Murielle SZAC, Tosca

Éditions Emmanuelle Collas

Publié en janvier 2024

132 pages

Juin 1944… Ange et P’tit Louis sont les premiers à être jetés dans un réduit de cinq mètres de long sur moins d’un mètre de large, au siège de la milice de Lyon. Au début ils se méfient l’un de l’autre, ne se parlant pas. Au fil des heures, ils sont sept juifs et deux résistants, tous raflés par les hommes de Paul Touvier et Klaus Barbie. Un milicien vient en chercher un pour un interrogatoire dont il revient bien amoché… Peu à peu, dans leur prison, les langues se délient, mettant à jour leurs histoires, leurs caractères. Certains sont dans la lutte contre l’occupant, d’autres ne comprennent pas pourquoi ils ont été arrêtés. Tous ont terriblement peur. Parmi eux, Ange chante Tosca, l’opéra de Puccini, l’air de celui qui va mourir à l’aube.

« Appelle-moi Ange ou Angelotti, comme tu préfères ».
L’autre essaie de sourire.
« Moi, c’est P’tit Louis. Tout le monde m’appelle comme ça. Même mes bourreaux…
».

On assiste à un huis clos étouffant d’hommes réunis par un même destin, soumis aux forces criminelles et génocidaires de l’occupant nazi, assisté par la police française. J’ai pensé à une pièce de théâtre avec présentation habile des protagonistes jetés successivement dans ce réduit. Il y a Léo Glaeser, homme d’âge mûr, secrétaire général du comité de défense juive ; Louis Krzyzkowski et Claude Ben Zimra, trahis, raflés dans un bouchon lyonnais ; Maurice Schlusselman, maroquinier de son métier ; Émile Zeizig, bonnetier qui fait encore confiance au vieux maréchal ; Siegried Prock, réfugié autrichien caché depuis 10 ans ; P’tit Louis et Maurice Abélard, deux jeunes résistants et Ange, le tout jeune homme qui chante des airs de Tosca. Ce sont des hommes très dissemblables : courageux ou pas, engagés dans la résistance ou pas, très jeunes pour la plupart, comme leurs bourreaux.

« Le regard de Zeizig fait alors le tour de la pièce, dévisageant d’un air soupçonneux ses compagnons :
- Moi je ne me mêle pas ni de marché noir, ni d’aucun autre trafic. Je ne fricote pas avec les gaullistes non plus, ni les communistes. »

Cette histoire a réellement eu lieu à Lyon en juin 1944. Sept juifs et deux résistants ont été raflés par la milice. Les sept juifs ne savent pas qu’ils vont être fusillés au matin suivant en représailles à l’assassinat de Philippe Henriot par la Résistance. A côté de chaque cadavre a été posé un carton avec le nom, sauf pour un dont on ne connaît toujours pas l’identité. Murielle Szac dit en postface que cela fait trente ans qu’elle y pense, alors qu’elle assistait, en tant que journaliste, au procès de Paul Touvier. En 2019, elle prend la décision d’arrêter ses recherches et de passer par la fiction pour redonner un nom à ce fusillé anonyme. Elle va l’appeler Ange et ainsi, avec les huit autres, enfermés dans ce placard à balai pendant cette nuit d’horreur, les sortir de l’oubli ! « Nuit d’encre et de sang », répété, chanté par Ange.

« Ange et Léo discutent à mi-voix.
- Mon préféré, c’est Puccini et son Tosca bien sûr… Quel panache ce chevalier Cavaradossi lorsqu’il refuse de trahir Angelotti. Il ne parle pas, même sous la torture ! Chuchote l’un. »

Le Tosca de Murielle Szac est une œuvre forte, sorte de tragédie moderne portée par le parallèle avec l’opéra de Puccini, un projet qu’elle a longuement mûri afin de transmettre la mémoire, qu’on ne puisse pas dire « je ne savais pas ». Ange par son chant, sort ces hommes de leur misérable condition de victimes des nazis et de la collaboration française.

Les derniers témoins disparaissent, le récit des procès de Paul Touvier et de Klaus Barbie reste difficile d’accès, notamment pour les nouvelles générations. Murielle Szac tente le pari d’une passation de pouvoir à la littérature, à l’art pour défier l’oubli dû au temps et élever au mythe le martyre de ces hommes. On a vu ce que cela avait fonctionné pour le groupe Manouchian dont l’affiche rouge a été retournée contre les bourreaux grâce au poème de Louis Aragon et à la chanson de Léo Ferret. La proximité d’émotion que permet la fiction est bien utile, permettant à l’autrice de transformer le récit historique en une œuvre magistrale, relais important pour entretenir l’indispensable souvenir. J’ai lu récemment que les bourreaux se moquent bien de l’art… mais c’est une arme parmi d’autres et chaque parcelle d’humanité défendue va dans la bonne direction. Le travail de mémoire est toujours œuvre utile. C’est un livre à lire absolument, notamment dans les écoles car par sa forme il peut toucher les jeunes.

Murielle Szac est journaliste et écrivaine. Après avoir été journaliste politique à l’hebdomadaire L’Événement du jeudi, elle a été rédactrice en chef du mensuel de l’emploi Rebondir. Elle a aussi été réalisatrice de documentaires télé et auteure de nombreux ouvrages pour la jeunesse.

Notes avis Bibliofeel février 2024, Murielle SZAC, Tosca

4 commentaires sur “Murielle SZAC, Tosca

  1. Merci pour votre présentation de ce livre. Je partage votre analyse sur l’apport de la littérature en relais de la mémoire. Ces fusillés de Lyon comme tant d’autres ont sombré dans l’oubli. Il est urgent de réparer ces failles à l’heure où les menaces sombres de nouveaux dénis sont à nos portes. Monique Chestakova

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    1. Oui il y a une véritable urgence à maintenir la mémoire en faisant le lien avec les haines qui se répandent actuellement. Merci Monique pour votre retour !

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