Claire VESIN, Blanches

Éditions La Manufacture de livres

Publié en février 2024

304 pages

Le titre « Blanches » me plaît… Un beau titre, direct, aveuglant : « blanches » comme les tenues, comme la lumière artificielle qui inonde les couloirs et les salles d’opérations ; nuits blanches des gardes avec trop peu de personnel… le stress et la fatigue. Du blanc en contrepoint de cette ville de banlieue parisienne, nommée Villedeuil dans cette fiction, s’inspirant d’un réel étouffant.

Au sein d’un hôpital public qui se fissure de toute part, ils partagent joies et échecs, détresse et amour du métier. Malgré les difficultés, ils tiennent, jusqu’à ce qu’une nuit cet équilibre soit remis en question, bouleversant leurs vies.

Jean-Claude Pouillat est un personnage attachant, un chirurgien qui a passé toute sa carrière dans cet hôpital à proximité des tours d’une ZUP. Il est devenu mélancolique et solitaire suite à une vie familiale explosée, sa femme partie au Québec et ses fils loin de lui. Depuis il boit trop. Laetitia est infirmière a l’accueil des urgences. Son rôle est essentiel et elle est très investie. Son compagnon, Kamel, a bien réussi dans ses études, un diplôme d’ingénieur en poche, il passe des entretiens pour obtenir un emploi. Aimée, jeune femme brillante marquée par un amour tragique avec Arnaud, un des fils de Jean-Claude Pouillat, débute l’internat et choisit d’effectuer son premier stage à Villedeuil, pour se rapprocher du père d’Arnaud. Un peu perdue, solitaire depuis la disparition d’Arnaud, elle se sent attirée par Fabrice, médecin au SAMU, marié et bientôt père, ce qu’il vit mal. Les personnages secondaires sont aussi intéressants : Flora et son mari, Gilles, le père d’Aimée, médecin également… Lors de ces mois vécus ensemble, leurs destins vont s’entremêler dans le quotidien stressant des urgences, avec le risque de dérapage toujours possible. Ce qui ne va tarder !

L’écriture est directe, précise et sans détours, juste ce qu’il faut pour décrire, analyser, préparer le lecteur pour la suite, lecture addictive qui empreinte à certains codes du polar. Je ne crois pas avoir vu cela souvent : ces lignes sautées, « blanches » elles-aussi, qui donnent la respiration et la possibilité d’imaginer ce qui vient d’être lu. J’ai noté une grande maîtrise dans la manière de retranscrire les nombreux dialogues. Un découpage rigoureux, mois par mois sur deux années intenses pour Aimée, ce qui cadre bien avec un environnement scientifique très organisé ou qui devrait l’être. Et pourtant l’amour pour les personnages, pour les gens surgit à chaque page.

« – Aimée, il faut que tu oublies cette patiente. Les échecs et les erreurs, c’est notre lot à tous. Quoi que tu fasses, ceux qui doivent mourir mourront. Tu apprendras avec le temps, vivre c’est 90 % de fatalité et 10 % de médecine. Il n’y a que les imbéciles pour s’imaginer détenir un tel pouvoir. Et ne va pas croire que ce discours signifie que j’ai baissé les bras. Pas du tout. Dix pour cent, c’est suffisant pour se battre. »

L’autrice connaît ce milieu, cela se sent, sa parole est juste. J’admire cette écriture, expression irrépressible pour un livre non formatée, montrant dans la mesure l’entre soi à l’œuvre dans les quartiers, jusqu’à son expression dans la prise en charge des malades. Que de qualités : scénario savamment construit, psychologie des personnages tout à fait passionnante – je me suis cru par moment dans l’excellente série « En thérapie » –, jusqu’à la fin qui sait nous retenir sans tracer un chemin exact car l’avenir est toujours incertain, dépendant de nos choix individuels et collectifs.

Claire Vesin est née en 1977 à Champigny-sur-Marne. Après une adolescence aux États-Unis et des études de médecine à Paris, elle décide d’exercer en banlieue parisienne, où elle vit aujourd’hui. « Blanches » est son premier roman. Claire Vesin fait entendre la voix sensible de celles et ceux qui font l’hôpital public et sont marqués à jamais par le combat pour soigner dignement. Un livre reçu dans le cadre de la sélection du Prix du livre Orange qui m’a permis de passer un excellent moment de lecture et de découvrir une nouvelle autrice de talent.

J’ai l’impression que ce sont les professionnels du soin, tels que Martin Winckler (et Claire Vesin…) Thomas Lilti aussi au cinéma –, qui ont le mieux su traduire ce qui se passe à l’hôpital en produisant des fictions marquantes. Peut-être du fait qu’ils sont au plus près de la vie… et de la mort ? Qu’en pensez-vous ?

Autres citations :

« Sa voix était enrouée lorsqu’il reprit :
« Je faisais encore de la chirurgie pédiatrique, à l’époque. Il fallait voir ça, les parents nous déposaient leurs gamins directement dans les bras. Je me trouvais à les serrer contre moi, à sentir leur corps raidi par l’angoisse pendant qu’on les emmenait au bloc. Et puis je les voyais se détendre progressivement quand je leur expliquais ce que j’allais faire, c’était magique.« 
Il souriait en y repensant. »

« C’est devenu impossible, maintenant. Il faut faire signer des papiers, les parents se méfient de tout, on n’ose plus toucher les patients. Il n’y a plus que la peur entre nous ? Peur de l’erreur de diagnostic, d’une mauvaise prise en charge… Peur du procès qu’on pourrait nous faire. L’époque a changé. »

Notes avis Bibliofeel février 2024, Claire Vesin, Blanches

18 commentaires sur “Claire VESIN, Blanches

    1. Bonjour Claire Vesin. J’espère que vous lirez cette réponse car c’est avec beaucoup d’émotions que je vous réponds. Vos mots me touchent énormément. J’ai aimé votre livre et il est déjà entre les mains de mes proches. On a bien besoin de tels romans qui allient puissance littéraire et témoignage implacable sur les difficultés du soin aux personnes. Merci d’avoir pris le temps de ce commentaire. J’espère que vous connaîtrez un beau succès avec ce livre là qui en appelle d’autres… Belle journée à vous ! Alain Bibliofeel

      J’aime

    1. Merci Nathalie pour ton retour. J’ai du retard à cause des piles de livres que j’ai à lire dans le cadre du jury du prix Orange. Mais alors qu’elle belle expérience ! Elle me permet de comparer les styles d’écritures, le talent aussi d’un grand nombre d’autrices et d’auteurs. Plutôt rassurant non pour cette littérature qu’on a envie de défendre !

      Aimé par 1 personne

  1. Moi aussi, la référence à En thérapie m’a convaincue, comme celle à Martin Winckler et Thomas Lilti. Il y a leur métier et leur très belle sensibilité qui rendent leurs oeuvres aussi réalistes et humaines.

    Aimé par 1 personne

    1. Oui ! Il faut la connaissance scientifique poussée et la sensibilité. Dans bien d’autres domaines, l’environnement, les voyages, la guerre… la sensibilité seule peut suffire pour écrire un bon roman. Pour écrire sur la guerre pas besoin d’être soldat ou général… Les meilleurs livres à ce sujet sont plutôt dus à des observateurs éclairés, à mon avis…

      Aimé par 1 personne

  2. Hello ! J’enregistre ce bouquin qui m’intéresse. Excellente chronique comme à ton habitude. Le milieu hospitalier et sa psychologie. La série “en thérapie” m’avait plu, alors, il n’y a pas de raison que ce livre me déplaise. Merci.

    Aimé par 2 personnes

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.