Éditions Fayard, paru en avril 2007

Georges Brassens, Jacques Prévert, Raymond Devos et bien d’autres…
Le livre débute par un texte de Paul Valéry, que je trouve magnifique d’humanité, extrait du discours de réception à l’Académie française au fauteuil d’Anatole France :
« Les morts n’ont plus que les vivants pour ressource. Nos pensées sont pour eux les seuls chemins du jour. Eux qui nous ont tant appris, eux qui nous semblent s’être effacés pour nous et nous avoir abandonné toutes leurs chances, il est juste et digne de nous qu’ils soient pieusement accueillis dans nos mémoires et qu’ils boivent un peu de vie dans nos paroles. »
Voici un roman pour une très large part autobiographique, semble-t-il. A Villeneuve-Saint-Georges, Gérard assiste à l’enterrement de son père qui a lieu en même temps que celui du professeur d’allemand détesté, un certain Blandin. Récit à partir des souvenirs d’enfance, tableau minutieux d’une famille, de la famille de l’auteur. Le narrateur s’attarde sur tous les êtres chers qu’il a irrémédiablement perdus, sur le contraste du temps d’enfance qui paraît à cet âge infini et la rapidité avec laquelle tout se délite fatalement.
« Nous sommes tous assis, indubitablement, sur le grand toboggan qui conduit au sous-sol, tous essayant de ralentir la folle descente, d’esquiver la chute vers l’abîme dont rien ne nous sauvera jamais, pas même la littérature. »
Allers-retours entre Paris et la province. Il habite avec ses parents, Maurice et Dédée, en région parisienne, plus précisément dans le Val de Marne à Villeneuve-Saint-Georges (Maurice travaille chez Renault à Choisy-le-roi) puis ils vont construire un pavillon à Crosnes, à quelques kilomètres de Villeneuve (drame du désir de la mère de Gérard d’un toit à quatre pans à la place du toit à double pente existant). Une partie de la famille est dans l’Allier, à Thionne, ce qui donne lieu à de bien belles parties de pêche à Jaligny sur la Besbre avec l’oncle Claude dit Tarin.
Les personnages sont originaux et pathétiques, que ce soit le père, la mère et leur famille : l’oncle Claude (l’éternel perdant), l’oncle Maurice Ogburn (construction jamais terminée de la machine pour « le bonheur de la dactylo »). L’autre frère René (c’est l’écrivain et scénariste René Fallet) fait partie des personnages solaires qui vont tracer une voie émancipatrice à l’auteur. « Pas perdus » est un film adapté d’un roman de René avec Michèle Morgan et Jean-Louis Trintignant. C’est cet oncle qui va l’introduire à la littérature en lui faisant côtoyer des artistes majeurs de l’époque (Brassens, Prévert, Devos, Püpchen (l’amie de Brassens), André Hardellet). Il y a aussi des modèles (masculins toujours) plus ambigus : le champion de courses de fond, Bernard Paulat, François M fils de Georges M ministre de De Gaulle promis lui-même à une carrière politique, Serge Grünbaum l’énigmatique fils de bonne famille devenu psychanalyste. Mais comment être satisfait de soi quand on a de tels modèles si inaccessibles et d’autres modèles plus proches mais malgré tout toujours inaccessibles (Paulat par sa course souple et aérienne, François par sa facilité liée à une naissance dans une « bonne famille »), Serge étant plus un équivalent gênant.
Pour atteindre l’inaccessible – les personnages qui gravitent autour de lui ont placé la barre trop haut – Gérard court jusqu’à l’épuisement… Les cours avec le professeur d’allemand sont un cauchemar (la langue allemande est vue ici, de façon très injuste selon moi, à travers ce personnage et à travers l’histoire de la famille avec ses drames mêlés aux guerres avec l’Allemagne).
Heureusement il y a des journées lumineuses à la campagne. Quelle belle scène que celle de la partie de pêche sur la Besbre :
« Soudain d’un coup de rein le brochet crève la surface de la crique…Tendue vers le ciel, c’est une torpille sombre, une longue ogive de cuir fauve corsetée de fureur et caparaçonnée de rêves ».
La description du mouvement du poisson dans le ciel est digne d’un ralenti de cinéma :
« Vandoises et chevesnes, brutalement ferrés alors qu’ils venaient gober l’hameçon en surface, traversaient l’espace, zébrant l’azur de reflets, pour venir choir dans l’herbe des berges. J’étais chargé de recueillir cette argenterie tombée du ciel. »
Ce n’est pas la même poésie avec le curé Dubidet (espérons que c’est un nom inventé par le romancier) :
« Je me sentais coupable de ne rien trouver de licencieux à avouer à Dubidet, qui me soufflait au visage une haleine tournée, car cet hépatique au teint de citron ne se nourrissait pas que de fumées d’encens… Il me semblait que ce moment passé avec Dubidet avait sali les prés et jusqu’à la lumière du soleil. »
L’humour et la bienveillance sont présents, alors même que les histoires cocasses et les bons mots fusent de toute part. Ainsi de l’histoire de la grand-mère maternelle et sa sœur, tante Eugénie, intoxiquées par l’eau bénite de Lourdes dont elles ingurgitent un petit verre tous les soirs…
Bravo Gérard Pussey pour ces récits hauts en couleur, explorant comme il est dit sur la quatrième de couverture « les territoires oubliés du passé et leur peuple d’ombre. » Ce livre permet d’avoir une vision précise de la vie dans les années 1950, de la sociologie et de l’histoire proche, un peu à la manière d’Annie Ernaux, ce qui est un vrai compliment à cet auteur attachant et une incitation à le découvrir ou le relire.
Notes avis Bibliofeel, août 2020, Gérard Pussey, Au temps des vivants
Le sujet ne me tente pas, mais on sent que tu as aimé.
J’aimeAimé par 1 personne