Dany LAFERRIERE, Tout bouge autour de moi

Edition Grasset, paru en janvier 2011

J’ai relu ce beau récit qui fait écho pour moi à ce que nous vivons actuellement. Quelque chose se produit, de l’ordre de l’impensable, faisant bouger toutes les lignes, peut-être durablement. Ce texte, d’un intellectuel majeur de notre époque, à partir de notes prises sur le lieu de la catastrophe, est précieux. Il parle des hommes, de leur faiblesse, aussi de leur immense énergie ; de l’histoire telle qu’elle se construit au gré des évènements ; des conséquences des choix qui sont faits ; de la vie, de nos vies.

Le 12 janvier 2010 à 16 h 53 a eu lieu un tremblement de terre de magnitude 7 (la puissance d’une bombe nucléaire), dont l’épicentre était à environ 25 km de la capitale d’Haïti. Le 12 janvier 2010, Dany Laferrière se trouvait à Port-au-Prince ! Un an après, il témoigne de ce qu’il a vu, de l’horreur, mais aussi du sang-froid des Haïtiens. « Que reste-t-il quand tout tombe ? La culture. Et l’énergie d’une forêt de gens remarquables. » Son témoignage nous fait vivre le drame de l’intérieur, il était au restaurant quand en moins d’une minute tout s’est effondré autour de lui. Il s’en est sorti miraculeusement indemne, la construction étant en bois et non en béton, elle a mieux résisté.

Le message est respectueux et positif alors que tournaient en boucle sur les télévisions du monde entier les images obscènes des immeubles effondrés et du chaos ambiant – n’est-ce que cela l’information ?

« Ce désastre aura fait apparaître, sous nos yeux éblouis, un peuple que des institutions gangrénées empêchent de s’épanouir. Il aura fallu que ces institutions disparaissent un moment du paysage pour qu’on voie surgir, sous une pluie de poussières, un peuple à la fois fier et discret. »

Ce sont des instantanés d’impression pris sur le vif, Dany a toujours sur lui son petit carnet pour prendre des notes de ce qu’il voit, de ce qu’il ressent (et son passeport autour du cou, lui l’écrivain partagé entre Montréal, Miami et Paris). C’est émouvant, on retrouve tous les tempéraments, que ce soit ici en Haïti ou ailleurs c’est pareil, et il y a bien des enseignements à en tirer.

Une phrase que je retiens, courte mais définitive :

« Un pays n’est jamais corrompu, ce sont ses dirigeants qui peuvent l’être. »

Un nom et un portrait : le témoignage saisissant du poète Frankétienne qui veut « faire de ce désastre une œuvre d’art ». Quelle énergie dans la langue capable de fabriquer joliment un nouveau nom d’un nom composé.

Haïti, malgré bien des soucis, au fil des ans, arrive à produire une multitude d’artistes talentueux, ayant souvent dû émigrer – au Québec notamment, assez proche et de langue française.

« Déjà en 1929, Paul Morand notait dans son vif essai Hiver caraïbe que tout finissait en Haïti par un recueil de poèmes. Plus tard Malraux parlera, lors de son dernier voyage à Port-au-Prince en 1975, d’un peuple qui peint. »

Ce livre d’impressions se lit comme un roman, il permet de mesurer le talent de l’auteur et sa capacité d’empathie. Dany Laferrière, né Windsor Klébert Laferrière est un écrivain d’origine haïtienne. Il s’est fait appeler Dany pour éviter toute confusion avec son père qui portait le même prénom Windsor Klébert. Un père maire de Port-au-Prince, puis sous-secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie, forcé à l’exil au Canada à 24 ans en raison de ses opinions politiques. C’était l’époque de la milice sanguinaire « les Tontons-Macoutes », des Duvalier père et fils, Papa Doc et Baby Doc, qui ont terrorisé la population pendant 29 ans de 1957 à 1986. Dany, d’ailleurs, s’est exilé à 23 ans à Montréal, après l’assassinat de son ami Gasner Raymond, avec qui il travaillait en tant que journaliste. Il est membre de l’Académie française sans pour autant avoir la nationalité (seul Julien Green avait été dans cette situation). Haïti, ancienne colonie française, a obtenu la toute première son indépendance en 1804 puis a été abandonnée à son sort. Voyez comme Dany résume bien la situation dans ce livre « Tout bouge autour de moi » :

« L’Occident a toujours refusé de reconnaître cette arrivée au monde. L’Europe comme l’Amérique lui ont tourné le dos. Et fous de solitude, ces nouveaux libres se sont entre-déchirés comme des bêtes. Et depuis, l’Occident donne Haïti en exemple à tous ceux qui voudraient un jour se libérer de l’esclavage sans sa permission. Une punition qui a duré plus de deux siècles. Tu seras libre, mais seul. Rien n’est pire qu’être seul sur une île. »

J’avais lu « Vers le sud », un récit plus joyeux – publié en 2006, c’était avant le grand tremblement de terre – où il parle de façon subtile de la misère de son pays et en même temps de la formidable soif de vie qu’il héberge. D’un Haïti, alors usine à fantasme pour des touristes qui venaient trouver ici un paradis perdu chez eux malgré l’argent, malgré la vie facile. Laurent Cantet a fait un film portant le même titre « Vers le sud » tiré du recueil de nouvelles « La chair du maître » de cet auteur. Film qui a précédé l’écriture de ce roman écrit en 2006 sur les mêmes thèmes. Après le tremblement de terre de 2010, les touristes sont partis chercher leurs rêves dans d’autres contrées.

Pour se détendre un peu dans cette période particulièrement éprouvante, je recommande le savoureux « Journal d’un écrivain en pyjama » où l’auteur parle de sa relation avec cette passion d’écrire et de lire, de ses affinités avec des auteurs célèbres. C’est passionnant ! Il a beaucoup d’humour le Dany, lui qui avait connu la célébrité littéraire avec « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » en 1985, récit adapté au cinéma en 1989.

Dans le domaine de la chanson actuelle Mélissa Laveaux, canadienne d’origine haïtienne, est particulièrement remarquable dans la démarche de son dernier album « Radio Siwèl ». Elle trouve son inspiration dans l’extraordinaire patrimoine musical de la terre natale de ses parents. Après de nombreuses recherches, documentées sur la période d’occupation du pays par les U.S.A (1915 à 1934), Mélissa Laveaux réveille des chants populaires de résistance, honorant ainsi une mémoire souvent dissimulée dans les livres d’histoire. J’ai eu la chance d’assister à son dernier concert, salle La Pléiade à La Riche, le 12 mars, juste avant que tout s’arrête avec fermeture des restaurants, des lieux publics et annulation de tous les évènements… Elle a fait preuve d’une fabuleuse énergie sur scène, au chant et à la guitare électrique, commentant ses chansons de superbe manière. Un spectacle fort, elle et ses musiciens savaient qu’ils ne remonteraient pas sur scène avant quelque temps à cause de la pandémie de coronavirus. J’ai pu avoir le dernier vinyle de la soirée où elle a mis en dédicace « Le dernier vinyle de la soirée est toujours béni » !

Notes avis Bibliofeel mars 2020, Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi

2 commentaires sur “Dany LAFERRIERE, Tout bouge autour de moi

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