Tim WILLOCKS, La Mort selon Turner

Paru en octobre 2018, chez Sonatine Éditions (maison d’édition créée en 2006 et spécialisée dans le roman noir). Prix Le Point du Polar Européen 2019.

Turner : « Si j’abandonne celui-là (ce combat, cette enquête), pourquoi pas le suivant! Et celui d’après? Pour de l’argent, pour un ami, pour une promotion…? »

Voici un excellent roman policier, surprenant par bien des aspects. Merci aux amis qui me l’ont fait découvrir ! La traduction a été réalisée par Benjamin Legrand (pour l’anecdote : demi-frère de Michel Legrand !). Le titre anglais « Memo from Turner » me convenait mieux, il aurait pu être traduit par « Mémos de Turner ». Un mémo c’est ce qui aide à se souvenir et c’est tout à fait le cœur du livre et le sens de la quête du héros. Pour moi le titre français choisi est à contre-sens et instinctivement, peut-être, ne me donnait pas envie de commencer à lire ! Je trouve le titre choisi bien sombre alors qu’en fait, il est question de vie et de survie coûte que coûte, de justice à faire émerger de toute cette corruption, donc plutôt de lumière. Turner est amené à tuer afin de donner un sens à la vie d’une pauvresse, tuée sans scrupules, et dans ce cadre se défendre, mais en même temps il dit son horreur de la violence.

L’action se situe au départ au Cap en Afrique du Sud. Dirk Le Roux est le fils d’une femme puissante, Margot, qui règne sur les mines du Cap-Nord et de là sur toute une région aride ou elle fait la loi. Le Cap-Nord est l’une des deux provinces où les noirs ne sont pas majoritaires. Son vaste territoire est dominé par le désert du Kalahari et celui du Namib. Le jeune Dirk, ivre mort, a renversé une jeune femme noire qui errait sur le parking du bar dans un township de la ville du Cap où lui et 5 hommes s’étaient arrêtés après un match de rugby. Il ne s’est aperçu de rien et ce sont les hommes qui l’accompagnent, son beau-père Hennie, leur garde du corps Simon, son ami Jason et Mark Lewis, qui décident de fuir sans porter secours à la jeune femme agonisante. L’affaire est confiée à Turner, flic noir de la criminelle, qui en fait une affaire personnelle (on saura pourquoi en cours de lecture et ce sera l’occasion pour l’auteur de revenir sur le régime de l’apartheid sud-africain, à la violence inimaginable).

Tous les personnages sont crédibles, à l’instar d’Iminathi, ex petite amie de Dirk, qui est un peu le pendant féminin de Turner, cultivée et loyale et ayant une vengeance à exercer.

Il y a de l’action mais aussi pas mal de réflexions intéressantes qui portent à réfléchir sur la société, l’histoire, la lutte des classes sociales et la politique qui régule ou non tout cela :

« Le boulot vous collait à la peau, quel qu’il soit. Un chauffeur de taxi, un médecin, une star du petit écran, la propriétaire d’une mine. Vous le portez en vous que vous le vouliez ou non. » Et aussi « nous sommes tous politiques qu’on le veuille ou non. »

Turner est le héros inflexible qui démontre que quel que soit les enjeux, l’exigence de justice demeure. Il est le faible d’hier qui devient policier et, même si c’est difficile, il peut gagner face à un clan blanc voulant maintenir des privilèges dignes d’avant la fin de l’apartheid. Pour rappel ce régime de ségrégation raciale a été mis en place par le Parti national en 1948 et a cessé en 1994 après des années d’émeutes et de luttes sanglantes, Nelson Mandela étant élu Président.

On est clairement dans le western et les armes sont utilisées en permanence sur ces trois jours de folie où Turner a contre lui à la fois Margot le Roux et sa propre hiérarchie policière corrompue. Mais rien n’est simpliste, Willcoks a eu une formation de psychiatre et aucun personnage n’est réduit au bon ou au méchant. Certains d’ailleurs se rangent du côté du plus fort et si le plus fort tombe alors ils changent de camp, comme cela s’observe souvent dans la vraie vie.

J’avoue que la façon dont la survie dans le désert est décrite peut donner des nausées mais on est comme Turner, une fois le voyage commencé on continuera. Le moins qu’on puisse dire est que Willocks va au bout du bout des questions et en chirurgien de formation, il sait entre autre nous donner des cours d’anatomie macabres…

Cet écrivain britannique est également psychiatre de formation, ceinture noire de karaté et amateur de poker, toutes qualités qui sont superbement bien utilisées dans ce roman.

Sur fond herbe « zebra ». Le Miscanthus sinensis Zebrinus possède des feuilles vertes avec bandes transversales claires

Macbeth, l’œuvre célèbre de Shakespeare, est aussi convoquée, donnant à cette tragédie sanglante un appui culturel bienvenu, évitant de sombrer dans le sordide et le gore. Il en est de même de la trompette que Turner fait sonner dans le vide du désert… Moments plus légers dans un combat âpre et incertain, un peu d’humanité dans un monde gouverné par la corruption.

La qualité de scénariste de Tim Willocks est indéniable. Le chapitre d’introduction passé, en fait les préparatifs de la bataille finale, et le flash-back commencé, rien ne peut sauver le lecteur de l’envie irrépressible de poursuivre la lecture pour connaître le dénouement final. La construction du récit fonctionne à merveille et aucune déception n’est à craindre jusqu’à la fin.

Rien ne dit à quelle époque ce situe l’action, mais la situation de violence et de corruption pourrait être celle de l’état d’urgence et des années qui ont suivi la fin de l’apartheid. On est dans un polar et il serait dangereux d’en conclure plus sur l’Afrique du Sud actuelle car c’est un grand pays avec une histoire complexe et toujours en construction.

Notes avis bibliofeel juin 2019, Tim Willocks, La Mort selon Turner

8 commentaires sur “Tim WILLOCKS, La Mort selon Turner

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