HWANG Sok-yong, La route de Sampo

La route de Sampo

Lu dans l’édition Picquier poche parue en octobre 2017

Traduit du coréen par Jean-Noël Juttet

138 pages

La pivoine est utilisée comme plante médicinale dans la médecine traditionnelle chinoise, où sa racine pelée, découpée en tranches est connue en tant que matière médicale. Ses fonctions traditionnelles sont d’enrichir le sang, consolider le yin, réguler le foie et calmer la douleur, ce que la littérature parvient peut-être à réaliser quand elle est à ce niveau…

L’auteur a choisi lui-même les nouvelles de ce recueil, écrites dans les années 1970. Elles sont en partie autobiographiques et donc parfaites pour découvrir Hwang Sok-yong si vous ne connaissez pas encore cet immense auteur coréen, ce qui était mon cas avant de le trouver sur le blog USVA dans une de ses superbes chroniques sans frontières.

La première histoire « Herbes folles » parle de souvenirs d’enfance dans les années 1950 (l’auteur avait sept ans) lors de la guerre fratricide qui a ravagé la Corée et conforté la partition du pays. J’ai aimé vivre, à travers le regard du petit garçon, la touchante complicité s’instaurant avec Taegeum, la jeune fille employée de maison. Comme souvent chez cet auteur, on sent une forte empathie pour ses personnages féminins dont il excelle à décrire la difficile condition, à partir de leur quotidien, dans son écriture réaliste mais prenant en compte les points de vues de chaque personnage.

« Taegeum m’emmenait souvent dans des lieux extraordinaires. Assis sur ses genoux, j’ai vu pour la première fois de ma vie un chaman danser autour d’un sabre, la pointe dressée vers le ciel. »

La nouvelle Œils-de-biche aborde le malaise du retour au pays de soldats coréens qui se sont engagés au côté de l’armée américaine au Vietnam, ce que l’auteur a réellement vécu en 1966-1967.

« Un jour au retour d’une expédition, je m’étais mis à trembler comme une feuille. Je m’étais tapi dans un coin et bouché les oreilles. Les autres essayaient de me faire parler, mais je n’arrivais pas à sortir un mot. Pendant trois jours, je n’avais pas pu mettre le nez dehors. J’avais peur de tout, je doutais même de la solidité de la terre sous mes pieds… »

Le bateau vient de les ramener en Corée, l’art de l’écrivain est de capter ce temps suspendu lors de la première virée en ville, dans l’attente du train qui va les ramener chez eux. La sexualité, à travers les contacts avec les prostituées, est abordée comme une violence supplémentaire dans un pays divisé et hostile, où la prostitution est dopée par la guerre et l’afflux des étrangers :

« Vous savez, lui a calmement expliqué le musclé, dans les bars à proximité du port, les bons clients, c’est les étrangers. Ils sont sensibles sur la question de la race. Ils aiment pas trop les Asiatiques. Dès qu’un coréen pointe le nez, ils fichent le camp ailleurs. Et nous, on reste sur le carreau. »

Les ambitions d’un champion de ssireum : Llbong est un costaud reconnu dans son village pour ses talents dans cette forme de lutte spécifiquement coréenne, le ssireum. Il doit quitter le village après la mort de sa mère mais les nouvelles rencontres à la ville sont lourdes de désillusions. A travers cette histoire ce sont les mutations culturelles des années 1970 qui sont évoquées, la perte des traditions et la difficulté de trouver un équilibre dans ces nouveaux codes qui se sont imposés. Llong est engagé comme acteur et se rend compte avec retard qu’il doit jouer dans un film porno. Il tombe amoureux de l’actrice et part avec celle-ci vivre un improbable amour.   

La route de Sampo : Hwang Sok-yong s’est inspiré d’un épisode de sa vie quand, après avoir participé à une manifestation d’étudiants interdite, il s’est retrouvé en prison. Libéré en même temps que son compagnon de cellule, un ouvrier, ils partent tous les deux sur la route. Ici, deux ouvriers, Yongdal et Jong, cherchant du travail, vont faire la route avec une prostituée nommée Baekwha. Un dernier portait touchant juste. Le froid, la neige, l’incertitude du lendemain font de cette courte histoire un bijou de réalisme et d’humanité envers les déshérités cherchant un meilleur destin. Je l’ai lue en pensant à Charlie Chaplin et la célèbre image de Charlot avec « la gamine », vus de dos, s’éloignant sur le chemin… J’ai adoré la poésie qui se dégage de l’histoire à travers les descriptions de paysages enneigés :

« Ils prirent la route du bas. Elle devint plus étroite, permettant juste à un char à bœuf de passer, avec d’un côté un ruisseau, de l’autre des champs de cailloux. Une épaisse couche de neige recouvrait déjà le chemin. Derrière eux, leurs empreintes les poursuivaient obstinément. »

Ecrivain coréen, Hwang Sok-yong est né en 1943 en Mandchourie. A la Libération (1945), la famille vient s’installer à Pyongyang, capitale de la partie nord de la péninsule coréenne, placée sous contrôle soviétique. En 1948, sa famille passe au sud, sous contrôle américain, où le père a trouvé du travail. Témoin attentif de l’évolution sociale et politique de son pays, il puise dans les turbulences que traverse la Corée dans la seconde partie du XXe siècle, la matière de ses essais, romans et nouvelles. Hwang Sok-yong ne cesse de lutter, aux coté des intellectuels et des étudiants, contre les régimes dictatoriaux qui se sont succédés à Séoul jusqu’à la fin des années 1980. Pour avoir voulu dialoguer avec la Corée du nord dans le cadre d’un congrès d’écrivain, il connaîtra plusieurs années d’exil et même une condamnation à la prison en 1993. Il est maintenant un écrivain reconnu dans le monde entier, ce que je trouve amplement mérité au vu de ce recueil et de Shim Chong, fille vendue, un roman porté par le souffle de l’histoire de toute l’Asie orientale dont je parlerai dans ma prochaine chronique.

Je suis vraiment ravi d’avoir découvert cet écrivain. Je vais poursuivre la découverte, c’est sûr. Je peux même dire qu’il y aura, pour moi, un avant et un après Hwang Sok-yong qui m’a rendu cette partie du monde et son peuple beaucoup plus proches d’une certaine façon. Connaissez-vous cet auteur ? Êtes-vous tentés ?

Notes avis Bibliofeel mai 2021, Hwang Sok-yong, La route de Sampo

16 commentaires sur “HWANG Sok-yong, La route de Sampo

    1. C’était mon cas et franchement c’est une sacré découverte. Je le conseille car vous êtes visiblement curieuse du monde. Cela se lit très facilement et donne une bonne idée du style de cet auteur. Shim shong, fille vendue est un roman au long court qui m’a fait voyager dans toute l’Asie orientale et son histoire. Je suis ravi pour le commentaire sur les pivoines, celles-ci sont magnifiques.

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  1. Quelle magnifique chronique ! Tu m’as donné envie de relire la nouvelle éponyme, qui m’a le plus émue. Pour moi aussi il y aura un avant et un après Hwang Sok-yong, je partage entièrement ce sentiment qui a été plus que confirmé avec « Toutes les choses de notre vie » et qui le sera à nouveau, j’en suis sûre, avec d’autres de ses oeuvres.

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    1. Oh là là, MERCI Usva ! Vu le niveau de ton blog cela me comble et m’encourage. Oui, la nouvelle « La route de Sampo » est merveilleuse, c’est pour cela que j’ai pensé à Charlie Chaplin… Elle tient une place équivalente à la nouvelle de Murakami « Le bar de kino » à laquelle je pense bien longtemps après l’avoir lue. Comme quoi des les nouvelles n’appartiennent pas à un genre mineur. Je note « toutes les choses de notre vie ». Je pourrais bien commencer l’été par plusieurs Hwang Sok-yong.

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      1. De rien, c’est vraiment avec plaisir et honnêteté. Merci à toi, une nouvelle fois ! 😊 Je me suis promis de découvrir Murakami dans l’année alors je note la nouvelle « Le bar de kino ».

        Je suis complètement d’accord avec toi : la nouvelle n’est pas un genre mineur et faire court et fort me semble demander une grande maîtrise narrative.

        Ce sera définitivement une année marquée par les mots de Hwang Sok-yong pour nous et je me réjouis d’avance de le relire, sûrement dans l’été aussi, profitant d’une coupure à la campagne. Vivement ! 😁

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    1. Oui et on en découvre encore plus dans Shim Shong fille vendue. Encore que cet écrivain ne facilite pas la lecture. Il décrit, en apparence de façon neutre, sans donner une multitude d’explications. Moi ça m’a enchanté.

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    1. J’ai découvert cela après coup. Cela illustre une littérature dont l’histoire s’est construite dans l’environnement de toute l’Asie orientale et la Chine. Et ce bouquet était vraiment magnifique. Je n’avais jamais vu de pivoines aussi belles… Ou jamais regardé correctement !

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  2. J’adore la Corée, son histoire mais je découvre cet écrivain grâce à toi. La description que tu en fait me donne vraiment en ie de le lire.
    La Corée a une histoire chargée. Je la decouvre pour l’instant au travers de séries sur Netflix.
    J’aime ce peuple, sa sensibilité et sa poésie.
    Merci pour ce beau partage d’un écrivain talentueux.
    Alan

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    1. Je suis très heureux de l’avoir découvert. Jusqu’à maintenant la littérature japonaise occultait pour moi toute celle des pays de cette vaste région. D’ailleurs un autre livre de cet auteur sera l’objet de ma prochaine chronique. Merci pour ton commentaire. Alain

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