Correspondance (1878-1928) tome 1, et correspondance (1929-1956) tome 2, recueillie par Marie Dormoy, Mercure de France, première parution en 1992
Lu dans l’Édition 10/18, tome 1 paru en juin 2001 et tome 2 paru en octobre 2001.

Paul Léautaud est un écrivain, critique, pamphlétaire (collaborateur au Mercure de France pendant 45 ans où il est en charge de la réception des manuscrits) de moins en moins lu et pourtant je pense qu’il faut le lire pour son esprit singulier, pour revivre à travers ses écrits une grande partie de cette intense vie culturelle du début du XXe siècle et surtout pour trouver là une écriture limpide et juste. Son œuvre la plus importante d’écrivain est certainement son « Journal littéraire », soit dans l’édition originale : 18 tomes plus un tome d’index (plus de 6 000 pages), journal qu’il a tenu chaque jour pendant plus de 60 ans.
« La correspondance », que je présente aujourd’hui, est un « petit complément » très intéressant : 1217 pages de lettres que Paul Léautaud a précieusement gardées de 1878 (né en 1872, il a alors 6 ans !) à 1956, année de sa mort. Et encore il n’y a pas ici les « Lettres à Marie Dormoy » qui font l’objet d’un tome supplémentaire. Marie Dormoy, l’écrivaine, muse, conservatrice de l’œuvre de Léautaud comme le fut une autre Marie, Marie de Gournay, pour un auteur à l’esprit autrement plus solide, Michel de Montaigne… Une œuvre imposante qui n’est pas sans évoquer les milliers de pages d’écrivains du XIXe siècle, je pense entre autres à George Sand et à Victor Hugo (aux caractères bien moins acides mais ayant également par leur énorme production rendu compte de leur époque). Parmi ses correspondants : Maurice Barrès, Paul Valéry, Pierre Louÿs, Henri de Régnier, Léon Blum, André Gide, Maurice Martin du Gard, Louis Aragon, Sacha Guitry, Alain Fournier, Guillaume Apollinaire, Louis Jouvet et des dizaines d’autres personnalités célèbres.
Quel individu singulier… Déjà garder toute cette masse de lettres…Et cette vie d’ermite… Mais un ermite observateur très impliqué dans le monde culturel. Il aimait la vie et détestait par bien des aspects les hommes. A-t-il eu besoin d’une revanche sur son enfance, sur une mère artiste aussitôt partie après sa naissance, sur un père souffleur à la comédie française qui ne s’occupe pas de lui ? Écrire semble pour lui une manière de prouver qu’il existe. Outrancier parfois dans ses choix, provocateur, c’est un être sensible capable d’amitiés durables (André Billy a été l’ami de toujours) mais qui restera profondément seul toute sa vie. Revient sans cesse ce besoin de secourir et protéger les animaux, les sans voix et les sans défense. Peut-être s’est-il senti délaissé, sans personne pour le secourir, lui aussi, dans son enfance ?
Il aurait recueilli dans toute sa vie quelques 300 chats, 150 chiens, et même une guenon échappée d’on ne sait où, qu’il avait trouvée dans son jardin. Avec en moyenne 15 chats et 3 où 4 chiens à la fois ! Belle ménagerie qui l’a privé de tout confort matériel. Il faut bien dire que Paul Léautaud aime se mettre en scène, aime donner la leçon même s’il revendique l’humilité et aime être ce personnage marginal, vivant petitement dans sa solitude.
C’est une expérience (littéraire) unique que d’être ainsi avec lui pendant tant d’années, soixante dix huit ans exactement ! Il a un style, Paul Léautaud, un vrai grand style, sans fioritures…
« Je puis de plus vous assurer que mes travaux littéraires ne m’ont jamais fait négliger mon travail de bureau et que vous pourriez compter sur tout mon zèle à remplir les fonctions quelles qu’elles seraient que vous me confieriez.»
Quelles qu’elles seraient que vous me confieriez… où la musique simple et charmante, un mot qu’il emploie souvent. Même les lettres les plus banales, par ce talent d’écrire, sont de vrais joyaux. Comme j’aurais aimé pouvoir m’imprégner de cette musique tout au long de ces pages pour, peut être, dans mes phrases, en garder une toute petite parcelle.
Il y a des lettres émouvantes, quand il se raconte sa timidité, sa difficulté à être à l’aise au milieu des autres, tout ce qui fait qu’il se trouve « peu distrayant » (lettre à Paul Valéry du 3 janvier 1903). Il y a des lettres de l’homme éloquent telle celle du 26 août 1921 à Gaston Gallimard, un modèle de l’art de bien plaider sa cause. Il y a des lettres drôles et tragiques à la fois : lettres à Mme Cayssac qu’il commence par « ma chère amie », pour mieux l’aligner ensuite. Il y a aussi des lettres qui sont de vraies lettres d’amour même si l’incompréhension règne entre eux et, à cause de cela, sont bourrées d’ironie. D’autres d’une hargne insupportable, telle cette lettre du 25 juin 1932… Mais quel texte ! Je ne la cite pas, espérant donner envie d’emprunter ou d’acquérir ce livre. D’autres lettres mettent mal à l’aise quand il fustige les résistants, mettant dans le même sac (au mieux ?) les nazis et ceux qui luttent arme à la main contre eux. Cela n’empêche pas de temps à autre une clairvoyance mordante, une éclaircie soudaine dans un ciel bien sombre, par exemple quand il écrit au maire de Fontenay Aux Roses en 1948 (la guerre est alors terminée…) :
« J’ajouterai que la nouvelle du passé et la nouvelle menace dans lesquelles nous venons d’être mis du fait des américains, bien qu’elles ne soient que le pendant de l’après-guerre 1914-1918, ne me les rend pas sympathiques. Dans la guerre comme dans la paix, ils ne sont que des hommes d’affaires, (les leurs). L’aide qu’ils nous donnent, soyez tranquille, ils sauront en retirer de grands avantages. Nous n’avons vraiment rien de commun avec eux. »
Quant à tout comprendre à ses prises de position, quel sens cela peut-il avoir pour cette personnalité prônant la solitude et, en même temps, laissant autant de signes de sa présence au monde ? Anticonformiste, anarchiste, égotiste, provocateur génial ? Pour avoir une position claire, il aurait fallu qu’il se préoccupe des autres alors qu’il était surtout centré sur lui-même. Peut-être l’amertume d’une enfance gâchée l’empêche-t-elle de se mêler vraiment des affaires du monde autrement que par une ironie amusée et lointaine, à se préoccuper en priorité de ses chats et de ses chiens.
Un épisode fameux a eu lieu en 2009, révélant les convulsions qui agitent de temps à autre le monde médiatique : une journaliste du Nouvel Observateur avait mis en doute la véracité des rencontres entre Paul Léautaud et Pierre Perret, que ce dernier a souvent relatées, notamment dans des entretiens télévisés et dans ses livres. Pierre Perret avait porté plainte. Un jugement était prononcé en 2012, favorable au chanteur, qui gagnait du même coup trois procès en diffamation contre des journalistes et contre le journal Le Figaro. Fin d’un épisode tragi-comique qui a opposé des artistes, souvent mal vus des autorités, et la presse. On retrouve dans cet épisode, Marie Dormoy, compagne de Léautaud qui travaillait avec lui, comme témoin principal.
Il serait aussi dommage de ne pas parler des entretiens de Paul Léautaud et Robert Mallet diffusés en 1951 sur la Chaîne Nationale, il n’y avait alors qu’une unique chaîne en noir et blanc. Ces entretiens Léautaud-Mallet sont considérés comme une œuvre radiophonique qui fait référence à la fois dans le monde des Lettres et des Arts mais aussi dans l’histoire du journalisme et des médias. Ils ont largement contribué à rendre célèbre cet auteur, paradoxe pour ce solitaire, plutôt asocial, bénéficiant dans les tout premiers de la publicité d’un média appelé à devenir incontournable.
Paul Léautaud est un auteur qui s’est trouvé par hasard sur le devant de la scène – son père n’était-il pas souffleur de théâtre et sa mère chanteuse d’opérette –, à la jonction de deux mondes, l’ancien et le nouveau avec sa technologie et sa modernité. Il a écrit, de par tous les personnages qu’il a côtoyés ou mis en mouvement après sa mort, une sorte de comédie humaine du dernier siècle plutôt passionnante.
C’est un écrivain attachant – malgré sa mesquinerie, sa mauvaise foi, sa misogynie, sa méchanceté souvent – et un précieux témoin de son temps ! Un créneau qui est occupé encore actuellement…
Les entretiens Léautaud-Mallet sont très drôles : le ton du journaliste – précurseur de Bernard Pivot et François Busnel –, sérieux quoi qu’il entende et le ton de l’auteur détaché et libre comme l’air…
Notes avis Bibliofeel juin 2020, Correspondance, Paul Léautaud
Très bonne chronique qui donne envie de lire la correspondance de cet écrivain que, pour ma part, je n’ai jamais lu. Merci pour cette découverte.
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Merci. Je suis ravi que cela te donne envie de lire cette belle correspondance.
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J’avoue n’avoir jamais lu de correspondance. Ce peut être l’occasion de tenter l’expérience.
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pourquoi pas en effet… Je n’ai encore jamais rien lu de cet auteur …alors commencer avec les correspondances constitue une bonne manière de faire connaissance 🙂
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Tout à fait et cela se lit très bien, c’en est surprenant ! Le style…
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Très intéressant.
Merci, et bonne journée.
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Merci toutlopera… oupresque. Belle soirée
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Quel homme étonnant. Tout est découverte pour moi. Enfin, du moins, surtout l’homme. Je note. A lire. Car à vrai dire je ne connais pour ainsi dire pas son oeuvre,
Intéressante cette chronique. Merci beaucoup pour ce partage. A très bientôt.
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Oui étonnant, c’est le mot. Je rédige en ce moment un petit complément à cet article car j’ai envie d’en dire un peu plus… Et son histoire m’amuse beaucoup ! À bientôt
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Oui, j’ai vu. C’est la vidéo, c’est ça ?
Il m’a bien plu. Et amusée aussi.
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Oui c’est bien ça. Première vidéo de mon blog et elle m’a aussi beaucoup amusé tout en disant certaines choses des médias de masse en devenir.
Belle journée Solène !
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Enfant à Fontenay aux Roses dans les années 1950, j’ai le souvenir de LEAUTAUD qui avait de longues discussions avec la Mère Mariette, épicière amoureuse des chats. Savez vous si la correspondance évoque cette époque ?
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Merci pour ce témoignage émouvant. Avoir le souvenir de rencontres avec Paul Léautaud m’impressionne ! Les correspondances occupent deux gros volumes, lus il y a un bon moment déjà… Mais je vais regarder s’il est question de cette épicière !
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