Éditions Dunod mai 2022
Illustrations de l’intérieur : Rachid Maraï
150 pages

« Il s’appelle Pascal, Blaise Pascal. Notre homme a été à la fois philosophe, théologien, mathématicien, physicien. Comment pouvons-nous concevoir qu’une même personne puisse à la fois croire intensément en Dieu et être à l’origine du calcul des probabilités ? »
Ainsi commence la toute récente publication de la superbe collection Dunod, « à lire dans un transat ». On s’installe confortablement et c’est parti…
Blaise Pascal est surtout célèbre pour Les Pensées, un ouvrage édité après sa mort – ce qui rappelle la parution posthume des Essais de Montaigne –, réflexion sur la condition humaine et apologie de la foi chrétienne dans un savant mélange de dialectique, de talent d’écriture et de recours aux probabilités à travers son pari (branche des mathématiques qu’il a fondée entre autres découvertes). Il est question également ici des Provinciales, écrits qui ont pour sujet les querelles de l’époque entre jansénistes et jésuites, en gros une argumentation entre rigoristes et laxistes.
Francis Métivier consacre les trois premiers chapitres de son essai à l’humaine condition, au divertissement et à l’imagination selon Pascal. Il s’agit de la dimension anthropologique des Pensées, en quoi l’homme, pour se distraire de sa condition désespérante de mortel, a besoin du divertissement (au sens philosophique, le besoin d’être détourné de notre condition tragique). Il prolonge cette pensée pascalienne jusqu’à notre époque où le divertissement est devenu un service et un commerce proposé par de multiples professionnels. Par ailleurs l’homme se prend pour ce qu’il n’est pas, son amour-propre le pousse à imaginer des choses fausses.
« Le divertissement a toujours été industrieux. Aujourd’hui, il est devenu industriel. Le divertissement est désormais la reconnaissance démocratique du besoin malheureux d’oublier notre humaine condition. »
Les chapitres suivants sont Dieu et les raisons du cœur, Le pari des mathématiques et Le salut des sciences physiques, donnant ainsi l’ordre des choses selon Pascal depuis qu’il a reçu la grâce durant ce qu’il a nommé « La nuit de feu », avec la foi devenue première.
Dans le chapitre Pascal, moqueur et défenseur, l’auteur énonce que, contrairement à celle de Descartes, la philosophie de Pascal est en même temps une théologie. Cela reste paradoxal pour moi. La théologie part d’en haut, de Dieu, d’un livre sacré censé tout expliquer (d’où les disputes au sujet des interprétations forcément diverses). La philosophie part d’en bas pour chercher, par un raisonnement étayé, des possibles. J’ai trouvé que Pascal faisait œuvre philosophique quand il décrit l’existence de l’homme, alors qu’il fait œuvre théologique quand il résume la foi à une révélation du cœur qui ne peut se démontrer. Il est exact qu’il introduit ses arguments de telle manière que j’ai retrouvé de la philosophie dans sa façon de présenter les problèmes. Il est habile à coudre ensemble des tissus à priori incompatibles ce qui, ouvrant ainsi des voies entre des avis totalement opposés, me le rend sympathique.
Pascal n’oppose pas sciences et religion, en cela il est novateur pour son temps. Il semble poser les prémisses d’une religion individuelle, la foi sincère (n’écrit-il pas dans un style agréable à lire, usant même de comique ici ou là…). Il ne cherche pas la domination pour imposer un ordre, sa démarche est plus de l’ordre de l’intime (mais paradoxale puisqu’il veut convaincre l’incroyant et force l’argumentation au but retenu).
A la fin l’auteur de l’essai insiste sur la sincérité, thème central étudié dans cette publication. L’ensemble du texte est illustré de 17 dessins magnifiques de Rachid Maraï, dont le trait aérien apporte une belle touche de légèreté et d’humour à l’analyse philosophique.
« C’est ainsi que Pascal fait de la sincérité à la fois le fond et la forme de sa pensée. Être sincère dans sa pensée sur l’existence, c’est lui donner une forme d’écriture au plus près de ce que nous pouvons ressentir. Le concept et le système, eux, sans être pour autant malhonnêtes, restent des artifices qui prétendent saisir l’insaisissable, y compris ce qui nous dépasse, aussi grand philosophe ou grand scientifique soit-on. »
J’aurais aimé avoir plus de matière sur ce qu’il reste de la pensée de Pascal aujourd’hui. Et lorsque Brassens est convoqué, il est dit qu’on pourrait s’étonner de la position de celui-ci en faveur de la messe en latin ? Étonnement pour ma part : comment même évoquer Brassens défendant – sans ironie – la messe en latin ? J’aurais aimé mieux comprendre le lien de Pascal avec « L’obscurantisme de la raison » de Bourdieu, à peine esquissé… Peut-être un nouvel opus à écrire ? Je lirais bien un Bourdieu dans un transat…
Mes commentaires après m’être relevé du transat :
Cet essai constitue une bonne approche de la pensée de Pascal, à qui je veux bien accorder la sincérité ajoutée à une certaine austérité et une capacité redoutable à organiser ses arguments pour convaincre. Un livre facile à lire qui donnera envie d’en savoir plus sur ce penseur singulier, de comprendre en quoi il reste moderne, alors que les sujets qu’il traite paraissent de temps en temps désuets. Cet essai met en avant l’homme aux multiples talents, scientifique génial, polémiste redoutable, écrivain talentueux. Quant à l’apologie de la religion chacun jugera en ayant en tête l’homme malade et souffrant qu’aurait été Pascal (il est mort à l’âge de 39 ans). Il est possible (utilisons les probabilités…) qu’il ait trouvé dans la religion un réconfort pour combler son angoisse. Ce qui est touchant chez lui c’est cette volonté de penser en premier lieu son existence personnelle et non de faire un système – proximité avec Montaigne qu’il admirait tout en le contrant sur certains points –. Pascal est à la frontière de domaines souvent présentés opposés, science-religion, connaissance-foi… Mais il n’est pas pour moi aussi inspirant que Lucrèce et Montaigne, autres grands penseurs du tragique. Lucrèce (1er s. av. J.-C.) qui dans La nature des choses transforme ses angoisses en joie à travers une philosophie poétique. Quant à Montaigne et ses Essais, il m’apparaît plus libre car ne partant pas d’une vérité révélée – fameuse nuit de feu, où Pascal a connu la grâce –. Pascal veut amener ceux qu’on appelle les libertins à l’époque (les libres penseurs) à se convertir. Montaigne, plus près de l’action, tempère les choses et tout en observant l’humaine condition, s’enthousiasme du réel et s’emploie à l’améliorer. Pascal m’apparaît près à user de tous les arguments possibles, y compris à noircir le tableau de la condition humaine afin de parvenir à son but. Calculateur hors pair, il met dans la balance l’intérêt personnel de croire dans son fameux pari, ce qui est paradoxal avec la voix du cœur qui devrait ne pas avoir besoin de cet artifice.
Je conseille la lecture de ce Pascal à la plage, la sincérité dans un transat, de poursuivre en écoutant en podcast « Un été avec Pascal » d’Antoine Compagnon tout en grappillant quelques passages bien tournés des Pensées dans le texte, afin d’entendre la cadence des mots.
Pascal reste moderne pour cette faculté de dire une chose ici puis à argumenter du contraire là, pour son incroyable talent à disserter. Mais sa façon de poser les bases de raisonnement est personnelle et forcément datée. Il appartient à son siècle. De grandes découvertes ont été réalisées aujourd’hui, notamment en biologie et en paléontologie, ce qui ne règle pas tout de l’origine de l’homme, mais on est bien moins démunis qu’au XVIIe siècle et du coup des présupposés tombent. Reste l’amour vrai, le sentiment du cœur qui, sans s’opposer forcément à la raison, est indispensable à l’homme pour aimer la vie, aimer et aider son prochain, être humble avec cette nature dont nous sommes issus sans quoi l’enfer devient réalité sur terre.
Francis Métivier est docteur en philosophie, musicien et conférencier. Spécialiste de pop’philosophie, et vulgarisateur hors pair, il est le créateur de la performance Rock’n’philo et l’auteur de nombreux ouvrages tels que Kant à la plage, Pop’philo stories ou encore la BD René le philosophe, Descartes ou la liberté de la pensée.
Je remercie les éditions Dunod (déjà 22 titres dans cette belle collection) ainsi que Francis Métivier pour l’envoi de ce Pascal à la plage en service de presse.
Notes avis Bibliofeel juillet 2022, Francis METIVIER, Pascal à la plage
Merci pour cet article. Je ne connais pas cette série mais je connais la série d’Antoine Compagnon. Le podcast a été converti en livres dont un sur Montaigne, un été avec Montaigne et un sur Pascal, un été avec Pascal. Je note donc cette autre série de Dunod.
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Oui. Très bien ces deux séries ! Un été avec Colette aussi et Baudelaire… De beaux outils de réflexion même à cette saison, sur la plage, dans un transat, où on veut… Bon été Michusa !
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Une collection que j’ai découverte chez mon libraire. je me laisserai bien tenter par certains titres.
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Bonne idée ! Celui sur Gisèle Halimi me tente beaucoup 😀
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Bonjour Alain,
Merci pour cet article très érudit qui donne à réfléchir… J’ai particulièrement aimé ta réflexion autour de la philosophie et de la théologie – je ne m’étais honnêtement jamais posé la question !
À bientôt,
Lilly
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Merci Lilly pour ton retour. Effectivement j’ai dû pas mal réfléchir pour cette chronique et la prochaine. Maintenant petite pause avec un roman policier. A bientôt. Alain.
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Hâte de lire la prochaine alors, et bonne pause « livresque » !
À très vite,
Lilly
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