David LAGERCRANTZ, Obscuritas

Une enquête de Rekke & Vargas

Traduit du suédois par Rémi Cassaigne

Éditions Harper Collins NOIR, publié en septembre 2022

480 pages

Voici un roman qui m’a attiré d’emblée. La belle couverture joue de l’ombre et la lumière. J’aime ce contraste, promesse d’une vaste palette d’émotions. On peut faire l’éloge de l’ombre comme l’a si bien écrit Junichiro Tanizaki, mais retrouver ces thèmes dans un roman policier, avec cette puissance, constitue une découverte et une vraie surprise.

Tout d’abord il y a la construction de cette association détonante d’enquêteurs, Micaela Vargas, jeune policière de 26 ans, pas encore bien intégrée à l’équipe, et Hans Rekke fils de bonne famille, instable et génial. En apparence tout les oppose, Micaela est issue de Husby, un quartier défavorisé de Stockholm. Elle est originaire du Chili alors que Hans Rekke vit à Djursholm où les gens naissaient « avec une cuillère en argent dans la bouche », il appartient à une famille où on est normalement dans les sphères du pouvoir ou musicien de haut vol. Hans a été pianiste et concertiste mais, incapable de supporter la pression, il est devenu un brillant psychologue professeur à Stanford, assistant régulièrement la police au plus haut niveau. Il va se retrouver en conflit avec son frère Magnus, personnage influent auprès du ministre des affaires étrangères suédois.

On progresse lentement vers l’éclaircissent d’un mystère qui part de l’assassinat d’un arbitre après un match de football et arrive vite à quelque chose de beaucoup plus grand puisque vont être mis au jour des liens entre cet arbitre, Jamal Kabir, et les talibans. Ombres et lumières, « obscuritas » et « claritas » de Rekke qui a l’habitude d’illustrer ses propos de citations latines. Il a la clairvoyance de reconnaître que les propos paraissent ainsi plus profonds et que cela lui a permis, auparavant, de faire l’intéressant. J’ai avalé les pages avec le plaisir de l’apparition de cette clarté dans un scénario tout trouvé pour un film à tourner… L’auteur tient parfaitement le rythme jusqu’au point final. Il déploie une belle inventivité, donnant une forme originale dans les derniers chapitres afin de dévoiler la vérité.

Adagio du Concerto pour violon de Bruch, violon solo : Hilary Hahn
« Latifa jouait comme s’il y en allait de sa vie, et elle ne put s’empêcher d’entendre ce morceau comme une déploration de ce qui était arrivé à la violoniste elle-même, comme si elle avait pleuré sa propre mort des années en avance. Assez vite Micaela se perdit à son tour dans la musique, saisie par l’impression que quelque chose d’irrévocablement disparu ressuscitait. »

Rekke a été pianiste, il a une culture très vaste, parle plusieurs langues. Il a une vive sensibilité à la musique, une acuité exacerbée à l’analyse de ses semblables, mais il est incapable de gérer la vie courante surtout depuis qu’il a perdu son poste de professeur aux États-Unis et sa carte de séjour. La bande son est vaste et mon habitude de tout écouter dans ce cas là devient une gageure… La méditation de Thaïs de Massenet tient une grande et belle place dans le récit à côté de citations musicales variées, Le Concerto pour piano n°2 de Prokofiev, La Campanella de Liszt, L’adagio du Concerto pour violon de Bruch, La Symphonie n°9 de Dvorak molto vivace.

Un récit très érudit avec de multiples personnages, ce qui ne m’a pas gêné car l’auteur est habile dans ce domaine également, les portraits sont précis et il sait introduire des petits rappels ici et là pour ne pas perdre le lecteur. Cette sensibilité à l’art, cette érudition font pendants aux calculs mesquins de ceux qui protègent des intérêts obscurs. Manière d’exorciser le malheur répandu par les intégristes talibans, assassinant les musiciens, brisant les instruments. L’auteur cherche aussi la clarté du côté de la CIA dont les agents sont très actifs afin d’étouffer le scandale des prisons américaines en Afghanistan, pratiquant la torture, usant de méthodes tout aussi barbares.

Aucune violence gratuite dans cette enquête qui progresse grâce à des indices infimes, Rekke possède le pouvoir de deviner l’autre grâce à des signes glanés sur les photos et grâce à sa connaissance de la psychologie humaine. Micaela est une femme forte, elle va être sa muse le sortant peu à peu de la dépression et de l’addiction aux drogues. Au fil des pages je me suis senti attiré et proches de ces deux enquêteurs si dissemblables et pourtant complémentaires, par cette activité intellectuelle intense comme remède à la violence du monde. Ce n’est pas un livre pour les amateurs de sensations fortes, d’hémoglobine répandue au fil des pages. J’y ai trouvé une certaine proximité avec les enquêtes de Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle dont il constitue un prolongement, un renouvellement littéraire très intéressant, jouant sur la psychologie et ancrant le récit dans des évènements historiques récents bien documentés.

David Lagercrantz est né à Stockholm en 1962. Journaliste et écrivain il est l’auteur d’Indécence manifeste, d’une autobiographie Moi, Zlatan Ibrahimovic. La renommée mondiale arrive lorsqu’il imagine, de 2015 à 2019, les tomes 4, 5 et 6 de la série à succès Millenium de Stieg Larsson. Il est lui-même originaire d’un milieu intellectuel aisé et a dans sa famille des hommes politiques en vue. Si j’en crois wikipedia, il a refusé de poursuivre la série Millenium et s’est lancé dans l’écriture de cette toute nouvelle série en créant les enquêteurs Rekke et Vargas. J’espère qu’un nouveau tome paraîtra vite et que j’aurais bientôt l’occasion de retrouver ces deux là.

Quelques citations :

Hans Rekke à propos de Micaela :

« Il se souvient de la première fois qu’il l’avait rencontrée, à Djursholm. Son œil avait été attiré par elle. C’était comme si elle portait un grand poids, mais que ce poids ne la brisait pas, et au contraire la rendait forte, comme si elle puisait sa force dans ce mouvement même pour échapper au traumatisme. Il y avait là quelque chose d’éminemment attirant, trouvait-il, une sorte d’antithèse de sa propre fuite au fond de la dépression. »

Le ministre des affaires étrangères Mats Kleeberger :

« Dehors s’élevaient le Château et le Parlement. Il les fixa, le regard vide, et lâcha un juron. Comment avait-t-il pu s’aplatir ainsi ? C’était bien sûr à cause des attentats. Tout était devenu noir ou blanc après le 11 septembre, et il était loin d’être le seul à avoir cédé aux pressions. Peu de ses collègues européens avaient réussi à y résister. Que sommes-nous prêts à faire pour lutter contre le terrorisme ? N’importe quoi, avait-il répondu en bons soldats. Mais il était facile d’avoir raison après coup. Il y avait eu alors un tel sentiment d’urgence vitale qu’il semblait raisonnable de ne pas être trop tatillon, et c’était aussi ce qu’il voulait dire à Rekke. »

Hans Rekke :

« – L’imbécilité de Kleeberger a peut-être redonné un peu d’éclat à ma vie. C’est le cadeau que nous font les médiocres. »

Hans Rekke répondant au ministre Kleeberger :

«  – Je n’en suis pas convaincu, répondit Hans avec un calme qui rendit Kleeberger un peu nerveux malgré tout. Leges sine moribus vanae. – « Sans morale, les lois sont inutiles », traduisit Magnus. »

Hans Rekke répondant à son frère Magnus, conseiller du ministre des affaires étrangères :

« – Tu sais le pire, avec les monstres, avait répondu son père. Ils nous transforment nous aussi en monstres. »

Notes avis Bibliofeel novembre 2022, David Lagercrantz, Obscuritas

12 commentaires sur “David LAGERCRANTZ, Obscuritas

    1. Il vient de paraître et les critiques sont partagées, signe d’une œuvre possédant un vrai caractère, non ? Moi, il m’a vraiment plu et cela vaut le coup d’essayer si vous avez aimé les thèmes que j’ai tenté de mettre en lumière dans ma chronique.

      J’aime

  1. Ce livre doit être passionnant. Le titre, contraction de l’obscur et de la sécurité. La thématique ; jusqu’où est-on prêt à aller pour lutter contre le terrorisme, pour notre sécurité? « Le monstres nous transforment en monstres » Rekke à Magnus. La violence amène la torture. Ce voyage dans l’ombre mené ,notamment par cette femme chilienne (pas par hasard de la part de l’auteur…) ,avec des références historiques et beaucoup de psychologie m’attire vraiment.
    Merci pour cette découverte.

    Aimé par 1 personne

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