du désastre » ou au récit de Hwang Sok-yong, « Shim Chong, fille vendue ».

Les chapitres, assez longs au début, permettent d’installer le lecteur dans un contexte historique puissant – révolution industrielle, mines, manufactures de clous, forges, luttes pour les conditions de travail… Ils deviennent beaucoup plus courts à la fin, quand l’action atteint son paroxysme. Chaque épisode se termine par une phrase relançant l’action, ce qui m’a rendu impatient de lire la suite.

Les péripéties ne manquent pas, rythmées par des combats de boxe épiques, organisés pour gagner un peu d’argent, au départ avec Bill Perry, dit le Slasher de Tipton. On assiste ensuite à un superbe pseudo-combat de boxe entre Annie et un jeune boxeur professionnel, Jem Mason, se terminant par… une histoire d’amour, alors qu’Annie remplace à la dernière minute son père adoptif vieillissant. Commence une belle épopée avec le jeune couple, Bill et sa compagne Janey ainsi que leur manager Paddy. Le récit enchaîne maintes épreuves à affronter avec la force de l’amitié, de la fidélité, du courage. Le mystère surgit avec ce voleur détroussant les riches, connu sous le nom de « Black Cloak »- la Cape noire…

Le portrait de Bill est remarquable en vieux boxeur sans le sou, patron de bar à bière sur le port de Tipton, oubliant de faire payer les consommateurs, boxant tous ceux qui manquent de respect à la reine d’Angleterre – un portrait de la jeune reine est accroché au-dessus de la cheminée dans son bar The Champion of England – et aimant sa protégée, son Annie plus que lui-même.

La nature est très présence dans le récit. J’ai découvert notamment l’euphraise ou « casse-lunettes » en raison de ses propriétés bénéfiques pour les yeux. Extrait : « On allait aussi cueillir des euphraises pour faire des cataplasmes à base de pomme écrasées que Bill devait mettre sur ses yeux. Les euphraises sont les plus belles fleurs de la prairie et elles poussaient dans les herbes sèches de la lande. »

La traduction me semble réussie, cela n’a pas dû être simple, l’auteur ayant placé le langage de chacun au centre du récit. Annie et Bill parlent avec des tournures orales et des incohérences liées à leur absence d’éducation. Le texte à lui seul rend compte du fossé culturel entre une famille de roms et la bonne société anglaise. Par exemple avec des phrases aux négations jamais complètes : « Y avait jamais de paix ni d’air pur », les phrases se terminant par « et tout » : « … je vivais dans un bar à bière et tout. » Le texte s’affine à mesure qu’Annie échappe à sa condition première. Maniant l’écrit, elle passe de l’autre côté et j’avais l’impression de l’accompagner dans ce long cheminement.

Ne pas se tromper, ce n’est pas du tout un livre sur la boxe ! Celle-ci est une toile de fond utile pour illustrer la ténacité dont doivent faire preuve les personnages principaux, surtout les femmes, très à l’honneur ici, « gazilles » et « fenottes »… Elle illustre le combat de survie des plus faibles, des pauvres, des manouches et particulièrement des femmes et des enfants au cœur du capitalisme naissant. La boxe est une chorégraphie, une friction de destins.

Mick Kitson est né au pays de Galles et a étudié l’anglais à l’université avant de lancer un groupe de rock The Senators dans les années 80, avec son frère Jim. Journaliste pendant plusieurs années, il est devenu professeur d’anglais. Il vit en Écosse. Il est l’auteur de Manuel de survie à l’usage des jeunes filles (Métailié, 2019) et d’Analphabètes (Métailié, 2021).

J’étais plutôt dubitatif avec cette couverture « aux gants de boxe ». Je donne l’auteur vainqueur avec ce dernier coup que je n’avais pas vu venir, lorsqu’il explique qu’Annie Perry était le nom de son arrière-grand-mère dont la fille, grand-mère de l’auteur, avait fabriqué une mythologie familiale comprenant une multitudes d’histoires dont aucune selon lui n’était vraie. Il écrit : « Je la remercie de m’avoir transmis l’envie et la capacité d’inventer des histoires. »

Dire que j’ai aimé ce livre serait en dessous de la réalité. Pour une fois je ne prends pas de gants pour dire que je conseille cette lecture, qui est de celles qui font du bien !

Autres citations :

« Il y avait trois forges juste un peu plus haut et de l’autre coté du chenal, l’usine sidérurgique où ils laminaient des feuilles de tôle et découpaient des plaques carrées sans interruption avec des marteaux-pilons à vapeur. Le fourneau qu’il y avait là-bas rendait le ciel orange toute la nuit et de grosses étincelles dansaient dans la vapeur avant de se recroqueviller et de retomber comme les feuilles perdues par un arbre en fer chauffé à blanc. »

« M. Burns avait eu le cœur brisé par une jeune fenotte écossaise et il avait souffert pendant tout ce temps et j’adorais ces mots : « Tu me brisera le cœur, toi l’oiseau qui gazouille, qui erre joyeusement dans les épines en fleurs. » Et je me suis dit que c’était la chose la plus triste et la plus belle, qu’il y avait des épines en fleurs dans nos vies et des épines en fleurs dans la lande. Une fleur et une épine ensemble c’est ce qu’on connaît dans la vie et en amour aussi. »

« J’aimais les livres de M. Dickens parce qu’il parlait bien des pauvres et de ceux qui étaient victimes des cruautés du destin alors qu’ils avaient rien fait de mal. »

Notes avis Bibliofeel octobre 2022, Mick Kitson, Poids plume

14 commentaires sur “Mick KITSON, Poids plume

  1. Bonjour,

    Cela fait le 2e avis très enthousiaste que je lis sur ce titre, et qui me tente presque. Je dis « presque » car j’ai été très déçue par le précédent titre de cet auteur (« Manuel de survie à l’usage des jeunes filles ») : l’avez-vous lu ?

    Bonne journée,

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    1. Je pense que la production d’un auteur n’est pas uniforme. L’inspiration est là ou pas. Le moment de la rencontre est propice ou non aussi avec le lecteur. Je n’ai rien lu d’autre de Mick Kitson et je vais en rester sur cette magnifique vision pour l’instant 😊

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  2. En te lisant, je voyais des scènes de cinéma, de celles qui ont traduit Dickens et les quartiers sombres de Londres sur la toile avec cette photographie clair obscur et cette ambiance de fin 19e, ces objets du passé, ces « gueules ». Et puis il y a cette survie si difficile, toujours d’actualité malgré le vernis et les apparences, trompeuses. Ce monde a vraiment du mal à évoluer.
    Avec le précédent article, deux livres qui se télescopent à bientôt un siècle et demi d’intervalle.
    Deux très bons articles Alain. Merci

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    1. Merci a toi Alan pour ta lecture et commentaire tout à fait juste. Le monde a du mal à évoluer… J’aime bien ta phrase car elle contient encore de l’espoir. D’ailleurs dans Poids plume se mettent en place des luttes ouvrières et l’église ouvre une école pour les pauvres…

      J’aime

    1. Elle illustre parfaitement le récit. Il y est question de boxe mais le sujet principal est la lutte pour s’en sortir à une époque et un environnement hostiles. Il faut lire le livre pour apprécier cette belle couverture. Moi, j’ai adoré !

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  3. Bonjour Alain,

    Quelle n’a pas été ma joie de voir que tu avais rédigé un article sur ce roman qui faisait partie de mon « repérage » de la rentrée littéraire !

    Merci de souligner l’important travail de traduction de cet ouvrage, qui a visiblement dû être délicat…

    Ce livre semble avoir une ambiance vraiment particulière, difficile à se représenter sans l’avoir lu en entier.

    Merci et à bientôt,

    Lilly

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    1. Merci lilly pour ton enthousiasme. J’ai appris hier que « Poids plume » est un des six romans retenus pour le prix Jules Rimet. Il y est plus question d’histoire et de féminisme que de sport mais comme c’est un roman remarquable j’aimerais beaucoup qu’il reçoive un prix, ce qui lui donnerait un peu plus de visibilité. Bonne semaine et à bientôt. Alain

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        1. Ton retour m’incite à compléter mes renseignements sur ce prix. Je tombe alors sur ce site du Red Star, club de foot de banlieue nord de Paris. J’ai envie de partager ce qui est expliqué car je trouve la démarche intéressante – mais inattendue pour moi – concernant un sport dans la tourmente du fric et des affaires (coupe du monde de la honte en vue…). On vit un monde étonnant, non ? Pour la petite histoire c’est un membre du jury, François-Guillaume Lorrain, rencontré au salon du livre de Tours, qui m’a renseigné sur la sélection de Poids plume pour ce prix. A suivre, prix en novembre ! J’espère que Poids plume aura le prix même si je pense que le football est mal structuré et souffre d’une professionnalisation étouffant toute la compétition. Pardon pour cette longue réponse !

          « À l’initiative du Red Star et créé en 2012, le prix Jules Rimet met en lumière la littérature sportive qu’elle soit française ou étrangère. Cette célébration est destinée à promouvoir la littérature sportive et favoriser la pratique de la lecture dans les quartiers populaires.
          Lancé il y a maintenant onze ans, le prix Jules Rimet continue de récompenser les auteurs et autrices qui immortalisent la beauté du sport. Au programme, six ouvrages dans lesquels il est question de courage, d’identification, d’utopie, d’apprentissage, d’engagement, de communion. Six livres où l’émotion perle au fil des pages. Six livres qui nous rappellent que le sport est bien plus qu’un spectacle : une culture, une mémoire.
          Le Jury composé de Hafid Aggoune, Nicolas Baverez, Abdel Belmokadem, Raymond Domenech, Laurence Fischer, Paul Fournel, Patrice Haddad, Julia Kerninon, François-Guillaume Lorrain, Léonore Perrus, Virginie Troussier (lauréate 2021) et Yves Rimet, se réunira en novembre, pour désigner le ou la lauréat·e parmi les six finalistes. Un maillot du Red Star sera donné au vainqueur, comme le veut la tradition.
          Le prix littéraire a été créé par l’Association Jules Rimet – Sport et Culture. Depuis 2012, le Prix Jules Rimet rend hommage à cet homme de conviction qui a structuré et professionnalisé le football mondial.
          Parallèlement au Prix, qui célèbre les noces du sport et de la littérature, les Ateliers Jules Rimet proposent des stages d’écriture aux jeunes des clubs de football (Red Star, Olympique Lyonnais, Olympique de Marseille). »

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          1. Waouh, merci pour toutes ces précisions Alain, c’est très intéressant ! Comme quoi, tout est question de nuances, et le football n’est pas que « du fric et des affaires », et apporte sans nul doute beaucoup à de nombreuses personnes 😉

            Je ne connais pas la majorité des juré·es… (« Scarlett » de François-Guillaume Lorrain et « Liv Maria » de Julia Kerninon m’intriguent pas mal, d’ailleurs…)

            L’idée des stages d’écriture pour les jeunes est super, quelle belle alliance du sport et de la littérature !

            « Ne t’arrête pas de courir » de Mathieu Palain, que tu as joliment chroniqué, pourrait sans doute figurer dans les listes de ce prix.

            Encore un grand merci et à très vite,

            Lilly

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