Éditions Futuropolis, paru en septembre 2021
Avec « Les petits carnets », dessins des artistes en fin de volume
128 pages
+ Citations de BALZAC, Les Contes drolatiques, éditions Classiques Garnier, février 2009, Volume 1 (448 pages) et 2 (448 pages)

Savez-vous que Balzac a écrit 30 contes entre 1832 à 1837 en parallèle avec ses livres les plus célèbres de La Comédie humaine – il avait l’objectif d’en écrire 100 –. Jamais Balzac n’est allé aussi loin dans la liberté de ton, que ce soit vis-à-vis de l’Église, des puissants, en mettant en scène les mœurs libertines des classes dominantes. A défaut du succès, le scandale a été au rendez-vous dès la parution… Un vrai brûlot qui sera vite marginalisé dans son œuvre. J’ai lu Les Contes drolatiques de Balzac et j’ai adoré. J’admets que ce n’est pas chose facile et qu’il faut faire preuve de patience afin de goûter la poésie de cette langue créée spécialement pour ces contes. Oublier l’orthographe, se laisser gagner par la musique de l’oralité de temps oubliés… où bien lire cette BD formidable de Paul & Gaëtan Brizzi : dessins superbes, textes traduits en français moderne, présentation de chacun des quatre contes sélectionnés ici par Balzac lui-même… Il fallait du talent et un sacré culot pour prendre la suite des Gustave Doré, Dubout et Robida ayant précédemment illustré l’œuvre !
Le forçat de l’écriture avait-il besoin de s’échapper quelque peu de son œuvre principale ? Voulait-il tester sa capacité à créer une langue neuve, comme le démiurge du chef-d’œuvre inconnu, Frenhofer, peintre plein de mystère et ayant assimilé les leçons de ses maîtres, tout comme Balzac réinventant à partir de Rabelais et du Décaméron de Boccace des parlers du Moyen Âge avec de multiples reprises et détournements de dialectes, des calembours et plein d’inventions. Balzac s’est visiblement bien amusé. Paul & Gaëtan Brizzi réenchantent ces écrits trop peu lus, trop peu commentés…
Ce sont « Des histoires lestes et drôles, truculentes et satyriques, dont l’action se passe généralement en Touraine au XVe siècle. »
La belle Imperia. Probablement le conte le plus ancien. Il est intéressant de lire le texte de Balzac et de le comparer à l’adaptation de cette excellente BD. Un jeune moine Philippe de Mala tente de résister à la beauté ensorcelante de la belle Imperia. L’évêque de Coire, personnage bien réel, ayant été secrétaire de l’archevêque de Bordeaux, est pris lui-même dans les filets de la séduction.
Exemple dans le conte de Balzac : « Confesser les dames à ceste heure de nuict est un droit réservé aux évesques… Or, tire tes grègues, va pasturer avec simples moynes, et ne retorune ici, sous peine d’excommunication. »
Ce qui devient plus simplement dans la BD : « Oh Oh ! Mais confesser les dames à cette heure avancée est un droit réservé aux évêques ! Allez-vous-en donc rejoindre votre paroisse et ne revenez pas sous peine d’excommunication ! »
Le péché véniel. La très jolie Blanche d’Azay-Le-Ridel (Azay-le-Rideau) expérimente dans sa vie amoureuse la différence entre péché mortel et péché véniel. Elle est mal mariée au seigneur Bruyn – dans Balzac « Messire Bruyn, celluy-là qui paracheva le chastel de la Roche-Corbon-lez-Vouvray sur la Loire… ». L’adaptation est tout à fait réussie et fidèle au texte initial. Une histoire savoureuse où la femme a le premier rôle, parvenant à ses fins par la ruse. Ce n’est pas pour rien que Balzac a écrit quelques années auparavant « Physiologie du mariage » développant au sujet des femmes une conception des plus modernes en opposition à la société de son temps.
L’Héritier du Diable. Deux fils veulent s’accaparer l’argent de leur père mais ils vont trouver le diable lui-même sur leur route. Dans le conte d’origine, ce sont trois cousins qui vont être sur les rangs pour l’héritage trop attendu. Le thème de la succession convoitée et des manœuvres pour se l’attribuer revient à maintes reprises dans La Comédie Humaine. Les tons sépia et les dessins précis illustrent à merveille ce conte jouant avec le fantastique.
Le connétable. Une comtesse tente par différents stratagèmes d’échapper à la jalousie de son mari, le connétable d’Armignac. Celui-ci tend un piège à l’amant, le jeune Savoisy, fils du chambellan du roy. Violence et jalousie parfaitement lis en images et Balzac conclu lui-même :
« Ce que ce conte nous apprend c’est que dans des situations extrêmes, jamais les femmes ne doivent perdre la tête car le tout-puissant jamais ne les abandonne… surtout quand elles sont jeunes, belles et de bonne maison. »
Dans l’œuvre originale : « Comme ce livre doibt, suivant les maximes des grans autheurs anticques, ioindre aulcunes chouses utiles aux bons rires que vous y frerez et contenir des préceptes de hault goust, ie vous diray la quintessence de cettuy Conte estre cecy : Que iamais les femmes n’ont besoing de perdre la teste dans les cas graves, pour ce que le dieu d’amour iamais ne les abandonne, surtout quand elles sont belles ieunes et de bonne maison… »
Les quatre contes présentés ici de si belle manière sont tous issus du premier dixain, selon le terme employé par Balzac – il y en aura trois en tout – et du tome 1 de la superbe édition illustrée Classiques Garnier. Les deux tomes de cette édition et cette BD sont parfaits pour aborder ce volet plutôt méconnus de l’œuvre d’Honoré de Balzac. Ne pas se priver de l’un et l’autre pour un rire bienfaisant et culturel, puisant dans Rabelais et son fervent admirateur Balzac.
Paul & Gaëtan Brizzi sont frères jumeaux, ils sont nés en 1951. Ils sont réalisateurs de dessins animés, artistes peintres et illustrateurs, César du meilleur court métrage d’animation pour Fracture en 1977… Après La Cavale du Docteur Destouches, d’après l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, ils adaptent L’automne à Pékin, le roman de Boris Vian en 2017. En 2020, ils font paraître une version illustrée de L’écume des jours de Boris Vian.
J’aimerais tellement que Paul & Gaëtan Brizzi donnent une suite à ce premier volume des plus réussi !
Notes avis Bibliofeel janvier 2022, Paul & Gaëtan Brizzi, Les Contes Drolatiques
La forme est très importante pour comprendre certains auteurs. Je trouve que la BD facilite cet accès pour des personnes peu attirées par la lecture, en particulier pour des ouvrages anciens. J’ai eu la chance, après être passé par Chinon et bu comme il se doit un bon verre de ce délicieux breuvage, de visiter la demeure de ce cher Honoré et de voir le bureau ou il écrivait. Je pense qu’il avait un coté Rabelaisien et donc bon vivant. Sur ce que tu décris, il a du bien se lâcher, vu l’hypocrisie de l’époque. Paul & Gaëtan Brizzi ont beaucoup de talent. J’aime beaucoup leur graphisme. Réalisateurs de dessins animés, artistes peintres et illustrateurs, César du meilleur court métrage d’animation. Ça donne forcément un résultat! Ils ont du pain sur la planche 😉 avec leurs prochaines réalisations. J’ai hâte de voir la version illustrée de L’écume des jours de Boris Vian. Ah, s’ils pouvaient illustrer Rabelais et son célèbre roi des dipsodes!
Merci pour cette belle découverte.
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Tout à fait d’accord avec toi, Alan, que ce soit pour l’accès à certains textes difficiles par la BD ou que ce soit pour le plaisir de goûter aux délicieux breuvages de ma région. Rabelais et Balzac ont ouvert la voie 😀. Même joie de vivre et même liberté de parole chez ces deux là. Merci pour ton commentaire qui me motive grandement à continuer d’échanger autour de mes meilleures lectures…
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les dessins me plaisent, (la1ere planche notamment!) il va falloir que je trouve cette BD 🙂
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Oui cela vaut le coup pour Balzac et pour le talent de mise en image de la part des illustrateurs !
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Que voilà une belle découverte. Je ne connaissais pas du tout ce côté de Balzac et le mettre en BD est une idée géniale.
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Oui, surtout avec cette qualité ! Balzac est un personnage incroyable. Comment a-t-il pu écrire ces contes et toute La Comédie Humaine sur une petite vingtaine d’années ?
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Ca me plait !
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Super alors ! Cette BD m’a été offerte à Noël…
Bonne pioche car je ne connaissais pas cette adaptation magnifique.
Elle va rejoindre mes nombreux livres de Balzac et sur Balzac…
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Bonjour,
Merci pour cette découverte, les dessins ont l’air très expressif, et l’adaptation vraiment réussie ! Quelle bonne idée d’avoir mis les extraits de l’œuvre originale et de l’adaptation en miroir, cela permet vraiment de prendre mesure du travail des auteurs (d’hier et d’aujourd’hui). Visiblement un bel ouvrage à offrir ou à s’offrir !
À bientôt
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Effectivement je voulais montrer cette chaîne de création qui court de Rabelais, Balzac et les frères Brizzi. Merci infiniment d’y avoir été sensible ! Belle journée !
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Les dessins présentés ici sont splendides. J’y vois la plus belles des entrées pour se mettre à Balzac.
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Oui, bonne idée. 😄
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