Edition Gallimard, paru en septembre 2019, Prix Renaudot la même année
Avec le confinement, surtout si on ne lit pas sur écran ni ne commande sur Amazon, il faut aller chercher les livres disponibles dans la maison. Heureusement, il y en a un peu partout. J’avais mis de côté ce cadeau des fêtes de fin d’année « La panthère des neiges », du célèbre et médiatique Sylvain Tesson. Idéal pour s’évader et se perdre dans l’attente de l’apparition du félin, chercher « la consolation du sauvage » selon le titre d’un chapitre de ce livre étonnant.
En 2018, le photographe animalier Vincent Munier doit retourner sur les hauts plateaux du Tibet, à plus de 4000 m, afin de traquer (photographiquement) la panthère des neiges. Il propose à Sylvain Tesson de l’accompagner. Marie, « au corps souple », la compagne de Munier et Léo, l’étudiant en philosophie, sont du périple. « En voyage, toujours emmener un philosophe avec soi. »… Sylvain Tesson ne peut pas porter de lourde charge suite à sa chute de 2014, il se contente d’être un peu le bouffon du roi Munier, lui qui affirme avec humour : « Au moins, je fournirais les calembours. » Et il ne s’en prive pas, ce qui fait de son récit, une suite de réflexions passionnantes mais aussi de quelques considérations à prendre au second degré. « Comme les monitrices tyroliennes, la panthère des neiges fait l’amour dans les paysages blancs. Au mois de février, elle entre en rut. »
Ce serait à mon avis une erreur de lire ce petit livre – quelques pages seulement à chaque chapitre –, trop vite, au risque de passer à côté d’un des livres les plus aboutis de l’écrivain voyageur. Sylvain Tesson a eu l’intelligence de densifier son texte afin d’amener le lecteur à réfléchir, patienter, rechercher la signification de certains termes. Par cela, il nous dit que ce ne sont pas les apparitions de la panthère qui comptent mais plutôt l’attente de l’apparition. Il nous apprend ainsi, si elle venait à nous manquer, surtout en cette période, la patience. Bonheur de l’observation pour l’observation, quand on ne sait pas ce qui peut apparaître ni même si quelque chose va apparaître… Tout à fait adapté à la réflexion du moment !
Ce livre est un chant à la nature, un texte qui s’envole avec des ailes de poète, planant haut dans les airs… avant de piquer de temps en temps dans quelques remous déconcertants. Je me suis dit par moment, mais comment peut-il écrire ça ?, alors qu’il vient d’achever un texte tendant au sublime. Par exemple quand il reproche à l’homme moderne de chercher des coupables afin d’occuper le temps et économiser l’introspection. Il est de ceux qui parle de l’homme en général comme si tous étaient fait du même moule et responsables au même niveau de la marche du monde, bourreaux et victimes ? Habitant des favelas et multinationales ? Même responsabilité ?… Je dois dire que les sentences définitives de ce type me déplaisent profondément, je pense qu’elles empêchent de chercher la vérité multiple des choses. Heureusement, le livre a tellement de qualités que j’ai envie d’oublier les lourdeurs dues aux excès dont l’auteur est coutumier.
L’emploi de mots rares, anciens, spécifiques d’une faune lointaine, l’utilisation de tous les temps de la grammaire tel que le subjonctif passé, ajoutent à la densité du texte et méritent qu’on savoure le cadeau offert : « S’assurait-elle (la panthère) que les vautours n’affluassent pas à la curée ? » Ce qui fait l’originalité de Sylvain Tesson, c’est ce besoin de jouer avec les mots, la langue ne semble jamais assez riche pour lui comme le monde n’est jamais assez vaste, en cela il est poète. Il invente des formules, condense des idées et fait apparaître de l’inattendu : « Que des pères blancs aient réussi à conserver la foi en un Dieu révélé au milieu des forêts où criaient les perroquets me paraissait un exploit. » Moi qui aime rêver sur les cartes géographiques, j’ai adoré suivre le voyage des chercheurs de panthères et autres animaux tels que loups, yacks, gazelles, kiangs, niverolles… sur les cartes présentées en début de volume, cartes volontairement fausses – « géographie poétique » selon les termes de l’auteur – afin de préserver cette région peu occupée par l’homme actuellement.
L’animisme n’est pas loin, l’auteur voit dans la panthère observée, la femme aimée dont il est séparé : « Cette fille des bois, aimée par moi en des temps où j’étais un autre, avant que ma chute d’un toit en 2014 ne m’aplatisse, aurait su remarquer des détails que je ne voyais pas, m’aurait expliqué les pensées de la panthère. » Pauvre Sylvain, rêvant de sa belle perdue qui appréciait peu les aphorismes de son compagnon, par exemple quand il lui disait que « l’homme est la gueule de bois de dieu ! », il ajoute penaud et touchant : « Elle n’aimait pas ces formules. Elle m’accusait de lancer des pétards inutiles. »
Sylvain Tesson nous délivre par ce livre de précieux conseils concernant l’observation (et au-delà de tout ce qui est inconnu de soi) : « Or la conscience met du temps à accepter ce qu’elle ne connaît pas. L’œil reçoit l’image de pleine face mais l’esprit refuse d’en convenir. » L’illustration, la seule du livre malheureusement, où on distingue la panthère observant le photographe qui déclenche la photo sans voir que celle-ci est dans le cadre, est impressionnante. Rien que pour cela et pour tout le reste, je recommande cette lecture qui fait du bien et qui met en avant l’importance d’admettre comme essentiel de laisser une part au sauvage, au non humain, à la nature non domesticable.
Autres citations illustrant mes impressions :
« Par superstition, je ne parlais jamais de la panthère, elle surgirait quand les dieux – le nom poli du hasard – jugerait l’instant propice. »
« Très loin les yacks en suspension faisaient la ponctuation. »
« Elle levait la tête, humait l’air. Elle portait l’héraldique du paysage tibétain. Son pelage, marqueterie d’or et de bronze, appartenait au jour, à la nuit, au ciel et à la terre. »
« Le principe du guet est d’endurer l’inconfort dans l’espoir qu’une rencontre en légitime l’acceptation. »
« Elle invitait (la patience) à s’asseoir devant la scène, à jouir du spectacle, fût-il un frémissement de feuille. La patience était la révérence de l’homme à ce qui était donné. »
« Apercevoir l’un d’eux (panthère, chirous, hémione…), c’était contempler un très bel ordre disparu : le pacte antique des bêtes et des hommes – les unes vaquant à leur survie, les autres composant leurs poèmes et inventant des dieux. »
« Il suffisait de se considérer victime pour s’épargner l’aveu de l’échec. J’aurais pu me lamenter ainsi : « Munier a mal placé ses affûts, Marie faisait trop de bruit, mes parents m’ont rendu myope ! En outre, les riches ont flingué les panthères, pauvre de moi ! »
Notes avis Bibliofeel avril 2020, Sylvain Tesson, La panthère des neiges
Merci ! Je lirai… après le confinement. (emprunt bibliothèque).
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Ce sera l’un de mes premiers achats !
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bel hommage! j’aime beaucoup la plume de Sylvain Tesson…
je vais me l’acheter car il n’était pas disponible à la BM (liste d’attente longue) et après le confinement cela risque de recommencer… 🙂
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Merci pour cette belle critique pas piquée des hannetons 😁
Je me suis promis de lire ce livre quand la « Tessonmania » sera un peu redescendue…
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J’aime bien ton commentaire 😄. Merci et bonne soirée
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J’aime beaucoup la richesse de ton analyse qui donne envie de se perdre dans la plume de l’auteur et d’attendre, à ses côtés, les apparitions de la panthère… Malgré les excès que tu évoques, l’auteur semble offrir ici un très beau texte.
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Merci pour cette revue du livre, je me demandais ce qu’il valait avec tout ce battage. Par contre je suis en train de lire ses premiers livres et je vais par ordre chronologique (lu cet ete On a roule sur la Terre et cet hiver La marche dans le ciel) et la je vais entamer le 3eme sur les steppes des que j’aurai reçu ma commande de chez le libraire d’occasion. donc d’ici que j’arrive à celui-ci la Tessonmania sera redescendue, ce sera sans doute d’ici quelques années mais il est dans ma liste. Par contre si vous aimez les écrivains voyageurs il faut lire leur maitre a tous, le genial Nicolas Bouvier et en premier son chef-d’oeuvre « L’usage du monde » (et éventuellement quand on est passionné par le genre, le maitre de Nicolas Bouvier en l’occurrence une femme Ella Maillart qui avait fait exactement le meme voyage que dans l’Usage du monde plus de 15 ans auparavant en 1939 – le livre en question c’est La voie cruelle). Mais vraiment Nicolas Bouvier c’est le meilleur de tous les écrivains de voyage !
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Je note car j’aime lire de temps en temps des récits de voyage. Merci pour ce commentaire très intéressant !
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Rien à faire, il ne me tente pas.
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Merci pour ce bel article!
J’ai entendu il y a déjà longtemps une interview de Sylvain Tesson qui m’avait beaucoup plu. C’était sur un voyage en Sibérie, je crois, ou dans cette région du monde. Mais depuis, je dois avouer que certaines de ses positions me gênent et franchement je ne comprends pas qu’un écrivain comme lui puisse écrire des phrases aussi stupides que celle sur les monitrices tyroliennes! Enfin, je vais essayer de ne pas avoir de jugements définitifs!
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Oui c’est exact mais il y a quand même de bien belles choses dans ces livres. Belle journée !
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les mots de Tesson sont toujours une merveille. je ne me lasse pas de ses écrits. je ne sais dire si « la panthère des neiges » ou « sur les chemins noirs » est mon préféré. c’est riche de vocabulaire, c’est poétique, c’est bordé de réflexions. j’ai également adoré la lecture (et le livre photo qui l’accompagne)
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Oui, il faut absolument que je me procure Sur les chemins noirs, je sens que c’est le moment !
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Encore un Tesson que j’ai beaucoup aimé.
Décidément cet auteur nous livre une belle oeuvre protéiforme.
Et merci pour ce beau retour de lecture
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Il fera partie de mes prochaines lectures, juste après Sur les chemins noirs. Sans être une spécialiste de l’auteur, que je viens de lire pour la première fois, je crois déjà deviner que ces récits demandent un temps lent, d’observation, de réflexion, et j’apprécie beaucoup cette cadence imposée. Il me tarde vraiment de le lire à nouveau !
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