Éditions Le Passage, paru en octobre 2017 pour cette édition
212 pages

Jean-Paul Delfino nous propose une virée nocturne déjantée dans le Paris des années folles. Je me suis laissé tenter par l’aventure, grisé par cette époque et par ces compagnons d’exception : un poète baroudeur Blaise Cendrars et un musicien révolutionnant son art, Erik Satie. Tout ce qu’il faut pour traverser le Paris magnifié d’après-guerre en cette année 1925. Un livre adressé par l’auteur « A toutes celles et tous ceux qui, tapis dans la nuit, savent encore rêver à leur étoile. »
L’amitié, l’amour forment la trame de ces récits successifs. Amitié entre deux hommes que tout oppose sauf la proximité de la fille aux grands yeux verts – selon la métaphore de Satie pour désigner la misère – qui accable les deux hommes, et la frénésie de rêves plus grands qu’eux.
« Il n’y avait pas d’eau courante. Encore moins de gaz et d’électricité. C’était cela l’univers d’Erik Satie, le créateur des Gnossiennes qui, elles, voyageaient maintenant à travers le monde, libres de toutes entraves, applaudies, admirées, louées pour leur modernité. »
Cendrars, côté fiction, accepte d’aider son ami à retrouver son amour de jeunesse, l’artiste peintre Suzanne Valadon, surnommée Biqui. Erik Satie a réellement eu une courte liaison dans sa jeunesse avec Suzanne mais celle-ci avait refusé sa demande en mariage. Le poète et son compagnon trouvent là un argument pour faire le tour des lieux du Tout-Paris de l’époque : Le chien qui fume, la Closerie des Lilas, l’Opéra Garnier, la brasserie du Petit Billard de Nation…
Le premier chapitre « Les russes blancs du chien qui fume » permet de rentrer directement dans cette succession d’épisodes alternant la fiction – de belle manière, avec bagarre, fuites… – et éléments empruntés à la vie artistique d’époque – Cocteau et l’argument volé d’un opéra destiné à Satie, l’énumération des occasions où Cendrars et Satie se sont réellement croisés… J’ai aimé l’entrée en matière inoubliable avec un bras de fer terrible entre le russe blanc aviné, nommé le Baron Noir, et un Cendrars déterminé, malgré son bras unique, lui qui a été amputé du bras droit en 1915 lors de la première guerre mondiale.
Au cimetière du père Lachaise, les deux compères visitent la tombe de Guillaume Kostrowitzky. Vous avez certainement reconnu le nom de naissance du poète Guillaume Apollinaire :
« Il n’y avait qu’une méchante croix de bois et pas même de pierre tombale. Et regarde ça, maintenant. On dirait l’un des menhirs de Stonehenge. Ou un gibet. Ou non : on dirait un transatlantique en route pour les tropiques, avec une cheminée qui cherche à tutoyer les étoiles. Ben merde, alors ! Quel orgueilleux quand, même, ce Kostro… »
J’ai aimé le récit de l’arrivée de Zarafa, la première girafe à mettre le sabot en France et la promenade à dos de Girafe de Satie. Jean-Paul Delfino a un talent fou pour malaxer ainsi les faits documentés et l’imagination débridée qu’on ne voit souvent que dans les livres pour enfants.
La forme du livre est originale, une réussite de document fiction. Les éléments réels sont facilement détachables des péripéties poétiques décrites, sans aucune retenue et pour mon plus grand plaisir. L’écriture est travaillée pour faire honneur à la fois au poète, par la beauté de la langue, et au musicien, par la mélodie qui se dégage de l’ensemble.
Un livre pour tous les rêveurs de mots et de notes de musique, poussières de souvenirs de deux artistes incroyables, à savourer en regardant les étoiles, en gardant notre âme d’enfant émerveillée par la beauté du monde que nous transmettent certains artistes.
Je suis ravi d’avoir découvert Jean-Paul Delfino avec cet étonnant récit. Il est l’auteur de plusieurs romans policiers, de pièces radiophoniques, d’une série romanesque consacrée à l’histoire du Brésil qui compte neuf romans. Il a également publié un recueil de Contes et Légendes du Brésil et plusieurs opus sur la Bossa nova et la musique brésilienne en général. Les pécheurs d’étoiles a obtenu le Prix des Lycéens du Salon du livre de Chaumont.
Autres citations :
« Moi, je suis bien placé pour savoir que l’écriture ne nourrit pas son homme. Pour en vivre, il ne faut pas seulement écrire. Il faut en plus savoir manigancer, manger à tous les râteliers, avoir de l’entregent et, souvent, pas beaucoup de fierté ni d’orgueil. Kostro était doué pour ça. Et Cocteau, à ce jeu-là, c’est un maître. Moi, pas. »
« Le poète roula de sa main unique une énième sèche et, à la flamme de la bougie, l’incendia dans les crépitements discrets de brins de tabac se tordant dans la braise. »
« Au même instant, le taxi repris son cours dans le flot du boulevard de l’Hôpital où les automobiles, grondantes, vrombissantes et klaxonnantes, faisaient de leur mieux pour noyer les dernières charrettes qui tentaient encore de résister à la modernité en marche. »
Autour de l’œuvre, quelques mots sur Cendrars et Satie :
Blaise Cendrars de son vrai nom Frédéric Louis Sauser, est un écrivain, né en 1887 en Suisse, naturalisé français, et mort en 1961 à Paris. Il a également utilisé les pseudonymes de Freddy Sausey, Frédéric Sausey, Jack Lee, Diogène. Sa poésie est imprégnée de voyages, réels ou imaginaires. Dans le film Petite Nature de Samuel Theis, sorti en mars 2022, le jeune Johnny récite un poème de Cendrars d’une façon incroyable, devant un professeur subjugué par les gestes de l’enfant accompagnant sa diction. Il me semble qu’il s’agit de ce beau poème ?
« Iles
Des iles où l’on ne prendra jamais terre
Des où l’on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous. »
Erik Satie est né en 1866 à Honfleur où on peut visiter le musée qui lui est dédié. Il est un compositeur inclassable, auteur par exemple des Trois Morceaux en forme de poire, 1903, qui seraient une réponse à Debussy reprochant à sa musique de n’avoir aucune forme définie. Dans sa passion contrariée pour sa « Biqui », il compose « Vexations ». Curieuse pièce dont le motif doit être répété 840 fois de suite – « il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses ». Fantasque Satie ! Il a terminé sa vie en cette année 1925, dans le dénuement le plus total… La reconnaissance est venue après… Il est en effet un des compositeurs les plus écoutés au monde.
Notes avis Bibliofeel mars 2022, Jean-Paul Delfino, Les pêcheurs d’étoiles
Super boulot ton blog, vraiment 👌 hésites pas à venir faire un tour sur mon site Intel-blog.fr et à t’abonner si ça te plaît 🙂
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Il a l’air bien, ce livre ! 🙂
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Oui, je remercie ma libraire de me l’avoir conseillé. L’idée est originale et j’ai beaucoup appris sur Satie et les artistes qu’il a connus.
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Un vrai régal ce post. Ce livre doit se déguster comme il se doit en écoutant Satie et en baroudant avec les deux compères dans le Paris de 1925. Merci Alain pour cette superbe découverte que je vais demander à mon libraire préféré.
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Oui, un livre qui fait du bien surtout en cette période. Merci Alan pour ton enthousiasme. Tu ne devrais pas être déçu avec ce livre là !
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Je ne savais pas que Satie était le compositeur le plus joué au monde. Merci pour l’info.
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Merci de relever ce point. J’aurais du mettre un des compositeurs les plus écoutés plutôt que joués comme indiqué sur le site officiel Erik Satie… Je vais modifier.
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Bonjour Alain,
Cette mention de Zarafa me fait penser à ce livre sur lequel je suis tombée dernièrement, « Une girafe pour le roi » de Gabriel Dardaud (Elytis, 2007). Le seul commentaire qu’il y a à son sujet sur Babelio n’est pas très élogieux, mais cela peut peut-être t’intéresser tout de même ?
À très vite !
Lilly
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Pourquoi pas. Rien que le titre m’attire !
Une girafe pour le roi c’est poétique. Merci pour la référence. Je vais regarder.
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