Pierre LEMAITRE, Au revoir là-haut

Premier volet de la trilogie : « Les enfants du désastre » Editions Albin Michel, 2013 Prix Goncourt 2013 Paru en livre de poche en mars 2016

Rescapés de la guerre, détruits par la barbarie d’une guerre vaine, Albert et Edouard comprennent rapidement qu’ils doivent se débrouiller seuls. Ils imaginent une arnaque d’une audace folle… Et pourtant basé sur des faits réels !

Ce livre, dont l’action commence en novembre 1918, est dédié à Jean Blanchard qui a fourni le titre du roman (voir lettre en fin d’article).

Un titre formidable car il possède ce mystère, cette profondeur (si je peux dire, vu le début du livre dans les tranchées…) qui donne envie de savoir ce que ce livre raconte. Et on n’est pas déçu si on plonge dans ce tumulte insensé raconté dans les 56 premières pages de ce joli livre de poche. Pierre Lemaitre aurait réécrit la 1re scène 22 fois ! Il parle de scènes et non de chapitres tellement cela semble fait pour être projeté sur l’écran. D’ailleurs Albert Dupontel l’a adapté au cinéma avec le même titre…

L’auteur, psychologue de formation (est-ce pour cela que les personnages sont aussi denses et crédibles ?) a enseigné la littérature française et américaine. Il avoue l’emprunt à « quelques auteurs », de Brassens, Balzac, Homère à Aragon, Marquez, Hugo, DiderotUn bien beau prix Goncourt 2013 ! Bravo l’artiste. Faire revivre cette époque, réhabiliter ainsi de pauvres soldats pris par l’histoire ! Chapeau !

Les personnages sont incroyablement bien décrits et deviennent absolument réels : Albert, Eugène sont 2 complices malgré eux avec une humanité conservée malgré tout. Albert, dont sa mère, Mme Maillard disait « il ne va pas arriver à grand-chose, c’est moi qui vous le dis ! Mais bon, c’est Albert ; Qu’est-ce que vous voulez, il est comme ça ». Eugène (fils du banquier Marcel Péricourt) n’a plus de visage mais conserve le génie humain intact de création, un artiste au talent incroyable qui transforme l’horreur brute en plumes d’oiseaux. Henri d’Aulnay Pradelle, la fripouille, est l’arriviste sans aucun scrupule, escroc aux gants blancs sachant profiter de ses appuis haut placés. Marcel Péricourt banquier influent et sa fille Madeleine qui a épousé Henri, sont au centre de l’intrigue et on les retrouvera dès le début du tome suivant « Couleurs de l’incendie » Sans oublier les personnages secondaires tels que Pauline, la petite bonne de M. Péricourt qui devient au fil des pages un personnage tellement vrai. On la voit au travers des phrases de Pierre Lemaitre.

Les chapitres vont de l’un à l’autre des personnages ou des groupes de personnages, d’un milieu social à l’autre. Puis les allers-retours se font de plus en plus rapides au fur et à mesure que l’action progresse et va connaître son dénouement. Quel dénouement… Là, on a un peu peur que la fin ne soit pas au niveau du long développement. Mais bien au contraire, nous tenant en haleine jusqu’au bout Pierre Lemaitre termine et prolonge son récit en maître (pardon !) et nous laisse éblouis de reconnaissance pour toutes ces émotions…

J’ai trouvé par ailleurs des extraits de la lettre de Jean Blanchard à qui ce livre est dédié, lettre vraiment émouvante mais qui ne donne pas le ton du livre, toujours très vif et drôle lorsque qu’on a passé les premières pages… Les scènes de départ dans les tranchées sont en effet terribles !

L’auteur termine le récit par des remerciements étonnants : à la littérature romanesque de l’après-guerre, d’Henri Barbusse à Maurice Genevoix, de Jules Romain à Gabriel Chevallier et aussi à J. Valmy-Baysse. Des auteurs dont la voix semble s’estomper peu à peu ?

Hommage aussi à Louis Guilloux et Carson McCullers (je ne connais aucun des deux mais cela donne envie de découvrir…) dont les personnages de Joseph Merlin et Antonapoulos ont été inspirés.

La suite « couleur de l’incendie », parue en 2018, n’est en rien inférieure au niveau très élevé de ce roman et fera l’objet du prochain article. On suit le destin de beaucoup des personnages de « Haut revoir là-haut » dans les années 1927-1929, dans l’entre-deux guerres. Le troisième opus n’est pas encore paru mais on connaît le titre « Miroir de nos peines », qui abordera les années quarante… Je suis très impatient de lire cette suite.

« Quel choc ! Grand roman sur l’après-guerre de 14, grand roman existentiel, un requiem sombre et brûlant que sert une écriture splendide, dure, efficace comme un coup de poing en pleine figure. » François Busnel

Pierre Lemaitre dit vouloir faire bien des choses simples. Je trouve qu’il y arrive à la perfection.

C’est un roman qu’il m’a été facile de classer dans mes livres essentiels dont je souhaite rendre hommage dans ce blog. Il s’agit bien d’une littérature populaire, mais de qualité exceptionnelle, qui redonne un sens à des histoires individuelles, tout en cultivant le plaisir de lire et d’apprendre. Chapeau M. Lemaitre ! Moi ça me donne le moral qu’un tel livre ait déjà été vendu à plus d’un million d’exemplaires !

Extraits de la lettre de Jean Blanchard à sa femme Michelle2 : « 3 décembre 1914, 11 heures 30 du soir

Ma chère Bien-aimée, c’est dans une grande détresse que je me mets à t’écrire et si Dieu et la Sainte Vierge ne me viennent en aide c’est pour la dernière fois…

Je vais tâcher en quelques mots de te dire ma situation mais je ne sais si je pourrai, je ne m’en sens guère le courage. Le 27 novembre, à la nuit, étant dans une tranchée face à l’ennemi, les Allemands nous ont surpris, et ont jeté la panique parmi nous, dans notre tranchée, nous nous sommes retirés dans une tranchée arrière, et nous sommes retournés reprendre nos places presque aussitôt, résultat : une dizaine de prisonniers à la compagnie dont un à mon escouade, pour cette faute nous avons passé aujourd’hui soir l’escouade (vingt-quatre hommes) au conseil de guerre et hélas ! nous sommes six pour payer pour tous, je ne puis t’en expliquer davantage ma chère amie, je souffre trop, l’ami Darlet pourra mieux t’expliquer, j’ai la conscience tranquille et me soumets entièrement à la volonté de Dieu qui le veut ainsi ; c’est ce qui me donne la force de pouvoir t’écrire ces mots, ma chère bien-aimée, qui m’as rendu si heureux le temps que j’ai passé près de toi, et dont j’avais tant d’espoir de retrouver. Le 1er décembre au matin on nous a fait déposer sur ce qui s’était passé, et quand j’ai vu l’accusation qui était portée contre nous et dont personne ne pouvait se douter, j’ai pleuré une partie de la journée et n’ai pas eu la force de t’écrire…

Oh ! Bénis soient mes parents qui m’ont appris à la connaître ! Mes pauvres parents, ma pauvre mère, mon pauvre père, que vont-ils devenir quand ils vont apprendre ce que je suis devenu ? Ô ma bien-aimée, ma chère Michelle, prends-en bien soin de mes pauvres parents tant qu’ils seront de ce monde, sois leur consolation et leur soutien dans leur douleur, je te les laisse à tes bons soins, dis-leur bien que je n’ai pas mérité cette punition si dure et que nous nous retrouverons tous en l’autre monde, assiste-les à leurs derniers moments et Dieu t’en récompenseras, demande pardon pour moi à tes bons parents de la peine qu’ils vont éprouver par moi, dis-leur bien que je les aimais beaucoup et qu’ils ne m’oublient pas dans leurs prières, que j’étais heureux d’être devenu leur fils et de pouvoir les soutenir et en avoir soin sur leurs vieux jours mais puisque Dieu en a jugé autrement, que sa volonté soit faite et non la mienne. Au revoir là-haut, ma chère épouse. Jean »

Notes avis bibliofeel juillet 2019, Pierre LEMAITRE, Au revoir là-haut

3 commentaires sur “Pierre LEMAITRE, Au revoir là-haut

  1. Merci pour votre lecture du roman de Lemaitre, très lucide et claire. Moi aussi, j’ai trouvé « Au Revoir Là-haut » un livre vif, parfois dur, qui nous montre bien ce qui a été la vie pendant la guerre et après. Henri d’Aulnay-Pradelle c’est un personnage effrayante, qu’on n’oubliera pas.

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    1. Je suis ravi de votre commentaire concernant un livre m’ayant fait découvrir Pierre Lemaitre. Les deux tomes suivants sont bien également mais sans atteindre cette force. Henri d’Aulnay-Pradelle est un personnage marquant. Malheureusement ce n’est pas seulement un personnage fictif, on découvre assez régulièrement des personnages de cet acabit dans la vie réelle…

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