Paru en mai 2017 aux éditions Actes Sud, très belle édition comme Actes Sud sait le faire !

Magnifique photo de Jacques Henri Lartigues en couverture, un photographe considéré comme un génie du noir et blanc !
Bonne nouvelle : ce roman est maintenant disponible en livre de poche aux éditions Babel, et la magnifique photo de Lartigues a été conservée en couverture !
L’histoire se déroule sur quatre générations soit sur plus d’un siècle. Il vaut mieux le comprendre rapidement car cela pourrait être déroutant pour suivre les personnages au gré des nombreux allers-retours… La lecture de ce récit épique, à la fois historique, policier, romanesque est très agréable. Tout ce que j’aime et cherche à promouvoir dans ce blog !
Si vous voulez lire sans connaître trop l’histoire vous pouvez sauter les trois paragraphes suivants et passer aux Bravos !
Première génération : Nous sommes dans la riche propriété du patriarche catalan Andreu Roderich et sa femme Blanca. Leur fille, Maria Roderich, à 20 ans lorsque le phylloxéra réduit à néant les vignes de l’exploitation familiale en 1893. Le richissime chef de famille a déjà commencé à établir les quatre frères de Maria à Barcelone afin qu’ils terminent leurs études ou s’installent dans de confortables carrières. Elle, en tant que femme, n’a pas d’autre avenir que de gérer une exploitation moribonde. Sauf si son père cache son jeu et si elle sait renverser la situation !
Deuxième génération : Maria Roderich surnommée « la vieille » a hérité de la propriété ainsi que de l’appartement-palais de Barcelone et est parvenue, contre toute attente, à la faire prospérer. La scène ou Narcis Magi fait livrer un piano et des caisses de livres est fameuse, comme l’arrivée de la « culture » dans un monde où la tradition et la religion figent les choses et les comportements. Plus tard, à la mort de son cultivé mari, Maria retournera à la pensée ultra-conservatrice du moment, rang à tenir et montée du franquisme oblige…
Troisième génération dans les années 1940 : la propriété est maintenant dirigée par la fille de Maria Roderich « la vieille », son prénom est encore Maria (Maria Magi donc) dite « la senyora ». Elle a une fidèle nourrice, Ursula qui joue un rôle important, sorte de fil conducteur, c’est elle qui débute et clos le récit. C’est Maria Magi « la senyora » qui va briser beaucoup d’interdits, notamment en tombant amoureuse du fils de la cuisinière, Llorenç, plus ou moins adopté par sa mère. Elle va vivre avec lui des amours tumultueuses, finira par l’épouser et par avoir une fille, la troisième Maria !
Puis Maria quatrième génération, en 2001, Maria Costa, qui voyage dans le monde entier pour faire la promotion des vins de la propriété et qui recueille les souvenirs de son père Llorenç ainsi que les secrets de famille…
Bravo ! Bravo ! Bravo aux 3 Maria… Et bravo à Lluis pour ces portraits de femmes fortes, souvent libres et insoumises, qui ont su écrire leur destin, avec l’aide de l’auteur, en dehors de la loi masculine ! Les portraits de femmes sont aussi beaux que le portrait de Lartigues de couverture…
Certains passages sont vraiment magnifiques notamment celui de la répartition des biens avec le notaire et les frères et sœur. Ce chapitre ou le notaire de famille convoque la fratrie pour l’héritage de son père Andreu Roderich est vraiment fameux. On saisit la scène et la psychologie des personnages et l’auteur magnifie la revanche de Maria : « Maître Pages l’écoutait fasciné. Voilà l’intelligence de sa mère et l’autorité de son père réunis dans une jeune femme apparemment fragile, mais qui à présent, juste en cet instant, était en train de déployer ses ailes pour prendre son envol. »
Le portrait de Robert, un des frères de Maria Roderich, qui pensait être l’héritier du domaine et de l’appartement-palais à Barcelone, est terrible : « Un rictus aux lèvres, mais surpris par l’attitude de sa sœur et la nouvelle situation, le garçon déplia la feuille de papier les mains encore tremblantes et commença à lire. Ce qu’il était en train de découvrir le paralysa. Il se sentit désarmé par ce qu’il lisait. C’est alors que Maria, debout, le fixant dans les yeux et avec un surprenant regard d’acier pour ses frères, prononça ces mots qui sonnaient le début d’une nouvelle ère… » Toute la scène est inoubliable et justifie la lecture de ce roman à elle seule !
J’ai également trouvé l’histoire policière bienvenue notamment par le contexte historique très crédible avec un inspecteur Recader complexe et intéressant. Il enquête sur un meurtre commis sur la propriété en 1936, ce qui introduit à la fois du mystère et rappelle le contexte social du début de guerre d’Espagne.
Pour une fois je vais citer les quelques lignes en quatrième de couverture, lignes consacrées à Lluis Llard, car il situe bien la dimension du personnage : « Lluis Llach est né en 1948 à Gérone. Figure de proue du combat pour la culture catalane pendant le franquisme, il a à son actif comme chanteur une trentaine d’albums. Retiré de la scène artistique en 2007, il est élu député au sein du parlement catalan et se consacre à une fondation créée au Sénégal pour soutenir la commune de Palmarin, dans le sud du pays, et à la culture de la vigne dans le Priorat. »
Lluis llard a écrit à partir de son environnement, de ses convictions humanistes et donne ici une œuvre forte, tout à fait passionnante. Ce livre est en bonne place dans mes romans essentiels dont je ne me sépare pas.
Notes avis bibliofeel juillet 2019, Lluis LLACH, Les femmes de la Principal