Elisabeth MOTSCH, Ivres de joie

Édition Le Chant des Voyelles,

Publié le 3 novembre 2021

« Les jours de bonheur, vous préfèrerez Cimarosa ; dans les moments de tristesse, Mozart aura l’avantage. » écrivait Stendhal à propos de son compositeur de prédilection.

Voici un roman original, présentant les dernières années de la vie d’un musicien majeur du XVIIIe siècle, célèbre alors dans toute l’Europe et même jusqu’à la Cour de Russie. Elisabeth Motsch parvient à nous communiquer l’esprit du chant napolitain, la joie de vivre, l’ivresse de la musique tourbillonnante alliée aux espiègleries d’opéras qui ne se prennent pas trop au sérieux. Cette biographie romancée, permet de s’immerger dans une fin de siècle mouvementée. Il y a beaucoup à dire et à apprendre entre la Révolution française qui tente de s’exporter et l’Empire napoléonien en devenir. Un délice pour un lecteur curieux tel que moi. Amateur d’opéra ou pas, on a vite envie d’écouter cette musique dont il est largement fait état dans le récit. Entre Mozart et Rossini, ce Cimarosa est à découvrir ou redécouvrir. Pour commencer, avec ce final de « Le astuzie femminile » qui donne le ton et permet d’aborder le tragique des évènements avec légèreté.  

« Mais à ma chère Gaetana je dois aussi quelques pages inspirées après une superbe scène de jalousie. J’ai écrit très vite la partition de l’opéra Le astuzie femminile, qui lançait des aigus foudroyants au visage du baryton et a connu un beau succès. Je n’ai pas osé la remercier pour cette réussite qui lui était dûe ! »

« Le astuzie femminili » de Domenico Cimarosa – finale par Nelson Portella – 1986

Janvier 1799, Domenico Cimarosa, s’engage au côté des révolutionnaires napolitains en saluant la proclamation de l’éphémère République parthénopéenne par la composition d’un hymne patriotique dont le refrain est : Liberté, égalité, fraternité. Ce qui ne plaît pas, mais pas du tout à Marie-Caroline, la sœur ainée de Marie Antoinette, reine de France guillotinée en 1793. Au retour de Ferdinand IV et de Marie-Caroline cinq mois plus tard, grâce à l’appui des navires anglais de l’amiral Nelson, Cimarosa est emprisonné à la forteresse de Sant’Elmo, celle-là même conquise par les révolutionnaires le 21 janvier.

Le compositeur, raconte ici son enfance, son éducation musicale chez les moines, son séjour auprès de Catherine II à Saint-Pétersbourg, sa vie en prison en tant qu’hôte de marque, menacé malgré tout de mort !

L’ivresse de la liberté, de l’égalité, de la fraternité dans cette république parthénopéenne se marie parfaitement à la musique joyeuse, lyrique et tendre de Cimarosa. Il est aussi question de tendresse quand il parle de Sapienza, « soprano légère » avec qui il a une liaison, de Paolo, son ténor « à la voix souple… libre et fou », de son valet et garde du corps, le taciturne Amadeo, et plus encore quand il s’agit d’évoquer la poétesse et révolutionnaire Eleonora di Fonseca Pimentel.

Grande figure cette Eleonora qui comme la plupart des personnages du livre a bien existé. Elle occupe une belle place et ce n’est que justice au vu de son tragique et injuste destin.

« Celle que nous admirions et suivions les yeux quasi fermés c’était Eleonora di Fonseca Pimentel, une femme exceptionnelle. Poétesse et bibliothécaire, elle s’était tournée très vite vers la République. J’ai gardé le Monitore napoletano du 2 février 1799 où elle avait écrit : Est arrivé pour nous le jour où nous pouvons enfin prononcer les mots sacrés : Liberté et égalité. »

L’écriture est fluide pour ce récit rappelant à notre souvenir une période assez oubliée et bien peu commentée de notre histoire. Les français à Naples en 1799 avec ce Général Championnet pour défendre la République parthénopéenne ? C’est un nom que j’entendais pour la première fois, il évoquerait Parthénope, sirène légendaire obligeant Ulysse à se faire attacher au mât du bateau afin de ne pas succomber à son chant.

« Je monte sur mon escabeau pour voir le paysage à travers les barreaux. J’aime ma ville de Naples, sa forme d’amphithéâtre romain avec le grand M du Vésuve en décor d’arrière-plan et ce golfe magnifique tracé par l’un des volcans éruptifs de ces champs phlégréens. »

J’ai beaucoup aimé ce récit parfaitement présenté par la photo de couverture invitant à la joie du partage, la liberté de la musique et de la culture sous toutes ses formes. Une bouffée d’ivresse joyeuse et musicale appréciable dans une époque moderne privilégiant le triste, les catastrophes, la peur de l’avenir, tel un nouveau carcan afin de contenir les velléités de rébellion des peuples. Nouveau chant parthénopéen dont il faudrait, comme Ulysse, se soustraire afin de conserver la possibilité de parvenir à un monde meilleur.

Elisabeth Motsch est écrivaine et éditrice. Après avoir écrit pour la jeunesse à L’Ecole des loisirs et des romans pour adultes chez Grasset et Actes Sud, elle a créé une nouvelle maison d’édition, libre et engagée – selon les termes de la quatrième de couverture –, Les Editions le Chant des Voyelles. Elle y a déjà publié Le désarroi de l’enfant de chœur.

Je la remercie sincèrement pour cette lecture et souhaite longue vie au Chant des Voyelles, un nom vraiment bien trouvé, une maison d’édition dont je vais suivre – Avec joie – les publications…

Notes avis Bibliofeel novembre 2021, Elisabeth Motsch, Ivre de joie

16 commentaires sur “Elisabeth MOTSCH, Ivres de joie

    1. J’ai bien entendu pensé à toutloperaoupresque en écrivant cette chronique…
      En espérant un petit retour si tu le lis.
      Bonne journée également, avec de la musique joyeuse si possible !

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  1. Ah ben tu vois, en te lisant j’ai bien entendu pensé à l’ami Toulopera ( ou presque). Et s’il ne m’avait pas précèdée ici, je lui aurais parlé de ta chronique.
    Le livre a l’air intégrant. L’auteur (trice) , je découvre… Je note son nom et le titre. Mais pas pour tout de suite. J’ai tellement de livres à lire. J’en ai emmené quelques uns, dont  » Honoré et moi » que je viens de commencer. Mais le soir je m’endors au bout de 2 ou 3 pages des livres, qu’au lit, je lis ( j’essaie de lire). Le « grantair » m’assomme.
    Merci à toi, Alain. A bientôt !

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    1. J’aime bien donner une idée de l’ambiance musicale des livres, quand il y en a une… J’écoute toujours les morceaux ou extraits dont il est question. Un moyen de m’immerger dans le récit. Merci pour ton commentaire à ce sujet.

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  2. La période révolutionnaire me passionne donc ce livre m’intéresse à plus d’un titre. Reste le temps qui me file entre les doigts. Pas facile de tout lire… En tout cas et à chaque fois tu as le talent de nous inciter à lire des ouvrages originaux et passionnants.
    Merci à toi.

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    1. Il y a tellement de bons livres… Les chroniques permettent une première approche. On a des auteurs, des titres, des sujets en tête et on puise pour alimenter nos besoins de lecture. Merci Alan pour les « ouvrages originaux et passionnants » et tes commentaires encourageants.

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