Robert WALSER, Retour dans la neige

Édition française originale : Éditions Zoé, 1999

Traduit de l’allemand par Golnaz Houchidar

164 pages

Que c’est bon, ce paisible Retour dans la neige avec Robert Walser ! J’ai découvert cet immense écrivain de langue allemande avec Le commis, et j’ai eu envie de revenir vers lui à l’occasion du mois allemand organisé tous les ans par Patrice et Eva du blog Et si on bouquinait un peu et par Fabienne du blog Livr’Escapades. J’étais intrigué par cet écrivain dont l’œuvre principale, à côté des somptueux romans, est constituée de plus de mille cinq cents petites proses, publiées entre 1899 et 1920 dans des revues et des journaux, ou sous forme de recueils.

Voici un nouveau genre littéraire, peu commun pour moi… La petite prose, la prose brève. Où commencent les poèmes en prose, où décide-t-on qu’il s’agit de nouvelles ? Peut-être dans les conventions et les appréciations de chacun…

J’ai choisi de mettre en avant deux textes donnant une idée de l’écriture de cet auteur, reconnu aujourd’hui comme un des plus grands écrivains du XXème siècle. Tout part ici, le plus souvent, de déambulations en ville et à la campagne, d’où découle tout naturellement une riche introspection. Il me semble compliqué d’écrire et de rendre passionnantes des scènes banales du quotidien. Mais voilà, Robert Walser sait parfaitement utiliser son écriture aérienne, développant poétiquement telle description, jugeant avec bienveillance ses semblables, apostrophant le lecteur, et cousant en points virgules l’ensemble dans des phrases longues, riches et mélodieuses.

Madame Scheer : le narrateur loge chez une riche veuve. Très riche et très seule, très laide aussi, avec des soucis accumulés sur toute une vie. Il se prend d’amitié pour elle. Désœuvré, il lui rend des services en échange de la gratuité du logement. Madame Scheer a su utiliser ses capacités à faire fructifier ses affaires, mais est totalement passée à côté de sa vie, et l’âge ne lui permet plus d’avoir une nouvelle chance. Les pleurs de sa logeuse, qu’il perçoit de l’autre côté de la cloison, le touchent. Conversant avec elle, il finit par lui trouver une beauté singulière, même s’il a hâte de rejoindre son lointain pays. C’est le plus long texte, une nouvelle de vingt-trois pages, certainement en lien avec le moment où il quitte la vie berlinoise en 1913 pour regagner sa ville natale de Bienne en Suisse.

« Non, il n’est pas bon que l’homme pleure encore lorsqu’il est à un âge où il peut trouver merveilleusement bon de sécher les larmes d’un enfant. »

La rue : de nombreux textes ont la ville pour cadre dans ce recueil. Nul autre n’a son pareil pour capter l’ambiance d’une rue de grande ville, l’omnibus à chevaux et son contrôleur, un voyage en tramway par temps pluvieux, la foule observant un incendie, une promenade vers le lac, une escapade à la campagne. La rue est un texte d’à peine quatre pages, d’autres ont une à deux pages seulement, série de miniatures comportant bon nombre de réflexions personnelles, sur la vie en général et le comportement de ses concitoyens. Cela m’a évoqué Les rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau.

« L’un était ceci, l’autre cela, un troisième encore, rien. Beaucoup étaient ballottés, vivaient sans but, se laissaient emporter ici et là. L’aptitude à la bonté demeurait inemployée ; l’intelligence étreignait le vide ; bien des beaux talents ne portaient pas de fruits. »

L’auteur est tour à tour philosophe et poète :

« En passant les yeux d’une femme me dirent : Viens avec moi. Fuis ce tourbillon, abandonne ce foisonnement, reste auprès de celle qui te rendra fort. Si tu m’es fidèle, tu seras riche. Dans le tumulte, tu es pauvre. »

Je pense à ce moment là au poème de Baudelaire intitulé A une passante. Quel contraste ! Tout est possible avec Robert Walsercette aptitude à s’émerveiller enchante la lecture. Alors que Baudelaire se blesse de regrets « Ne te verrai-je que dans l’éternité ? », lui écrit de son écriture douce et chaude : « Ah, qu’il est joli, qu’il est joli de vivre. » L’ombre et la lumière, secret d’une beauté douce dans un cas, menaçante dans l’autre !

« On ne devrait jamais s’isoler, jamais être indolent, mais toujours vaillant et plein d’entrain sur ses deux jambes et avec sa tête, et vivre parmi ses semblables, l’âme et l’esprit éveillés pour agir dans la vie. »

Ce petit livre me confirme que Robert Walser a sa place parmi les classiques. Et vous, avez-vous ressenti cette agréable impression de beaucoup mieux réfléchir au cours de promenades solitaires, au milieu des passants ou dans les campagnes ?

Autres citations :

« il me revint les paroles qu’à une certaine heure et dans une circonstance précise, quelqu’un disait à ses semblables : Ne perd pas courage. Ne te laisse pas aller au sentiment que tout est méchant. Ma fréquentation et la tendresse que j’éprouve pour toi doivent te mener à des pensées plus belles et plus élevées. »

« Seule la culture, le travail dur et pénible de chacun sur son propre caractère et le combat qu’il mène contre lui même permettront, longtemps après, de remporter peut-être la victoire dans les batailles de l’humanité. »

« La paix et la liberté ne peuvent exister parmi nous que si chacun laisse chacun vivre libre et en paix. »

Lu dans le cadre des Feuilles allemandes

Notes avis Clesbibliofeel novembre 2023, Robert Walser, Retour dans la neige

20 commentaires sur “Robert WALSER, Retour dans la neige

  1. Tiens, je n’interprète pas le poème de Baudelaire comme vous. Pour l’avoir décortiqué avec des quatrièmes qui l’ont récité sous forme de vidéos avec des images dont le choix devait être expliqué… J’ai passé beaucoup de temps avec ce poème et j’y avais perçu le regret de l’instant magique évanescent qu’est la rencontre avec une image de l’idéal… Là où vous ressentez une menace, j’avais ressenti une nostalgie… D’où l’intérêt de converser pour échanger des idées ! 🤣 Je m’en vais le relire de ce pas ! Bon mercredi de novembre 🌈☀️

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    1. Je l’avais lu comme cela également, comme la nostalgie de l’instant évanescent. A le relire, juste après ce texte court de Robert Walser, j’y ai vu une menace inéluctable. La défaite est là, irrémédiable, soumise à une improbable nouvelle rencontre « Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! ». Tout comme une couleur prend toute sa puissance par rapport à une autre, je trouve intéressant d’observer ce qui se passe quand on met en présence deux auteurs, deux visions proches et pourtant bien différentes. Le poème de Baudelaire s’est superposé à ma lecture et s’est éclairé d’une nouvelle lumière. Les feuilles des arbres prennent bien des teintes différentes selon les saisons pourquoi pas les grands textes classiques ? Merci pour cet échange et belle journée également !

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  2. Merci beaucoup pour ta participation, Alain! Je me souviens de ton plaisir de lecture l’année dernière en découvrant Walser et ton nouveau billet fait très plaisir à lire. Comment ne pas avoir envie de découvrir ce grand auteur suisse après ça ? Quelque chose me dit qu’on aura encore l’occasion de le voir sur les blogs ces prochaines années, d’autant plus qu’il y a de quoi faire avec, entre autres, plus de 1500 petites proses…

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    1. Bien sûr ! J’en serais enchanté ! Merci beaucoup pour la proposition. Effectivement il est quasi exclusivement question de ville dans ce recueil… J’ai bien l’intention de lire Les enfants Tanner car cet auteur me plaît énormément !

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  3. Bonjour Alain j’avais adoré ce recueil de proses de Robert Walser, de même que « Vie de poète » et « les enfants Tanner ». Il a un style très remarquable ! Merci de ta chronique qui ravive d’excellents souvenirs ! Bonne journée

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  4. Bonjour Alain, quel plaisir de retrouver ici Robert Walser dans le cadre des Feuilles allemandes ! Un grand merci pour ta participation. Je me souviens de ton enthousiasme pour « Le commis » et je retrouve en te lisant ce que j’avais éprouvé en lisant « La promenade », au gré des déambulations.

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