Une vie, une œuvre
Les Éditions de l’Archipel
Date de parution : février 2023
304 pages

Cette biographie s’attache à comprendre le parcours intellectuel d’Edgar Morin sur sa très longue vie et les tumultes de plus d’un siècle. Changer de voie, mais quelle voie suivre ? Telle est la question à laquelle il a tenté de répondre en explorant de nouveaux modes de connaissance. Il ne prétend pas donner une méthode à appliquer mais sa méthode de pensée, construite sur le doute, la remise en question permanente et l’écoute, pourrait peut-être être utile pour dépasser bien des blocages de notre époque.
La vie d’Edgar Morin est esquissée, dans ses grandes lignes, dans une première partie où il est question des idéaux qui vont l’amener à un engagement politique. Il est né en 1921, enfant unique aux origines multiples il porte le nom de Nahum, son père ayant fui les combats de Salonique lors de l’effondrement de l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale, mais le fil de ses origines remonte jusqu’en Italie et en Espagne, à l’exil qui a été le lot de bien des familles d’origine juive. Dès l’enfance, c’est un esprit curieux, avide de connaissance que ce soit en littérature, en philosophie ou en cinéma, pages passionnantes où j’ai vu se forger une personnalité hors du commun au contact des œuvres du passé et des intellectuels qu’il a pu côtoyer dans l’entre deux guerres. En 1943, devant la menace d’un enrôlement dans le STO (Service du Travail Obligatoire), il rejoint la Résistance où il prend le nom de Morin, qu’il gardera par la suite. Engagé en politique au côté du Parti communiste, il a pris ses distances et en est exclu en 1951.
« Dans ces années là, les compagnons de sortie et les voisins de table de Morin s’appellent Sartre, Camus, Beauvoir ou Merleau-Ponty. Dans les brasseries, il discute avec Georges Bataille, Aragon et Elsa Triolet, écoute René Clément raconter l’histoire de son prochain film ou s’esclaffe aux vannes de Jacques Tati, avant de finir la nuit au son de la trompette de Boris Vian ou des chansons de Juliette Gréco. »
Après les années 1950, sa méfiance des idéologies le conduira à se diriger vers la sociologie, obtenant un poste au CNRS en 1950 dont il deviendra Directeur de recherche en 1993. Je le connaissais sympathique humaniste, invité régulièrement des médias, je le découvre sociologue, philosophe, chercheur dont la longévité et la production m’impressionne. J’ai apprécié l’effort fait par l’auteur pour rendre abordable la pensée de Morin : il y est question de boucles de rétroaction, des systèmes complexes, d’étude de la dimension sociale de l’homme, de théorie des systèmes et de l’organisation… Edgar Morin s’intéresse à la biologie, aux théories quantiques, à la neurobiologie et la cybernétique dans le cadre d’une interdisciplinarité qu’il juge indispensable. Son œuvre la plus célèbre « La méthode », dont la rédaction s’étale sur une trentaine d’années à partir de 1973, comprend quelques deux mille pages.
« Moins connue que la métaphysique, la morale ou la politique, l’épistémologie est cette branche de la philosophie qui s’apparente littéralement à un « discours sur la science » […] Désormais, l’approche philosophique des sciences au sein de l’épistémologie s’intéresse aux modes d’acquisition des connaissances, au rôle de l’expérience et de l’expérimentation, à la logique, à l’histoire des sciences, à leur place dans la société ou encore aux implications éthiques des différentes découvertes. »
Il a été profondément marqué par la façon dont l’URSS, qu’il a défendue dans sa jeunesse au sein du Parti communiste et de la Résistance, a pu caricaturer ses idéaux. L’autocritique de ses erreurs vis à vis du stalinisme dans un contexte de lutte contre le nazisme est largement présentée. L’auteur insiste sur l’influence qu’elle va exercer sur son œuvre.
C’est une biographie tout à fait agréable et intéressante, un retour sur l’histoire et la vie des idées sur une période qui s’étend de 1930 à maintenant et un focus sur la vie d’un homme remarquable. J’ai découvert quelles fortes influences il pouvait avoir sur la réflexion contemporaine dans le monde méditerranéen et en Amérique latine, et jusqu’en Chine, Corée, Japon… Edgar Morin fait un centenaire d’une jeunesse d’idées incroyable. Refonder la pensée à partir de là où l’ont laissée les grands philosophes et l’histoire récente, défi immense qu’il relève avec élégance. J’y ai vu une recherche morale tout à fait passionnante de la part d’un homme épris de fraternité, cultivant la tolérance et l’espérance.
Francis Lecompte est journaliste et collabore à CNRS Le journal et Carnets de science. Il a nourri son étude de nombreux entretiens avec Edgar Morin et avec des chercheurs familiers de sa pensée. A la fin du livre, l’index des nom cités et une bibliographie des œuvres d’Edgar Morin, ainsi que des livres et articles cités, permettent de juger de l’énorme travail fourni par l’auteur.
Autres Citations :
« Il s’agit, explique-t-il, de se livrer de loin en loin à une sorte de décrassage mental, c’est-à-dire de se remettre régulièrement en question, de la même façon que l’on procède à la révision de la toiture : vérifier ses connaissances car le monde se transforme en permanence, ne jamais cesser de se former ni de s’informer et pratiquer systématiquement le doute, afin de nettoyer l’esprit de tous les dogmes et tous les formatages dont il est la proie. Edgar Morin nous dit que toute sa vie, en somme, n’aura été qu’une longue cure de désintoxication mentale, sans cesse renouvelée. »
« Même en pleine recherche philosophique, il n’a donc en rien renoncé à ses espérances d’une société plus humaine. Politiquement, il reste fidèle à son principe dialogique, qui vise à réunir des entités ou des instances antagonistes ou concurrentes dans des unités complexes et complémentaires, sans que l’une exclue radicalement les autres. Un quart de siècle après des erreurs staliniennes, il continue ainsi à inclure le marxisme dans sa pensée politique. Bien qu’il l’ait dépassé, il ne peut être question de l’éliminer. Une unité ne dissout jamais ses composantes, même contradictoires. »
« Edgar Morin a désigné un horizon, à chacun de tracer son chemin, puisque la vie de la pensée, n’a-t-il cessé de répéter, se confond avec la vie tout court. La sienne, avec ses racines culturelles et familiales, ses circonstances historiques et ses lignes de fuite idéologiques ou ses perspectives scientifiques, nous montre comment négocier avec notre histoire personnelle, tenter de la comprendre, d’en saisir toutes les facettes, afin d’approcher toujours un peu plus la « bonne connaissance ».
« Dans la préface aux « soixante propositions pour une autre économie », qui suivront cet évènement, Morin écrit qu’il est possible de « refouler progressivement et systématiquement l’aire économique déterminée par le seul profit », montrant qu’une économie plurielle pourrait accompagner en même temps qu’elle se nourrirait d’elles d’autres évolutions, culturelle, intellectuelle, sociale… Les myriades d’initiatives allant dans ce sens sont donc bonnes à prendre, qu’elles concernent l’éducation, le travail, l’habitat, la santé ou la consommation. »
Notes avis Bibliofeel mars 2023, Francis Lecompte, Edgar Morin en suivant la voie
❤️❤️❤️
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Merci Filipa.
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Je suis fan absolue
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Je comprends. C’était un plaisir pour moi de découvrir toute l’étendue de sa pensée dans cette excellente biographie !
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Je l ai écouté à la radio il y a une série de podcasts
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Oui, et c’est bien fait. Ses conférences et interventions publiques ont rendu ses textes plus accessibles. Comme il est dit dans cette biographie « … le charme du personnage, sa gestuelle, sa gentillesse irrésistibles et sa générosité font aussi beaucoup pour rendre ses idées séduisantes, au risque de les déformer… Rien n’est simple ! » De là à lire les six tomes de sa méthode, il y a un pas que je ne franchirai pas… Mais heureusement il a écrit bien d’autres livres, dont une autobiographie, plus accessibles. Et je ne doute pas que les chercheurs et étudiants lisent ses écrits (enfin je l’espère).
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lire aussi Vidal et les Siens, biographie de son père et de Salonique
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Ce doit être intéressant effectivement. Merci pour cette suggestion.
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J’ai toujours aimé cet homme, libre penseur, loin de tout dogmatisme qui n’a jamais renoncé à ses espoirs et sa vision humaniste.
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A un moment de ma lecture je le voyais tel un phare dans la brume épaisse 😃. On a bien besoin de pensées porteuses d’espérance actuellement !
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Oui, la brume est épaisse 🙂
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