Diadié DEMBÉLÉ, Le duel des grands-mères

Éditions Jean-Claude Lattès, publié en janvier 2022

222 pages

La phrase-seuil donne immédiatement une idée du voyage proposé par l’auteur : « A la maison tout le monde parle songhay, peul, bambara, soninké, senoufo, dogon, mandinka, tamasheq, hassanya, wolof, bwa. Mais à l’école, personne n’a le choix : il faut parler français. » Ce sont bien les langues qui sont au cœur du livre, avec le drame pour le jeune Hamet, le narrateur, de ne pas pouvoir parler dans sa langue natale, celle qui l’amuse, le distrait : « langue de nos meilleures amitiés, nos meilleurs souvenirs »

Hamet est un écolier de Bamako, plutôt turbulent et en froid avec cette langue française qu’il doit pratiquer à l’école alors qu’elle n’est pas parlée dans sa famille. Il a bien des difficultés à la comprendre et devient le souffre douleur du groupe et des enseignants, Mme Guindo et M. Diarra. Il fait l’école buissonnière pour s’adonner à ce qu’il aime : lire, jouer, manger des beignets. Cette partie est parfaitement traitée, elle débouche sur un éloignement du jeune garçon chez les grands-mères dans un village reculé où Hamet est censé apprendre le respect des traditions et l’obéissance. Le voyage en bus, décrit à hauteur d’enfant, l’installation à la campagne où il observe un monde nouveau, découvrant la pêche collective de la mare, la culture aux champs – sous la surveillance de Demba, au turban bleu azur et chapeau conique –, sont autant d’épisodes charmants, drôles et poétiques.

« De loin une forte musique, Frissons d’amour  d’Oumou Sangaré, vient nous titiller. »

Ce roman d’apprentissage, avec l’invention de mots et de phrases insolites, est un vrai régal. On doit deviner le sens des expressions qu’entend le jeune Hamet, mais ce n’est pas gênant dans la mesure où cela permet d’adopter la position du jeune garçon, de ressentir la frustration dont il souffre. Je dois avouer que l’absence de lexique pour les expressions en italique m’a désorienté dans un premier temps, alors que je ne trouvais pas certaines traductions sur internet. Maintenant j’ai envie de sourire et d’applaudir à l’ingénieuse perfidie de Diadié Dembélé, consistant à me mettre dans une situation analogue à celle vécue par le petit personnage du roman.

L’auteur s’est inspiré d’un séjour en 2008 au Mali. Un roman à lire pour l’originalité de traitement de thèmes forts : la langue, la liberté, l’insoumission… Et aussi ce duel des grands-mères, apparaissant tardivement, comme une scène finale signant la quête des origines.

Diadié Dembélé est né à Kodié, dans l’ouest du Mali. Diplômé du Master de création littéraire de l’université Paris VII, il travaille en tant qu’interprète au sein d’une association d’aide aux migrants. Le duel des grands-mères est son premier roman, couronné du Prix littéraire de la Vocation 2022.

Quelques citations :

«  Mama est là, elle prend soin de moi, elle me biberonne. Je la regarde de haut en bas. Elle possède un « voir-des-yeux » particulier. Elle est grande de taille, le nez tatoué à la ligne droite de l’élégance soninké, dont le noir renverse son teint argileux au combat des nuances. »

«  Avec Mama, l’avion est ce qui imite l’oiseau parce qu’il en a marre d’être une pirogue imitant les poissons dans l’eau, comme elle-même qui vole dans le vide de sa chambre par peur de ramer dans les larmes de la tristesse. Avec Mama, le train est ce qui part lentement comme la chenille et disperse ses larves, comme la vie a dispersé ses enfants de part et d’autre de la vallée du Sénégal. »

« La charrette est conduite par un adulte. Il doit non seulement nous guider, mais nous surveiller. A bord, il faut éviter les bagarres, les échanges frauduleux de « tongué« , les vols, et surtout les chutes. Rassembler autant de jeunes garçons dans une charrette, c’est vouloir mettre dans la même cage une dizaine de Tom & Jerry. »

« La vieille dame m’appelle : « N’kina » Son petit mari comme son petit homme […] Je lui réponds que je ne suis pas son mari. Je ne comprends même pas pourquoi cette venue-directement-de-la-brousse me traite de petit mari. Tout le monde autour ricane. »

Notes avis Bibliofeel décembre 2022, Diadié Dembélé, Le duel des grands-mères

14 commentaires sur “Diadié DEMBÉLÉ, Le duel des grands-mères

  1. On sent le charme de ce récit. La musique que tu nous joins nous y projète déjà.
    Tout cela m’évoque ce que les jeunes bretons ont subi au début du 20e. L’apprentissage d’une langue « étrangère » par la force.
    La France est devenue ce qu’elle est par la contrainte avec ou sans les formes.
    Nos ancêtres gaulois étaient Celtes et en Afrique il n’étaient pas Gaulois 😂

    Aimé par 2 personnes

    1. Je suis ravi de ton retour. Effectivement c’est ce qu’il dit, indirectement, en passant par une forme originale. J’espère que ce premier roman sera suivi par beaucoup d’autres. Bonne semaine à toi !

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  2. Je suis curieuse de ce livre, ton avis, le lieu choisi, me donne envie de me lancer. J’ai souri en voyant le nom d’Oumou Sangré sur ton article, je l’ai découvert cette année grâce à une amie ainsi que Sona Jobarteh. J’adore leur voix douce et leur tempo tendre et dépaysant.
    Belle journée et de belles lectures !

    Aimé par 2 personnes

    1. Ce titre d’Oumou Sangaré est cité dans ce récit très original qui se bonifié pour moi plus le temps passe. Sonia Jobarteh est associée à de beaux souvenirs. Je l’ai découverte alors que je lisais Les impatientes, d’où la présence d’un de ses plus beaux morceaux sur ma chronique. Son dernier album est magnifique. Belles lectures et bon Noël !

      Aimé par 1 personne

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