Comprendre la destructivité pour résister au terrorisme
Paru en mars 2021
C&F éditions, collection interventions
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Vous avez aimé la série « En thérapie » avec un Frédéric Pierrot incarnant à merveille un Philippe Dayan à l’écoute, nul doute que vous pourriez aimer lire Daniel Oppenheim dans cet essai au cœur du réel. Le terrorisme est un problème majeur de notre 21ème siècle. Il m’a semblé intéressant de voir ce que pouvait écrire à ce sujet un auteur possédant une énorme expérience dans sa pratique, lui qui exerce en tant que psychiatre et psychanalyste depuis une cinquantaine d’années et a publié 14 livres et plus de 400 articles.
Il s’agit dans le premier chapitre de tenter de comprendre les mécanismes qui poussent des adolescents et des jeunes adultes vers la violence politique, leur destructivité s’exprimant en actes tels les jeunes radicalisés rejoignant Daech. Quelles sont les conséquences de cette destructivité quand elle va jusqu’à la volonté d’extermination d’une communauté pour des raisons politiques, religieuses ou ethniques ? L’analyse de l’autobiographie du commandant d’Auschwitz est aussi glaçante qu’intéressante.
Le deuxième chapitre s’intéresse aux effets sur les victimes et leurs descendants. Les effets sur les enfants de ceux qui ont exercé cette barbarie sont également pris en compte.
Dans le troisième chapitre, deux exemples de moyens de résistance non violente sont présentés : par les lois, le bon fonctionnement de l’appareil d’État, la résistance civile quand celui-ci est défaillant. Face à la barbarie, la défense exceptionnelle par les armes est mentionnée. Le second exemple, le candomblé au brésil, culte des orishas, religion tolérante, ni secrète ni prosélyte, est présenté comme une réponse collective au mal-être et au désarroi social et identitaire. Le thérapeute fait un parallèle étonnant entre cette pratique et la littérature qui peut être une arme contre les dictatures et les tyrannies.
Les ouvrages de psychanalystes ne sont habituellement pas vraiment à la portée de chacun de nous. J’ai accédé avec difficulté à la pensée de Sigmund Freud, de Carl Gustav Jung, de Jacques Lacan par exemple, alors que des auteurs comme Bruno Bettelheim ou Jean-Baptiste Pontalis m’ont parus bien plus abordables. Le livre de Daniel Oppenheim a le mérite de se lire très facilement, l’auteur utilisant volontairement des mots et des notions tout à fait accessibles à tous. Il donne des récits d’expériences, des exemples d’entretiens – Chapitre intéressant d’un entretien psy avec un adolescent concerné par cette destructivité –. Modestie et prudence dans les interprétations apparaissent à chaque étape, ce qui peut brouiller la lecture. On ne trouvera pas de théorie toute faite ici, chacun doit cheminer dans diverses hypothèses pour tenter de comprendre et chercher les voies de résistance. D’ailleurs, le dernier court chapitre est intitulé « Il reste beaucoup à faire pour comprendre et prévenir », avec une citation de Peter Weiss « Pour nous, étudier fut, dès le début, se révolter. »
La destructivité est le penchant à détruire. Le Larousse précise : « tendance pathologique à la destruction ». Daniel Oppenheim précise :
« Le terrorisme actuel, qui occupe parfois le devant de la scène et des peurs, n’en est qu’un élément parmi tous les autres. Mais la destructivité existe dans bien d’autres domaines, comme dans le monde du travail, qu’il s’agisse des processus de fabrication, de l’organisation du travail, des méthodes de management, des pratiques de harcèlement et de destruction sociale, psychique ou physique (suicide, maladies graves) des travailleurs. »
Cet essai vise à la prévention, à empêcher ou limiter l’évolution de certains parcours vers la violence terroriste. Il n’est pas adressé aux seuls spécialistes mais à tous ceux au contact des jeunes dont le malaise pourrait les rendre disponibles aux propositions de violence destructrice. Un tel sujet nous concerne tous.
A la fin, l’auteur présente « une littérature de résistance qui décrit la destructivité et qui apprend à la lire ». Pas sûr que cette présentation renforce le propos et certains éléments m’ont gêné. Quatrevingt-treize de Victor Hugo – graphie du titre voulue par l’auteur – est un des 6 livres présentés et décortiqués. L’auteur affirme « Victor Hugo est romancier, pas historien. Il mêle vérité historique et création fictionnelle qui en remplit les vides, lui apporte la puissance littéraire, ses questionnements et ses réflexions, et la présente à un public plus vaste que celui des spécialistes. ». La vérité historique est une notion qui aurait mérité également modestie et prudence surtout concernant Hugo. Les exemples mettent en avant la révolution française et l’histoire du 20ème siècle à travers la révolution russe et l’esclavage aux États-Unis : Vladimir Zazoubrine « Le Tchékiste », Isaac Babel « Cavalerie rouge », Iouri Olecha « L’envie », Lamed Shapiro « Le royaume juif », William Faulkner « L’intrus ».
En quatrième de couverture des éléments de biographie sont présentés. « Daniel Oppenheim est psychiatre et psychanalyste depuis le début des années 1970. Ses travaux ont porté sur la barbarie biologique (celle du cancer et du handicap sévère) et sur la barbarie collective humaine et ses séquelles. »
La barbarie humaine est une réalité de toutes les époques et on doit tout faire pour la comprendre et tenter de l’enrayer. Fait-on assez dans l’éducation à ce sujet ? Daniel Oppenheim pense que non ! L’importance de l’éducation sexuelle est prise en compte mais rien sur « l’éducation à l’agressivité exprimée et subie » telle qu’envisagée par Freud dans « Le malaise dans la culture ». Ne pourrait-il pas y avoir un module spécifique, en lien avec la philosophie et la littérature pour éduquer et prévenir contre la violence ?
Par contre, j’ai eu plus de mal à comprendre que le terme barbarie puisse être accolé à biologique. Il me semble que la barbarie véhicule des notions morales ne concernant que l’attitude volontaire de l’homme. Qu’en pensez-vous ?
Grand merci à Babelio, à C&F éditions, de m’avoir fait découvrir ce livre démontrant que la destructivité n’est pas une fatalité et qu’il est possible d’agir contre elle, ne serait-ce qu’en le lisant.
Autres citations :
« L’éradiquer (le terrorisme) est un objectif irréalisable ; ne l’est pas celui de le limiter suffisamment, de comprendre les raisons qui l’ont rendu possible et de les traiter, de retrouver la confiance dans le fonctionnement démocratique de la société et la solidarité des citoyens. »
« L’enjeu est d’être à l’aise avec soi-même, son passé et son présent, et avec tous ceux qui comptent pour lui. La justice, les procès, les commissions vérité peuvent contribuer à l’élaboration de ce récit, à la croisée de l’individuel et du collectif. »
« Les enfants sont résistants. Ils observent et comprennent précocement tout ce qu’il y a à comprendre : qu’ils sont en danger de mort. Ils sont parfois dupes, ou font semblant de l’être considérant que l’illusion est préférable à la lucidité impuissante. »
« Le lecteur n’est pas le spectateur passif des affrontements sur une scène de théâtre, s’identifiant aux uns, rejetant les autres, il est traversé par ces contradictions qui le poussent à interroger les siennes. »
Notes avis Bibliofeel juillet 2021, Daniel Oppenheim, Le désir de détruire. Comprendre la destructivité pour résister au terrorisme
Expliquer des phénomènes idéologiques, politiques et historiques par la psychanalyse, ça me semble un peu léger mais bon, pourquoi pas ? C’est peut-être complémentaire. Bonne journée Alain 🙂
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Il est très prudent à ce sujet. Il tente de donner des pistes. Le sujet principal est le traitement et la prévention. Pas facile de chroniquer un tel livre et j’ai hésité à le faire. Il se lit très facilement mais reste dense sur les sujets abordés. Le plus important est qu’il aide à penser l’impensable pour moi, la violence et la barbarie. Bonne journée Marie-Anne.
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Oui, je comprends. Mais peut-être que nous sommes tous capables de violence et de barbarie – selon les circonstances (cf. les guerres, les luttes diverses). Sans parler de la violence institutionnelle et des tueries en col blanc où nul ne se salit les mains…
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Sans doute un peu trop technique pour moi, je préfère rester sur ma bonne impression de la série En thérapie.
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C’est facile à lire. Je l’ai lu sur 2 ou 3 jours. Bien sûr « en thérapie » était plus ludique et constituait une belle introduction à cet excellent essai.
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