Miguel BONNEFOY, L’inventeur

Paru en mai 2022 aux Éditions Payot et Rivages,

206 pages

Fils de serrurier, Augustin Mouchot, professeur de mathématiques, est l’inventeur qui, au milieu du XIXe siècle, découvre l’énergie solaire. La machine qu’il construit, surnommée Octave, finit par séduire Napoléon III, lui permettant d’obtenir une bourse d’étude et de se consacrer à sa passion de chercheur.

Mais la découverte de nouveaux gisements de charbon dans l’est de la France, l’utilisation massive du pétrole auront raison de ses projets. La révolution industrielle se préoccupe de rentabilité, pas d’environnement, ce n’est alors pas du tout d’actualité. Augustin Mouchot, est un génie oublié : « Son visage n’est sur aucun tableau, sur aucune gravure, dans aucun livre d’histoire. » Pourtant ses miroirs destinés à capter l’énergie du soleil préfigurent les panneaux solaires de notre époque. Je n’avais jamais entendu prononcé son nom, même dans cette ville de Tours où il a passé tant d’années. L’auteur écrit : « Sa maison n’est pas un musée, ses machines sont à peine exposées, le lycée où il fit ses premières démonstrations ne porte pas son nom. »

La verve savoureuse de l’auteur est parfaite pour cette quête digne d’un Don Quichotte. Mission prométhéenne, Augustin ambitionne, à travers des machines qu’il bricole lui même, d’utiliser la force du ciel pour la mettre gratuitement au service de l’humanité. Lors de l’exposition universelle de Paris en 1878, il parviendra pour la première fois à fabriquer un bloc de glace par la seule force du soleil, une alliance des contraires apte à frapper l’imagination. Précurseur, il s’intéresse aussi à la décomposition de l’eau par la pile thermoélectrique. Émile Zola, lui-même, des années après avoir assisté à une de ses démonstrations, rendit hommage aux savants capables de transformer la chaleur solaire en électricité.

A côté des honneurs, distinctions, articles élogieux dans la presse, il doit supporter les quolibets de ceux qui trouvent absurde d’aller chercher l’énergie à des millions de kilomètres de distance quand on peut l’extraire à proximité, sous terre. Augustin Mouchot terminera sa vie dans la misère, les yeux brûlés par ce soleil qui l’a tant fasciné, rappelant le sort de Marie Curie irradiée par les rayons qu’elle avait découverts.

L’homme est décrit comme une sorte d’illuminé malchanceux et rêveur, ce qui me le rend très sympathique. La plume de l’auteur excelle dans l’exercice, s’amuse des péripéties, en rajoute pour notre grand plaisir de lecteur. Il a tant de choses à dire sur cet homme visionnaire passé à l’oubli. Miguel Bonnefoy s’appuie sur les archives départementales et municipales, les journaux d’époque, comble les vides par son talent. Il développe des paragraphes s’allongeant de propositions, de mots rares parfois. Écriture flamboyante, rabelaisienne, colorée, baroque, emphatique, fleurie, poétique avec ce jeu sur l’ombre et la lumière…

« Ainsi naquit, le 7 avril 1825, à l’ombre des rues du Pont-Joly et de Varenne, à l’endroit le plus éloigné de la lumière, dans l’arrière-salle d’un atelier de serrurerie, l’homme qui devait inventer l’application industrielle de la chaleur solaire. »

L’écrivain parvient à faire de cet homme maladif un être épris d’absolu. On ne lui connaît pas de vie amoureuse, sauf à la fin de sa vie et plus par instinct de conservation. Pierrette Bottier avec qui il se marie en 1899 – il a alors 74 ans – est une femme « rustre, envieuse, en tout colérique », l’auteur en fait un portrait saisissant. Avoir du style c’est bien pour un écrivain… encore faut-il avoir un sujet, quelque chose à dire, à transmettre. Exhumer de l’oubli cet inventeur est proche du coup de génie à une époque où le balancier de l’histoire se détourne des énergies fossiles, toujours rentables certes, mais responsables d’une pollution et de problèmes climatiques menaçants la vie sur notre belle planète.

La maison d’Augustin Mouchot à Tours, rue Bernard Palissy, avec sa plaque commémorative.

On voyage beaucoup dans cette biographie romancée. Originaire de Côte d’Or, en poste en tant qu’instituteur puis professeur à Alençon puis Tours. Remarqué par l’empereur Napoléon III, il obtient de ce fait une bourse afin de perfectionner ses machines, (l’invention peut être utilisée pour les troupes en campagne militaire…), lui part en Algérie « fleurir le désert ».

« A la Mitidja, voyant la situation des agriculteurs algériens, il adapta son récepteur solaire à certaines pompes, en facilitant ainsi dans les campagnes la distribution des eaux pour les irrigations ou les assèchements. Sur le pic d’un mont, à cinq heures du matin, sous une température de zéro degré, Mouchot servit un café chaud à ses guides en moins de temps qu’en pleine canicule à Paris. »

En 1978, cent ans après l’exposition universelle marquant le sommet de sa gloire, un petit nombre de ses admirateurs appose une plaque de marbre blanc au 4 rue Bernard Palissy. Pour rappeler l’importance, au milieu des années 1860, de cette jolie maison tourangelle ayant abrité un inventeur visionnaire. Le haut de la plaque a été cassé…

La ville de Tours est au cœur des aventures de notre inventeur solaire… En 1864, il est affecté au Lycée impérial de Tours (Lycée Descartes actuel…) et loue une chambre austère dans le quartier de la cathédrale Saint-Gatien. Il se rend souvent au sommet de la Tour Charlemagne pour ses expériences. Par la suite, il s’installe rue Bernard Palissy. Un matin de juillet, Mouchot se retrouve au milieu de la cour du Lycée face à une cinquantaine de personnalités influentes pour présenter sa machine mais la démonstration échoue, le soleil étant masqué par les nuages. Heureusement la démonstration à Biarritz se passe à merveille, ainsi que celle de l’exposition universelle, ce qui lui ouvre les portes d’une belle notoriété à l’époque.

Né en France d’une mère diplomate sud-américaine qui a été attachée culturelle de l’ambassade du Vénézuéla à Paris et d’un père romancier chilien, Miguel Bonnefoy est l’auteur de nombreux romans maintes fois primés, traduits dans une vingtaine de langues, dont Le voyage d’Octavio (prix de la Vocation), Sucre noir et Héritage (prix des Libraires 2021). Un auteur attachant dont je poursuivrais la découverte !

Notes avis Bibliofeel octobre 2022, Miguel Bonnefoy, L’inventeur

Voici ce que j’ai pu lire sur le site du Lycée Descartes de Tours nommé Lycée impérial à partir de 1853 : « a accueilli de célèbres élèves dont Honoré de Balzac, René Boylesve, Yves Bonnefoy, Jean-Marie Laclavetine, Martine Le Coz, Jean Carmet, Jacques Villeret, Patrice Leconte, bon nombre de futurs militaires, médecins, journalistes, avocats, industriels etc… On ne saurait oublier Léopold Sédar-Senghor, agrégé de grammaire, affecté au lycée d’octobre 1935 à juillet 1938. » Augustin Mouchot manque à l’appel, prouvant si besoin que la littérature est irremplaçable, force non négligeable participant à réparer certaines injustices ! Pensez-vous comme moi qu’il serait bien de l’ajouter à la liste ?

14 commentaires sur “Miguel BONNEFOY, L’inventeur

  1. J’ai été déçu par un précédent roman de l’auteur, « Le voyage d’Octavio » et je ne pensais plus le lire. Mais beaucoup de chroniques, dont la tienne, me donnent envie d’y revenir… d’autant plus que je connais bien Tours, j’ai même une belle collection de cartes postales anciennes de la ville…

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    1. Avec un tel sujet, la vie d’un précurseur écolo et la forte présence de lieux que je connais bien, tout m’invitait à aimer ce livre. Le style m’a un peu déconcerté au début avant de reconnaître une parenté avec les grands auteurs sud américains 😃

      J’aime

  2. Bonjour Alain,

    Merci pour ta chronique extrêmement enrichissante, je n’ai pas lu « L’Inventeur » mais grâce à toi j’en sais désormais un peu plus sur Augustin Mouchot.

    Tu complimentes la plume de Miguel Bonnefoy ; la tienne est également des plus agréables à lire ! « […] [U]tiliser la force du ciel pour la mettre gratuitement au service de l’humanité », quelle belle formulation !

    Merci et bon dimanche !

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Lilly, même si ton compliment me met dans un certain embarras… J’espère que je n’ai pas emprunté la formule à Miguel Bonnefoy, en oubliant de mettre les guillemets. Les dieux de la littérature pourraient se venger. Heureusement, personne n’a révélé leur exitence et c’est parfait comme ça… Je viens de rechercher, Apollon est le dieu des arts, du chant, de la musique, de la beauté masculine, de la poésie et de la lumière (donc de notre Augustin Mouchet) mais pas de la littérature en tant que tel… Ouf, je suis rassuré ! Belle journée à toi. Alain « Bibliofeel »… Paramétrage en cours suite à achat nouveau matériel…

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