Tanguy VIEL, La fille qu’on appelle

Les Éditions de Minuit, paru en septembre 2021

174 pages

Détail emprunté et très librement interprété d’une fresque de Véronèse… Némésis est dans la mythologie grecque la déesse de l’équilibre et de la vengeance. Son courroux s’abat en particulier sur les humains coupables d’hybris (démesure, mégalomanie). Voir citation du livre en fin de chronique.

Elle, vingt ans, est la fille d’un ancien boxeur, chauffeur du maire d’une ville de Bretagne. Elle revient auprès de son père, dans cette ville fortifiée du bord de mer. Lui, Max, se dit que ce serait une bonne idée si le maire pouvait aider sa fille à trouver un logement. Mais Laura va être prise dans un engrenage. On assiste à sa déposition auprès de la police dans un récit à multiples pistes.

Un livre passionnant qui se lit comme un roman policier, une fois intégré le style singulier. On est au cœur de la dissection littéraire du réel de l’emprise, enquête-reflet des nombreuses affaires révélées depuis une bonne dizaine d’années. Là, c’est un politique mais ce pourrait tout aussi bien être un dirigeant d’entreprise, une personnalité vedette des médias ou du sport…

Dans un même temps l’auteur donne les dialogues, sans tirets ni guillemets, présente le décor, décrit le mouvement des personnages, analyse les ressentis et présente l’écoute des policiers prenant la déposition de Laura. Les phrases s’allongent, indiquant souvent les différents points de vue, ce qui n’est pas sans rappeler le travail des peintres cubistes où le spectateur voit dans tous les angles possibles sans se déplacer.

Ce procédé de ne pas être dans la psychologie d’un seul personnage mais à la fois dans celle de Laura, de son père Max mais aussi de Le Bars et de Bellec – le maire et son acolyte dirigeant le casino –, permet à l’auteur de garder une distance et d’entrer réellement dans une analyse fine des situations. Intelligente, Laura est capable de s’analyser, à la fois victime et observatrice de la situation d’emprise à laquelle elle a été confrontée.  

« Étudiante ? a demandé le flic.

Oui, enfin non, enfin c’est ce que je lui dirais, étudiante en psycho, que j’étais en licence de psycho, ça me paraissait bien, et puis surtout c’était crédible, parce que j’ai toujours aimé ça, la psychologie. Et elle s’est reculée sur sa chaise, disant : Ça ne veut pas dire qu’on y voit plus clair, n’est-ce pas ? »

Les prénoms sont utilisés pour Laura et Max, alors que ce sont les noms pour Le Bars et Bellec et la fonction pour les flics et le procureur. Manière pour l’auteur de rester au côté de ses personnages aux corps marchandés : lui, le boxeur, dont le corps a été géré à leur profit par d’autres, elle, sa fille Laura, au corps contraint par une même mécanique d’emprise.

 « Mais revenir vers quelqu’un qui vous a tenu en laisse, elle a dit, c’est le b-a-ba de ce qu’on apprend en psychologie, non ?

Je croyais que vous n’aviez pas fait d’études de psychologie ?

Ça ne m’empêche pas de savoir des choses, elle a dit. »

C’est l’histoire mémorielle de l’exploitation de la faiblesse sociale des uns par des personnages cumulant puissance sociale et absence de scrupule. Pour se mettre à l’abri des poursuites qu’il pressent, Le Bars, qui vise un poste ministériel, va user d’étapes, éviter une contrainte directe. Il sait déceler et exploiter les failles du père et de sa fille. Max lui doit sa carrière et son emploi, Laura a souffert des mésententes de ses parents et indirectement de l’aliénation de son père à une carrière de boxeur trop grande pour lui.  

La mythologie est subtilement présente, distillant le tragique d’un récit qui marquera cette rentrée littéraire 2021. Laura est comparée à une Parque, avec le chœur des naïades « Oh, qu’as-tu fait, Laura ? » avant que ne se présente Némésis.

« De ce qu’elle essaya d’expliquer plus tard, elle dira que c’était comme une main géante qui l’a poussée dans le dos, une vague plus haute que les autres qui l’a prise par le bras et l’a soulevée plus haut qu’elle ne l’avait prévu – une vague d’où n’aurait plus surgi cette fois aucune naïade ricanante mais plutôt Némésis en personne venue lui conférer cette force quasi pneumatique par laquelle elle avait eu le sentiment qu’on la déposait là, devant le perron d’un commissariat. »

Ce livre est édité aux Éditions de Minuit, prestigieuse maison, associée au nouveau roman. Impossible pour moi de ne pas penser à la manière de Claude Simon, prix Nobel de littérature en 1985, un des grands de cet éditeur, notamment à la stupeur éprouvée à la lecture de « La route des Flandres ». Tanguy Viel va creuser de ce côté-là en ajoutant à une forme littéraire ciselée, un supplément de vérité sociale.

Nous sommes dans l’après du livre de Vanessa Springora « Le consentement », dans l’après Me Too, où les femmes sont au-devant de la scène… Les policiers écoutent la voix décidée de Laura, dans une déposition où elle cherche comme eux la vérité sans à priori. Tanguy Viel indiquerait-il qu’une étape aurait été franchie ces derniers temps pour une meilleure écoute, une reconnaissance de la parole des femmes ?  Est-ce votre avis ?

Notes avis Bibliofeel octobre 2021, Tanguy Viel, La fille qu’on appelle

8 commentaires sur “Tanguy VIEL, La fille qu’on appelle

  1. Je viens de le lire et rédiger ma chronique qui paraîtra en fin de semaine je pense mais je ne suis pas aussi enthousiaste….. Le style m’a gênée cette fois-ci (alors que dans l’article 353 pas du tour) et puis je suis restée un peu sur ma faim et la fin 🙂

    Aimé par 1 personne

  2. C’est curieux qu’on décrive souvent des femmes sous l’emprise d’hommes pervers. Car les femmes manipulatrices existent également et l’emprise n’est pas toujours dans le même sens…
    Comme j’aime bien les éditions de Minuit je note le nom de cet auteur.

    Aimé par 2 personnes

    1. C’est tout à fait exact mais cela me semble moins lié à une position sociale. J’étais aussi heureux de retrouver les Editions de minuit avec ce roman dans la tradition de la maison.

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  3. J’avais vu le lien passer sur Facebook, ce matin. Pour ça que je suis là ce soir. Alors bien sûr, tu as tout bon encore une fois. Je ne sais pas comment je vais trouver le temps, mais apres mon passage sur ton blog, j’ai de helles et longues heures de lecture en perspective.
    Merci, merci, Alain. A bientôt !

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Solène pour tes passages sur mon blog et ravi si cela te donne des envies de lecture. Ce n’est que mon humble avis, j’en perçois les limites… C’est exact que le temps vient vite à manquer quand on voit tout ce qui est publié et tout ce qui va nous échapper. Belle journée à toi !

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