Alain MABANCKOU, Lumières de Pointe-Noire

Paru en janvier 2013, éditions du Seuil, Fictions & Cie

Multiples couleurs des feuilles d’automne, couleurs multiples de la beauté !
Photo prise au musée Balzac à Saché (37)

Les grands livres se reconnaissent, dit-on, par leur première phrase, le fameux incipit ou phrase-seuil pour les littéraires. Si tel est le cas, alors ce récit constitue un grand livre : « J’ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie. Je m’évertue désormais à rétablir la vérité dans l’espoir de me départir de ce mensonge qui ne m’aura permis jusqu’alors que d’atermoyer le deuil. »

Alain Mabanckou est de retour dans la ville de son enfance, Pointe-Noire, après 23 ans d’exil. Il désire faire la clarté avec lui-même et payer sa dette envers son pays natal. Chaque chapitre fait apparaître des lieux ou des personnages retrouvés après cette longue absence. J’ai aimé la justesse et la sensibilité de chaque séquence.

Mais pourquoi donc n’est-il pas revenu pour les obsèques de ses parents ? Et n’a pas plus visité leur tombe ? Est-ce la phobie de la mort ?… En fait, non ! Pour l’écrivain la vraie vie est dans les livres, les montrer ainsi sur le papier permet de les garder toujours vivants. Je pense aussi que le chemin n’a pas été facile et qu’il a dû batailler énormément pour obtenir la place qu’il occupe actuellement. On sent toute la difficulté à accepter de venir d’aussi loin (la distance et aussi le milieu social de grande pauvreté qu’il va retrouver…). Il y a du Rousseau ici car on va savoir la vérité, toute la vérité de l’auteur dans une sorte de thérapie. L’artiste chamane capte l’âme des gens qu’il a connus, qui l’ont fait véritablement en tant qu’homme, en tant qu’écrivain célébré.

Le livre met dans la lumière de nombreux personnages forts et attachants :

  • Sa mère Pauline, venue de nulle part, abandonnée par le père de l’auteur alors qu’elle était enceinte.
  • Papa Roger, le chef réceptionniste, grand lecteur de journaux, père de substitution au père biologique parti avant la naissance.
  • Yaya Gaston, une figure locale.
  • Grand-mère Hélène (en fait une tante) véritable mère nourricière.
  • L’inconnu du restaurant « Chez Gaspard », une institution à Pointe-Noire, soldat ou mythomane ?
  • Le professeur, M. Nimbounou, une figure vénérée.
  • Le chien Miguel, mort attaché à sa chaîne suite à la négligence de l’oncle Monpéro.
  • Tonton Matété qui refait vivre l’initiation d’antan.
  • Et le copain d’école, le grand Poupy, au portrait inoubliable.

Le livre est parsemé à chaque chapitre de photos appartenant à l’auteur comme pour mieux comprendre son parcours, sa culpabilité peut-être. Pour partager cet amour des gens de ce Congo d’enfance et du Congo actuel. L’image, au service des mots, est essentielle et les chapitres portent tous des noms de films. L’ensemble constituant cette sorte de récit congolais qui n’est pas seulement autofiction.

L’écriture est simple et efficace. Je conseille d’écouter cet auteur, sur des vidéos par exemple, afin de s’imprégner de sa voix qui est à la fois grave et modulée, riche de multiples nuances, d’un débit particulier, à la fois calme et jaillissant. Quand je lis ses livres, je les lis avec sa voix qui vient alors enluminer ma lecture. Ce n’est pas ma diction mais sa diction à lui que j’entends ! Et cela tout au long du livre…

Je considère cet auteur comme un auteur majeur de la littérature. Il est un passeur d’histoires de l’homme africain, exilé en Europe, en Amérique, à la fois nos racines et notre devenir puisque mélangé, de force dans un premier temps, à nos cultures et enrichissant notre langue.

J’aime ses casquettes, ses lunettes et ses costumes sophistiqués de la « sape congolaise ». La SAPE congolaise c’est le sigle de la « Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes ». Et là, n’est-on pas aussi dans la création artistique et littéraire ?

Carte du Congo avec la ville portuaire
de Pointe-Noire

Après des études de droit à Brazzaville, Alain Mabanckou arrive en France à 22 ans pour poursuivre ses études à l’université de Nantes. Il enseigne à partir de 2006 à l’Université de Californie à Los Angeles.

Cet auteur a déjà une longue carrière littéraire, pratiquement un roman par an depuis « Bleu, blanc, rouge » en 1998, de la poésie, des essais… Impossible de résumer son œuvre ici tellement elle est déjà abondante. Si vous ne le connaissez pas, j’espère donner envie d’en savoir plus sur ce grand monsieur que je trouve très humble en dépit de son immense talent.

Je rappelle seulement qu’il a été nommé, en 2016, au Collège de France, une des plus hautes distinctions de l’enseignement supérieur français.

J’ai lu et beaucoup aimé « Black Bazar », vraiment très drôle ! Et aussi le superbe « Petit-Piment », complémentaire à « Lumières de Pointe-Noire ». J’ai aussi lu « Lettre à Jimmy », un essai sur l’écrivain américain James Baldwin, un petit livre particulièrement utile et intéressant.

Notes avis bibliofeel novembre 2019, Alain Mabanckou, Lumières de Pointe-Noire

6 commentaires sur “Alain MABANCKOU, Lumières de Pointe-Noire

  1. Décidément, dès que je croise cet auteur dans les rayonnages d’Emmaüs je le prends avec moi car je sais qu’il faut lire ses mots. Mais les ranger dans sa bibliothèque est une chose, les lire une autre. Il va donc falloir que je m’organise un moment focus pour cet auteur. Très vite. 🙂

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    1. J’ai eu la chance de lui dire quelques mots à une rencontre d’écrivain, il m’avait dédicacé « lettres à Jimmy » et c’est un très très bon souvenir avec le sentiment de croiser une belle personne ! Il faut que je lise son dernier livre « les Cigognes sont immortelles » qui me semble très intéressant aussi.😃

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      1. Si en plus il est agréable en personne ce n’est que plus appréciable ! 🙂 Voici ma liste qui s’allonge car je n’ai pas encore ces titres. ^^ Je te souhaite une belle découverte des « Cigognes sont immortelles » !

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    1. Je suis d’accord avec ça, c’est pourquoi j’ai choisi de parler de « Lumières de Pointe-Noire » plutôt que de « Petit piment ». Les photos de sa mère, de son oncle et de plusieurs personnages n’y sont pas pour rien. Il partage dans ce livre sa propre visibilité d’homme célèbre avec des personnes obscures et ça m’a touché. Mais nous sommes tous très semblables… et très différents…

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