Scholastique MUKASONGA, Ce que murmurent les collines Nouvelles rwandaises

Édition Gallimard 2014, folio mars 2015

Voici six nouvelles, quelque peu surprenantes au départ car elles nous font entrer par une petite porte, bien agréable je trouve, dans une culture qui nous est totalement étrangère. L’Afrique, et le Rwanda en particulier, ont une longue Histoire, les colonisateurs blancs n’ont pas écrit sur une feuille vierge, c’est ce qui est dit ici très simplement. Ces récits nous font découvrir un monde poétique, riche d’imaginaire et de lien social, dont la lecture apaise.

Les noms sonnent curieusement mais racontent l’histoire par leur musique particulière. Il faut s’attarder un peu sur eux, sur leur sonorité, au départ c’est un effort puis on s’en fait vite des amis et des complices de lecture… Il y a là le dieu Mwamila rivière Rukarara… La famille de Scolastique a été exilée comme tant d’autres tutsis (et hutus opposants) à Nyamata au Bugesera en franchissant la rivière Nyabarongo : « J’allais avec les autres filles chercher de l’eau au lac Cyohoha ou, pour des occasions solennelles, à la source de Rwakibirizi dont le flot abondant et intarissable semblait jaillir par la grâce d’un improbable miracle au milieu de ce pays de sécheresse qu’est le Bugasera. »

Scholastique Mukasonga est née au Rwanda et fait partie de ces exilés qui ont dû chercher refuge après avoir vécu des persécutions – et dans son cas, un génocide des plus terribles de toute l’histoire humaine. L’identité de cette écrivaine ayant reçu de multiples prix est en soit intéressant et porte la marque de l’Europe par le prénom, la scolastique c’est l’école mais dans un sens philosophique, alors que son nom, Mukasonga, est tout à fait rwandais. Et dans ce prénom a été ajouté le h du latin schola – l’école – comme une marque du destin particulier de la petite fille exilée.

Dans la nouvelle «  Le Malheur » on apprend que MUKA est un préfixe marqueur des noms féminins, propre au Rwanda, pouvant se traduire par « Femme de… » ou « Celle de … ». Ce qui signifiait que la femme avait réellement un statut en se mariant ou en étant mère. C’est une des histoires qui m’a vraiment plu, les six femmes qui sont présentées dans ce conte sont très intéressantes, elles ont une interprétation forte et personnelle de l’origine des malheurs touchant leur colline.

J’ai aussi beaucoup aimé la nouvelle «  Un pygmée à l’école ». Cette histoire de Cyprien, enfant admis exceptionnellement à l’école et ensuite mis à l’écart des autres enfants de la classe car originaire d’une autre ethnie, est édifiante. On retrouve là toute la puissance des contes marquant fortement les esprits, ils plongent dans le passé par la transmission orale d’avant le livre. Il convoque à la fois le récit mémoriel, l’histoire et à travers le dénouement, une sorte de morale que le lecteur peut, s’il a été touché par les arguments ou/et par l’habileté du conteur/de la conteuse, faire sien.

On peut lire ces nouvelles dans l’ordre prévu par l’auteure ou pas… Pour ma part je conseille de commencer par ces deux-là : «  Le Malheur » et «  Un pygmée à l’école » et de poursuivre par «  la rivière Rukarara », cri d’amour pour son pays natal perdu et une nature magnifique qui porte nos vie.

« La vache du roi Musinga » est un beau récit historique du pouvoir en place avant l’arrivée des colonisateurs allemands puis belges. Là où un animal est à la fois richesse, transmission, relation d’un roi à son peuple.

Le remplacement des valeurs est bien décrit dans la nouvelle « Le bois de la croix ». Le culte à la nature, l’arbre géant et les gris-gris sont remplacés par l’eau bénite des pères blancs. Le bois de la croix est celui de l’arbre géant et les arbres de la forêt qui sont « comme les enfants de l’arbre géant » vénérés par les différentes ethnies sans distinctions, le sorcier est hutu…

Dans « Titicarabi », on rentre dans le quotidien d’un enfant rwandais qui en classe accédait aux connaissances par le livre « Matins d’Afrique », avec des histoires « … qui se passaient dans une Afrique étrange  qui n’était pas le Rwanda, dans des pays encore plus bizarres  qui devaient être les pays des Blancs. »

À travers cette mosaïque, Scholastique Mukasonga nous permet de comprendre son enfance, de là d’où elle vient. Elle aborde avec retenue les conflits des hutus et tutsis… Elle a écrit là-dessus dans ses précédents livres et peut-être, le temps passant et les phrases s’accumulant, peut-elle s’évader un peu de l’enfer qu’elle a connu dans son enfance. Elle avait 4 ans quand elle et sa famille tutsi ont été déportés en 1960 et où elle a dû s’exiler d’abord au Burundi puis en France (le génocide des tutsis – mais aussi des hutus et tous ceux qui ont voulu s’interposer – aura lieu en 1994 ).

Ces petites histoires nous racontent la grande Histoire. Difficile pour moi de comprendre pourquoi un tel malheur s’est abattu sur ce petit pays en écoutant seulement des infos trop souvent désincarnées, voire rejetant l’autre, l’étranger. Là, je pense approcher au plus près du vécu de ce peuple (il semble que les tutsis et les hutus vivaient en paix avant la colonisation et le marquage ethnique qui a été institué alors). Les mots de Scolastique nous parlent de l’ancien temps d’avant la colonisation par les allemands puis les belges, du mépris des Blancs pour la culture ancienne qu’ils vont alors détruire méthodiquement et du pillage des richesses. Dans les petits faits du quotidien d’alors apparaît ce qui va advenir. La graine de la haine a été plantée et elle va éclore à partir de 1959, jusqu’à cette année 1994, terrible période du 7 avril au 17 juillet, ou de nombreux membres de sa famille ont été assassinés.

Ce beau petit livre des éditions folio m’apparaissait plutôt difficile à aborder. Après lecture il m’est précieux par sa douce musique qui sait raconter la mémoire et les espoirs de tout un peuple. Et j’aime beaucoup le titre très doux : « ce que murmurent les collines »…

Pour compléter il est intéressant d’aller voir l’excellent site officiel de Scholastique Mukasonga, notamment sa biographie faite de drames et d’exil avant de déployer ces phrases magnifiques. C’est quand même curieux d’avoir entendu aussi peu parler des rescapés et de ceux qui, comme Scholastique, ont été contraints à l’exil. https://www.scholastiquemukasonga.net/home/

J’ai aussi apprécié le site de « vision du monde » qui donne des explications abordables et sérieuses concernant la survenue de cet évènement de l’ordre de l’impensable absolu. Des quatre grands génocides, celui-ci a été le plus rapide car il s’est déroulé sur seulement 100 jours et fait 800 000 morts ! https://www.visiondumonde.fr/actualites/vision-du-monde-commemore-le-genocide-rwandais

Ces nouvelles m’ont donné l’opportunité de découvrir « une belle plume » et de prolonger cette lecture en tentant de comprendre le passé douloureux de ce peuple martyr. Au-delà de ces contes, on doit parler des responsabilités, dont celle de la France et des pays colonisateurs, qui ont conduit à ces situations. Comprendre afin de tout faire pour que cela ne se reproduise plus c’est déjà, au départ, ne pas détourner le regard !

Notes avis bibliofeel août 2019, Scholastique MUKALONGA, Ce que murmurent les collines

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