Paru en avril 2020,
Editions Librinova
157 pages

Romain découvre la prison. Les choses n’auraient jamais dû en arriver là, mais une vieille femme est morte… et il doit payer. Il va partager sa cellule avec Laurent, inculpé pour l’homicide d’un dealer. En même temps qu’ils vont apprendre à se connaître, les deux garçons vont devoir intégrer ensemble les codes de l’univers carcéral. De façon surprenante, c’est dans cet environnement hostile et fermé qu’ils vont réussir à nouer des liens d’amitié, et chercher des liens d’amour au-delà des murs. Réflexion sur la culpabilité, la liberté, la solidarité et le sens de la vie, Libres dans leur tête est un émouvant huis-clos et un édifiant récit d’apprentissage.
Je dois dire qu’au départ un livre sur l’univers carcéral, cela ne m’attirait pas beaucoup. Pourtant j’aurais eu tort de me priver de ces belles fleurs que Stéphanie Castillo-Soler parvient à faire pousser. Elle a écrit une bien jolie histoire, de deux êtres qui se découvrent eux-mêmes en même temps qu’ils apprennent à se connaître (et à s’apprécier) mutuellement, malgré les terribles circonstances et malgré leurs différences. De l’intérieur de cette prison, ils vont s’épauler afin de se reconstruire pour l’après. Peuvent-ils réussir à faire des rencontres déterminantes à l’extérieur afin de se projeter dans une nouvelle vie, plus riche, plus belle ? Le sordide de la prison n’est pas gommé, loin de là, simplement l’auteur a décidé de nous montrer les fleurs qui poussent et pas le bitume et la saleté qui se trouve autour. Ce n’est pas du « Feel Good », – d’ailleurs je n’aime pas cette expression – l’autrice se cogne au réel avec le souci de montrer les issues possibles.
Ce roman est réussi, une évidence pour moi, et les critiques lues ici ou là vont dans ce sens. Il m’a plu au-delà de toute attente par cette recherche d’espoir alors que trop d’écrivains, actuellement, s’acharnent à convaincre qu’il est inutile d’espérer en l’homme. L’art pessimiste collabore avec la violence du monde et contribue à nous faire rentrer dans le rang, à attendre sagement les décisions des autres. Ici, tout est bien dosé, réaliste quant aux grilles barricadant l’espoir mais présentant les possibles, les gens bienveillants qui existent partout, personnels sociaux, avocats, personnels de santé… Je dirai qu’en temps de crise, et de crise de cette ampleur, il est utile de donner un chemin d’espoir au lecteur. J’y ai trouvé cet espoir lucide et j’en remercie chaleureusement l’autrice.
Ce titre est cité dans le portrait chinois de Clémentine, une femme forte du récit. « Laurent relit la lettre de Clémentine, laissant infuser chaque mot en lui, s’efforçant d’imaginer la jeune femme lorsqu’elle a écrit ces pages. Était-ce le soir, le matin ? Était-elle assise dans son lit ou à son bureau ? Écoutait-elle de la musique ? Et comment est-elle ? Grande ou petite ? Brune ou blonde, ou bien rousse ? Il se demande s’il est autorisé à lui réclamer une photo… »
Un premier roman prometteur. Tout est parti d’un concours d’écriture organisé par les éditions Librinova. Impératif : écrire un huis-clos. Libellé du concours : « L’enfer, c’est les autres ». Stéphanie Castillo-Soler a bien voulu me parler de sa méthode de travail : « après quelques hésitations l’idée de la prison m’est venue, et j’ai commencé à écrire les premières lignes. La suite s’est enchaînée assez naturellement, j’étais comme « portée » par la magie de l’écriture. Je suis allée sur plusieurs blogs de personnes incarcérées ou qui l’avaient été, de proches, et d’associations. Pour les questions juridiques, j’ai contacté un avocat pénaliste. Pour le reste, j’ai laissé parler mon cœur ! ». Elle a bien fait car cela se lit avec énormément de plaisir. J’ai eu en permanence envie de connaître la suite et n’ai jamais été déçu, les rebondissements, l’inattendu jaillissant souvent de ce huis-clos.
En quatrième de couverture, elle mentionne qu’elle porte un regard personnalisé sur ses élèves en tant qu’enseignante, s’efforçant de révéler le meilleur de chacun. J’ai retrouvé cette exigence et cette confiance dans ce récit d’apprentissage maîtrisé d’un bout à l’autre. Les mots de Stéphanie rendent plus libre, plus fort. Je ne suis pas prêt d’oublier les personnages, Romain, Laurent, Manon, Clémentine… Merci Stéphanie de me l’avoir fait découvrir. Il devrait être étudié partout, de la primaire jusqu’aux grandes écoles d’administration et de politique – j’aime bien m’enflammer –. Sauf que certaines classes dirigeantes, de par le vaste monde, ont bien compris qu’il est plus facile de gouverner des gens peu éduqués, peu portés sur la culture et les arts en général. La peur, le désespoir sont des carcans très efficaces. Espérer, surmonter la peur, c’est déjà remettre en cause l’existant, permettre peut-être un nouvel ordre des choses.
Aucun angélisme dans ce texte qui cite en introduction le courageux ministre de l’éducation nationale et des Beaux-Arts, Jean Zay : « Malheur à celui sur lequel se referme la porte d’une prison et qui n’a point de vie intérieure, qui ne saura s’en créer ! », et aussi Hugo Pratt : « Il doit bien y avoir un moyen de s’échapper de cet enfer… il y en a sûrement un, en dehors du sommeil et des rêves. »
Et si on jouait cette carte de l’espoir ? Lisons « Libres dans leur tête » afin d’être, peut-être, plus libres dans la nôtre dans cette période nous enfermant également dans une sorte de huis-clos !
Notes avis Bibliofeel février 2021, Stéphanie Castillo-Soler, Libre dans leur tête
En marge du livre… J’ai lu plusieurs articles sur la justice restaurative, d’une justice qui inclut au lieu d’exclure. En France, l’inscription de la justice restauratrice dans notre système judiciaire a été inscrite dans la loi en 2014 seulement. Mais qui la connaît ? Quels moyens pour la développer ? De nombreuses résistances idéologiques demeurent avec l’accent mis sur l’alourdissement des peines, l’augmentation des barreaux et des murs de toutes sortes pour seul sinistre horizon.
Je veux aussi citer Coline Pierré, autrice d’un essai « Éloge des fins heureuses » (éditions Monstrograph) où celle-ci dénonce « la police sociale délétère du réalisme », « l’art pessimiste » dans le sens où il « collabore avec la violence du monde et participe ainsi à faire de nous de bons petits soldats ». Je me suis régalé à lire sa profession de foi : « J’écris pour tenter de réparer le monde lorsqu’il perd de son sens et pour mettre la pagaille quand il est trop propre et aligné. »
Difficile de développer plus ici… et vous qu’en pensez-vous ?
Voici ce que j’ai trouvé concernant la justice réparatrice en Belgique : En Belgique, des méthodes de justice restauratrice ont commencé à être pratiquées dans le secteur de la justice des mineurs dès la fin des années 50. En 1965, la prestation éducative ou philanthropique est inscrite dans la loi. Ce n’est toutefois qu’en 2006 avec la réforme de la loi de 1965 que l’approche restauratrice se voit conférer un cadre légal. Les offres restauratrices – médiation et Concertation Restauratrice en Groupe (CRG) – deviennent alors des priorités à mettre en œuvre par le juge et le tribunal de la jeunesse. Enfin, tout récemment, le décret portant le code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse du 18 janvier 2018 a fait un pas de plus en donnant désormais la possibilité aux parties de faire spontanément la demande d’une offre restauratrice. Ce décret devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2019.
Je pense qu’il reste beaucoup à faire partout dans ce domaine.
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Merci pour ce témoignage ! J’ai découvert le thème en marge de la lecture de ce beau récit, bien utile pour réfléchir au fonctionnement du milieu carcéral. Effectivement il reste beaucoup à faire !
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