Sami NOURI avec Olivia KARAM, La machine à coudre

Sous-titre : De l’Afghanistan en guerre aux défilés de haute couture

Éditions Robert Laffont, publié en septembre 2022

322 pages

Voici une autobiographie dont je me souviendrai ! Histoire aussi d’une machine à coudre permettant à une famille de survivre en Iran et à un père de transmettre très tôt, à son plus jeune fils, un savoir faire précieux qui le fera remarquer rapidement en France et le propulsera, en quelques années, créateur de mode, domaine élitiste s’il en est…

Sami Nouri est né en 1996, l’année de la prise du pouvoir des talibans. Il a vécu en Afghanistan avec sa famille, jusqu’à ses cinq ans, dans une seule pièce servant aussi bien de logement que d’atelier de couture. Comment ne pas avoir le cœur serré au récit de l’enlèvement du frère de Sami, martyr des talibans à dix-sept ans – en représailles au refus du père de leur donner toutes les économies tirées de sa petite épicerie –, puis de la fuite de la famille après le drame, vers l’Iran, à peine plus accueillante. En tant que réfugiés, ils n’ont pas de papiers, les enfants ne peuvent pas être scolarisés et Abbas, son père, se ferait arrêter s’il cherchait à travailler à l’extérieur. La machine à coudre a fait le voyage, permettant de reprendre une activité de tailleur au nouveau domicile – en Afghanistan ou en Iran beaucoup d’hommes exercent cette profession. En 2009, face à l’absence d’avenir, un nouvel exil est décidé. Début d’un voyage en camion, ensuite à pied, en ne buvant et mangeant que rarement, aux bons vouloirs des passeurs, vers la Turquie. Mais ensuite le voyage vers l’Europe n’est pas possible pour les quatre membres de la famille. Sami doit partir en avion avec un passeur, ses parents et sa sœur devant le rejoindre sous une semaine. Ce sera plus compliqué… Fin de cette première partie : Sami est abandonné seul, à quatorze ans, devant la gare de Tours, sans aucun repère.

Sami Nouri a actuellement 26 ans et sa propre marque de haute couture « Sami Nouri Paris ». Seulement douze années pour réussir cette incroyable intégration ! Je ne doute pas qu’il soit tombé sur les bonnes personnes pour faire ce chemin dont les étapes sont passionnantes à découvrir dans le livre. Il le doit certainement à sa personnalité hors du commun, à sa créativité et à des professeurs, des familles d’accueil au grand cœur. Arrivé à quatorze ans à Tours dans un pays dont il ne connaissait ni le nom ni la langue, il a pu être admis au collège Jules Ferry dont le nom est le symbole d’une école ouverte à tous dans une classe réservée à une quinzaine d’élèves « non scolarisés antérieurement » et dont le français n’est pas la langue maternelle, puis au Lycée François Clouet en bac pro couture… Motivé et soutenu par des professeurs exemplaires, il va obtenir des stages chez John Galliano et Jean-Paul Gaultier qui lui ouvrent de nouvelles portes.

« Tous nous étions des réfugiés issus de différents pays : Tchétchènes, Indiens, Iraniens, Arméniens, Syriens, Algériens… Aucun d’entre nous n’avait jamais mis les pieds à l’école et pas un ne s’exprimait en français. Pourtant nous formions un groupe génial parce que nous voulions tous progresser et réussir à nous faire comprendre pour nous intégrer. »

Le style est simple et on est vite happé par le parcours de ce jeune hors norme. L’originalité se présente entre chaque chapitre, sous la forme d’un paragraphe personnifiant la machine à coudre, à la fois amie, souvenir des temps heureux, lien avec la famille – surtout ce père aimant qui a transmis une grande force à son fils –, lien avec le pays natal, moyen de survie et espoir d’une nouvelle vie dans le pays d’exil.

« Lorsque j’ai fait avec toi mes premiers pas de tailleur, en Iran, alors qu’avant moi mon père t’avait faite à sa main et utilisée des heures et des heures, j’ai eu du mal à trouver mon rythme et ma posture, mes repères et mes habitudes sur le métal froid de ta carapace. Mais j’ai appris à te faire ronronner comme un gros chat et à te rendre souple et douce. »

Une expérience heureuse, celle de quelques miraculés qui ne doit pas cacher bien d’autres parcours tragiques… de ceux qui n’arriveront jamais, de tous ceux qui ne cochent pas les bonnes cases. L’ascension de Sami a été unique. Il est de plus en plus visible dans les médias – l’entendre s’exprimer dans un bon français, avec gentillesse et retenue, lors des interviews parachève heureusement le récit ainsi que ses merveilleuses créations. J’espère vraiment qu’il saura se préserver des écueils liés à cette célébrité naissante.

C’est pour moi un livre utile rappelant que de nombreux exilés participent à construire l’image d’une France des arts, de la liberté et des droits de l’homme. Si l’expérience de Sami Nouri est extraordinaire, si on a besoin de ces récits « contes de fées », cela ne doit pas servir à faire circuler des clichés faciles, du genre si on veut vraiment, on peut y arriver. Je l’ai lu comme un témoignage d’un parcours singulier et d’une solidarité exemplaire pouvant exister malgré des services sociaux et des écoles de la République manquant souvent de moyens – lire à ce sujet le livre édifiant de Léonora Miano « Stardust » –. Je suis reconnaissant et fier de tous les agents des services sociaux, professeurs et familles d’accueil ayant permis qu’un tel rêve se réalise, quand une machine à coudre parvient à recoudre une vie…

Notes avis Bibliofeel février 2023, Sami Nouri avec Olivia Karam, La machine à coudre

6 commentaires sur “Sami NOURI avec Olivia KARAM, La machine à coudre

  1. Merci pour cet article très clair et qui donne un exemple très positif d’intégration. Cela fait du bien. Comme tu le dis, ce jeune afghan est d’abord responsable de sa ŕéussite mais il faut aussi y associer tout l’accompagnement dont il a bénéficié à Tours, scolaire, logement…

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    1. Exactement, cela fait du bien de lire une expérience d’intégration réussie et d’observer les éléments qui ont permis cette réussite. Merci beaucoup pour ce retour. Un livre que je n’avais pas vraiment programmé pour mon blog de mes livres essentiels mais là encore Sami Nouri s’est imposé par lui-même et j’en suis très heureux. 😊

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  2. Je te rejoins pour souligner et valoriser ces métiers de l’accueil social et de l’enseignement .
    C’est dur de vivre dans un pays sans maîtrise de sa langue. Il y a des gens qui jugent, voire agressent des gens qui ont pourtant un potentiel. Cela se fait sur le faciès, le langage non maîtrisé, l’apparence. Le rejet d’un individu différent, quelqu’il soit est vraiment trop facile et même, pour moi, une insulte à l’intelligence et à notre humanité.
    Merci pour tes choix de livres qui nous apportent un regard différent sur notre passé commun.

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