Georges BUISSON, George Sand et la Commune de Paris

Paru en mars 2021,

Éditions L’Harmattan

Collection Amarante

Le livre de George Buisson est présenté ici avec quelques livres de George Sand chroniqués sur ce blog : « Histoire de ma vie » et « Un hiver à Majorque » ainsi que le roman policier de Hervé Le Corre « Dans l’ombre du brasier » décrivant bien l’ambiance lors de cette insurrection parisienne. Liens en cliquant sur les titres…

Coïncidence étonnante : j’ai reçu ce livre le 18 mars 2021, soit 150 ans tout juste après le début de la période insurrectionnelle de Paris qui dura 71 jours, du 18 mars au 28 mai 1871. Ce livre est une pépite qui permet d’approcher au plus près cet évènement historique et surtout d’accompagner Georges Buisson pour ce passionnant voyage dans la pensée de George Sand. Un regain d’intérêt, pour cette période occultée trop longtemps, est nettement visible actuellement et c’est un livre qui compte parmi la production actuelle autour de cette commémoration.

L’exergue indique bien l’état d’esprit de George Sand à cette époque de sa vie face à la tragédie qui se joue à Paris : « Je me sentais petite feuille sèche dans la forêt dévorée par le grand incendie. »  

L’auteur est allé puiser dans l’énorme production de l’autrice – son journal personnel nous est parvenu intact ou presque. – pour rechercher avec obstination les raisons de ce rendez-vous manqué entre George Sand et la Commune de Paris. Il est dubitatif et cherche des éléments qui pourraient expliquer pourquoi celle-ci a eu des positions si différentes entre la révolution de 1848 – soutien actif, y compris pour défendre les victimes de la terrible répression – et celle de 1871, lors de la Commune, qu’elle a dénoncée comme une attaque contre la République.

A-t-il réussi à trouver ces raisons ? Je laisse la réponse à chacun de ceux qui liront ce livre, à ceux qui s’intéressent à cette période et à cette femme ô combien forte du XIXème siècle. Le plus important pour lui était de s’interroger sur un évènement hors du commun, idéalisé par certains, haï par d’autres. Il m’a permis d’appréhender la Commune dans toute sa complexité. Le propos va bien au-delà et aborde la période de la terreur en 1793, le recours à la violence pour atteindre un but politique, les gilets jaunes, la désinformation en période de crise et même le rapport à la nature.

La relation entre George Sand et Gustave Flaubert est présentée dans plusieurs chapitres. George Sand a toujours eu besoin de s’entourer d’artistes, c’est son monde à elle qu’elle a su importé dans sa lointaine campagne berrichonne. Cette amitié véritable enrichit les dernières années de l’autrice alors même que leurs différents vont croissant. Une belle leçon ! Je m’interroge : notre époque permet-elle ce type d’amitié alors que tout pousse à l’entre-soi, notamment les réseaux sociaux ?

La dame de Nohant est avant tout une artiste, engagée totalement dans les problèmes de son temps mais ce n’est pas une femme d’action comme l’a été Louise Michel. Un quart de siècle les sépare : « Les années de Louise Michel sont celles d’un siècle à venir. Celles de George Sand appartiennent encore au précédent. » L’étude des faits par George Sand est subjective, certainement influencée par la propagande de la presse de Versailles, mais elle est celle « qui regarde le monde et qui nous aide à le regarder. »

Des jours sans lendemain, le sous-titre du livre est intéressant car il énonce une donnée non discutable… que l’auteur s’empresse de nuancer en rappelant que la IIIème République accomplira un des souhaits de George Sand et du programme de la Commune : la mise en place d’une école laïque gratuite et obligatoire en 1882. Il y a aura aussi la séparation de l’Église et de l’État en 1905 alors que le droit de vote des étrangers, l’égalité des salaires entre hommes et femmes attendent toujours. La Commune a fourni le terreau des progrès futurs.

C’est un essai littéraire et historique particulier. L’auteur y a mis toute sa passion, il connaît son sujet et à chaque affirmation correspond une citation. Cela se lit rapidement car on est en permanence dans l’enquête, l’auteur présente des hypothèses, les consolide avec les documents originaux – Georges Buisson a tout inspecté –, disserte à partir de ces matériaux. Les premières pages sont celles d’un détective arrivant sur le lieu de l’investigation :

« Un soir, je passe sur la grande route qui borde la maison de George Sand, à Nohant. Chaque fois qu’il m’arrive de le faire, je ralentis mon véhicule pour mieux appréhender le plaisir que je ressens à la vue de cette demeure restée en l’état. Deux croisées du premier étage sont faiblement éclairées. Je perçois parfaitement cette lueur ténue à travers les branches des deux cèdres que la romancière planta à la naissance de ses enfants. Ils sont toujours là, bien vivants, comme un pied de nez à notre pauvre longévité. »

Les écrivains en vue de l’époque ont rejeté la Commune et certains ont participé au lynchage de la révolution. Ainsi le poète Leconte de Lisle dans un courrier à J. M. de Hérédia – texte bien peu poétique – propose en toute simplicité de : « Déporter toute la canaille parisienne, mâles, femelles et petits pour en finir avec les vengeances certaines qui n’attendent que leur heure. » Edmond de Goncourt, la comtesse de Ségur, Théophile Gautier, Gustave Flaubert qui traitent les insurgés de la Commune de chiens enragés, mais aussi des progressistes comme Zola, Anatole France, George Sand… Tous contre la Commune. Restent aux côté des insurgés : Jules Vallès et l’immense Victor Hugo.

George Buisson, après une carrière dans l’action culturelle et le théâtre, a été pendant plus de dix années administrateur du domaine de Nohant, du Palais Jacques Cœur et de la crypte de la cathédrale de Bourges. Il préside actuellement le conseil d’administration de la Maison de la culture de Bourges et donne régulièrement des conférences sur des sujets littéraires ou historiques. Cet essai littéraire est son sixième ouvrage. J’ai apprécié son approche prudente qui m’a aidé à réfléchir par moi-même à partir des nombreux documents cités :

« En écrivant ces lignes, je me surprends à la comprendre, voire à l’excuser. En ai-je vraiment l’intention ? C’est un peu confus dans ma tête, je l’avoue. Depuis quelque temps, on revient au besoin de déboulonner certaines statues. Est-ce bien ? Est-ce mal ? J’ai du mal à trancher. »

Merci à l’Harmattan pour cet envoi qui m’a permis de découvrir d’autres facettes de la personnalité et de l’œuvre de George Sand grâce à cette brillante étude réalisée par Georges Buisson dont il faut saluer la capacité d’analyse et l’ouverture d’esprit.

Je n’attends plus que la réouverture pour retourner visiter Nohant, faire une agréable pause au restaurant La petite fadette, aux portes de l’imposante bâtisse qui a vu tant d’artistes, observer les croisées du premier étage afin d’imaginer George Sand à son bureau, écrivant inlassablement sa confiance en l’être humain, confiance dont on a tant besoin actuellement.

Notes avis Bibliofeel avril 2021, Georges Buisson, George Sand et la Commune de Paris

14 commentaires sur “Georges BUISSON, George Sand et la Commune de Paris

  1. Merci pour cette chronique d’une grande qualité, encore une fois ! Auriez-vous des livres à me recommander pour m’informer sur cette période historique ? Je ne la connais pour ainsi dire pas du tout, et aimerais en apprendre davantage là-dessus (sachant que je ne suis pas historienne et ai besoin d’explications assez claires !)…

    Merci et bonne journée !

    Lilly

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    1. Oh je suis ravi des compliments ! J’ai mis des liens dans ma chronique sur le livre de Hervé le Corre « Dans l’ombre du brasier » tout en expliquant pourquoi la plupart des gens ne connaissent pas cette période de l’histoire de France alors qu’elle est à l’origine de bien des évènements ayant eu lieu jusqu’à maintenant… Voici le lien :

      Hervé LE CORRE, Dans l’ombre du brasier


      Il y a eu de très bon documentaires sur Arte dont celui-ci :
      https://www.arte.tv/fr/videos/094482-000-A/les-damnes-de-la-commune/
      et cette vidéo :

      Bon week-end !

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      1. Mille mercis pour ces références que je note, notamment le documentaire d’Arte, qui saura sans doute m’éclairer (et me faire travailler mon allemand par la même occasion !)
        J’ai lu votre article très intéressant sur le livre d’Hervé Le Corre qui, par ailleurs, est récemment passé dans l’émission Boomerang et fait preuve d’une approche très terre à terre de l’écriture, assez différente des discours que l’on a l’habitude d’entendre. Voici le lien si cela vous intéresse : https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-17-fevrier-2021

        Bon week-end !

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        1. Ah oui cela m’intéresse beaucoup ! Merci pour ces échanges qui montrent tout ce que nos blogs peuvent apporter en partage de connaissances. J’ai oublié de mentionner « La débâcle », ce roman formidable de Zola, mais difficile – je ne l’ai toujours pas terminé – ayant pour cadre la bataille de Sedan et la semaine sanglante. Bon dimanche. Alain

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          1. Merci beaucoup pour ce conseil supplémentaires, j’aime énormément Zola mais j’imagine que celui-ci n’est peut-être pas si facile d’accès, en effet… Mon manque de connaissances historiques est d’ailleurs parfois un frein lorsque je lis des romans de cet auteur, le contexte social, politique et historique jouant un rôle si important dans ses récits. Il est temps que je m’instruise !
            Bonne soirée et merci !
            Lilly

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  2. Merci pour cet article passionnant sur un livre qui aborde une période si importante de notre histoire. Ces rendez vous manqués des écrivains de l’époque ne m’étonne guère. C’est un peu comme certains intellectuels aujourd’hui. Merci d’avoir cité Vallès et Hugo. J’ai adoré Quatre-vingt treize de Hugo. Les misérables a été l’œuvre qu’il tenait à finir avant sa mort. Son engagement est total. Bien sûr, vu de loin, les « bourgeois » de l’époque ne pouvaient pas comprendre la misère de cette population et ne voyaient que la violence, detestable certes, mais elle même l’aboutissement d’une saturation face à l’injustice. Tes liens m’intéressent ainsi que ce livre bien sûr car nous risquont de vivre des temps similaires avec un écart de plus en plus croissant des inégalités.
    Merci pour cet article et bon dimanche
    Alan

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    1. Ton commentaire me fait vraiment plaisir et synthétise tout à fait le propos, très engagé, de Georges Buisson. Cette page d’histoire suscite beaucoup d’intérêt actuellement, sortant un peu cette insurrection et ensuite les massacres, de l’oubli, du déni… On a eu pas mal de livres et de films sur le sujet. J’ai mis dans les commentaires plusieurs liens avec d’excellents documentaires diffusés récemment sur Arte, notamment les damnés de la Commune, que je conseille. Bon dimanche à toi. Alain

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  3. Bonjour Alain.
    Je le veux, celui-ci aussi. Flaubert, encore un grand. Génial ! Quant à Georges Sand, je lis tout ce que je trouve sur elle. J’aime cette femme, son univers, son œuvre…
    Merci, que dis-je, grand MERCI Alain pour cette excellente chronique, encore une fois.
    Je te souhaite une très belle journée, à bientôt !

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    1. Je pense que tu aimeras alors. On sent une sincérité, une passion qui m’a amené à le lire très rapidement. Il a rejoint mes autres livres liés à George Sand. J’aimerais bien que George Buisson trouve, avec ce livre inclassable, de nombreux lecteurs… Il le mérite mais il y a tant de publications… Si tu en fais l’acquisition, j’espère avoir un retour ! Merci pour ton passage et ta lecture visiblement attentive. Cela fait plaisir !

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    1. Merci à vous. J’espère que ce livre lui plaira. N’hésitez pas à me faire un retour ainsi que sur mes autres articles. Ce blog est fait pour le partage de tous ces livres tellement essentiels pour beaucoup d’entre nous.

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