Deon MEYER, Lemmer l’invisible

Lu dans l’édition Points paru en janvier 2010

Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Estelle Roudet

« Le tourisme est devenu le moteur de notre pays, une industrie plus importante que nos mines d’or. Il crée des emplois, fait rentrer des devises étrangères, il devient un monstre que nous devons sans cesse nourrir. »

Lemmer est un ancien garde du corps, au passé douloureux, qui tente de refaire sa vie. C’est l’invisible du titre, un homme chargé de missions secrètes qui agit dans l’ombre de personnages importants… Suite à un séjour en prison, il aimerait bien se faire une vie plus calme, mais comme il a vraiment besoin d’argent, il décide d’accepter la mission de protéger la belle Emma Le Roux. Celle-ci a vu son frère à la télévision alors qu’il avait disparu depuis vingt ans, et pense qu’il y a un rapport avec l’agression dont elle vient d’être victime.

Dans ce récit épique, l’imagination chemine en immersion dans un décor somptueux où cohabitent des hommes se confrontant entre eux et également avec une faune sauvage menacée. C’est un livre qui prend tout son sens actuellement avec un récit où la destinée des hommes est liée aux lieux, aux animaux et à la végétation que les hommes protègent… Ou pas ! C’est un roman écrit en 2007 et qui prend encore plus de force actuellement.

On peut facilement suivre Lemmer et Emma sur une carte d’Afrique du sud et se laisser entraîner dans l’aventure. Attachez vos ceintures et envolez-vous de l’aéroport international du Cap vers l’aéroport Kruger Mpumalanga, puis voyagez dans le Transvaal, à la frontière du Mozambique. On parcourt la réserve de Mohlolobe pour arriver au centre de rééducation de Mogale (inspiré du centre de sauvetage d’animaux Moholoholo dont on peut visiter le très beau site internet, à défaut de se rendre sur place).

A côté et au cœur de l’intrigue captivante, est présentée une faune exotique superbement décrite : les calaos, le mamba noir de la chambre d’Emma, les vautours avec un superbe exposé des différentes espèces et de leur fonction  le vautour Charognard (necrosyrtes monachus), le premier à se nourrir, le vautour du Cap (gyps coprotheres) capable de couvrir 750 Km en ligne droite, le vautour Oricou (aerogypius tracheliotus), 3 mètres d’envergure, 1100 kilomètres d’autonomie… spécialiste de la peau et des ligaments et le Lammergeyer spécialiste du nettoyage des os prenant cet os, le lâchant en vol sur les rochers afin qu’il se brise pour pouvoir l’avaler.

Les personnages sont attachants et se dévoilent peu à peu, physiquement (Emma, son timbre de voix, ses gestes fluides…), mentalement (les suppositions de Lemmer) et un très convaincant récit d’enfance et d’histoire de leurs parents (notamment l’enrichissement du père d’Emma Le Roux.)

Sans trop en dire, je retiendrais ici la description géniale du combat avec le serpent : « Je retirai brusquement mon pied et achevai de pulvériser sa tête en forme de cercueil. » L’aventure et la violence sont magnifiées jusqu’à l’abstraction par l’écriture (et certainement une traduction réussie) : « Je me sentais coupable du contraste frappant entre cette spirale mortelle et ce ruban sans vie. »

Lemmer a des certitudes, il aime à énoncer ses propres lois. Il imagine souvent le parcours et la vie des gens qu’il côtoie (surtout les femmes) et se trompe pas mal (la proximité et les évènements l’amèneront à évoluer pour en quelque sorte guérir un peu de son enfance). On découvre, entre autre, la Loi de Lemmer sur les petites femmes. Très drôle !

Enfin il y a une vraie étude de la réalité sociale : l’afrikaner achète « une paire de soleil hors de prix (avec le nom de la marque bien en vue) qu’il n’enlève que quand il fait totalement nuit. Cela lui sert à instaurer une première barrière entre les pauvres et lui « Je peux te voir mais toi tu ne peux pas ». » La réalité de l’Afrique du sud post apartheid est bien présentée avec ses hommes blancs, noirs, métisses et ses langues afrikaner, sepedi et autres peuplades Shibashwas, Makulekes, etc… avec leurs croyances ancestrales (pouvoirs magiques attribués aux têtes de vautour, aux cornes de rhinocéros ou d’éléphant.)

J’ai aimé la scène du restaurant où Lemmer (porte-voix à n’en pas douter de Deon Meyer…) parle du vin et du jus de raisin – voir sur ce blog, l’article de son roman « En vrille » – ainsi que la raison pour laquelle la femme de l’accueil Susan parle anglais et non afrikaner (le positionnement des marques). Les scènes de violence, notamment celles avec Cobie Le Roux, sont captivantes.

J’ai trouvé que c’était une formidable trouvaille que ces pages où Lemmer parle à Emma, qui se trouve dans le coma, ce qui permet à celui-ci de se dévoiler sans risque. A la « face blanche » de l’histoire riche et dorée d’Emma répond la « face noire » de la famille de Lemmer où la mésentente, l’alcool et la lâcheté ont miné sa jeunesse.

Le dénouement est crédible jusqu’au bout et historiquement intéressant. Il est question de la mort de Samora Machel, un des premiers à lutter victorieusement contre le colonialisme portugais et à devenir le premier président en 1975 du Mozambique indépendant. Son avion s’est crashé en 1986 suite à un détournement par balise mobile opéré par le gouvernement d’Afrique du sud – raciste à l’époque – afin d’en finir avec la guerre menée dans la région contre le risque marxiste. C’est la thèse développée ici, thèse qui circule depuis quelques années après des témoignages crédibles d’anciens acteurs de cet attentat.

La fin est très réussie et j’ai refermé ce roman en me disant que Deon Meyer est vraiment un grand écrivain. J’ai passé de très bons moments en apprenant une foule de choses sur l’Afrique du sud, ses hommes, sa nature et son histoire dans cette intrigue policière de haut niveau !

Notes avis bibliofeel décembre 2019, Deon Meyer, Lemmer l’invisible

3 commentaires sur “Deon MEYER, Lemmer l’invisible

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