George ORWELL, 1984

Publié chez Gallimard en mai 2018, paru en folio en mai 2020

Écris en 1948 – inversant les 2 derniers chiffres cela donne 1984 –, publié en 1949, ce roman a fait l’objet d’une seule traduction en 1950. Cette nouvelle traduction de Josée Kanoun, 68 ans après, est de nature à renouveler l’intérêt d’un texte qui a connu une destinée hors du commun.

Winston Smith travaille au Ministère de la vérité, il est membre du parti extérieur et chargé de réécrire les archives afin que le passé ne contredise pas le présent tel qu’il doit être selon le parti et Big Brother. Il vit sous régime totalitaire et est surveillé comme tous membres du parti extérieur par des télécrans présents partout qui, grâce à une technologie de pointe, peuvent surveiller et intervenir à tout moment pour recadrer ou dénoncer des comportements, voire des mauvaises pensées. Il décide d’écrire, un moyen de marquer le passage du temps, ce qui est totalement interdit et en passe d’être aboli.

Il rencontre Julia et ce sont des pages merveilleuses d’un amour inconcevables qui va éclore et se déployer hors des contraintes, en dehors des télécrans, du moins c’est ce qu’ils vont vivre et penser pendant une courte période de bonheur presque parfait. Merveilleuse Julia, écriture superbe de ce passage que ce soit d’Orwell et de la traduction de Josée Kamoun. Exact contrepoint de la vie qu’ils menaient, ce sont des pages de beauté, de sincérité, de lumière et d’amour. Julia fait les premiers pas et dans ces conditions c’est quelque chose… Elle lui écrit ce simple mot « je t’aime » et organise leurs rencontres clandestines et elle organise également leur rencontre sexuelle, transgression absolue dans la société de 1984 (et aussi dans la société de 1949 de l’auteur).

Pour rejoindre la fraternité, une organisation qui lutterait contre Big Brother, Winston et Julia prennent contact avec O’Brien, un membre du parti intérieur.

Et puis il y a les prolos, 85 % de la population, une caste maintenue dans la pauvreté et l’ignorance.

Beauté du texte et du style donné par la traduction de Josée Kanoun : « enfants pieds nus et dépenaillés qui jouent dans des flaques jusqu’à ce que leur mère les éparpille d’un coup de gueule. »

Originalité des concepts développés dans cette œuvre de science-fiction qui éclaire tellement le présent, expliquant le regain actuel d’intérêt pour ce roman. Winston (Orwell ?) explique que le « doublepenser » c’est « savoir sans savoir, être conscient de la vérité intégrale tout en racontant des mensonges savamment construits. Entretenir en même temps deux opinions antithétiques, avec une égale conviction. Jouer la logique contre la logique, bafouer la morale tout en s’en réclamant… ». C’est très moderne, non ?

Le roman est construit en 3 parties. Première partie pour Winston, deuxième partie avec l’apparition de Julia (extrême romantisme et à la fois d’une extrême sensualité), troisième partie de remise en cause de tout ce à quoi on a cru avec Winston.

George Orwell a été de tous les engagements de son époque troublée : montée du socialisme et de ses contradictions en lien avec la révolution Russe, impérialisme auquel il a participé en Inde et en Birmanie, guerre d’Espagne, engagement dans le socialisme libertaire. Libertaire me semble le meilleur adjectif pour définir la trajectoire de Orwell ; pleinement impliqué dans le rejet des atteintes aux droits de l’homme quels qu’ils soient car il a vu tout cela dans ses diverses expériences. Plus que politique, il me semble un moraliste de la politique et cette position lui permet d’être visionnaire vis-à-vis de tous les totalitarismes mais rend son engagement problématique pour tous les camps.

Malheureusement, sa dénonciation du grand frère « Big Brother » a été largement interprétée et exploitée pendant la guerre froide. Il faut rappeler qu’à l’époque les alliés, notamment Anglais et US, redoutaient la mainmise de Staline sur toute l’Europe. Les trois supers continents : Océanie, Eurasie et Estasie représentent cette possible recomposition et la généralisation du totalitarisme tel qu’Orwell l’avait subi et redouté avec Hitler et Staline.

Les États-Unis voyaient dans « 1984 » et dans « La ferme des animaux », deux livres facilement exploitables afin de détourner les populations de toute transformation révolutionnaire de leur société. Ils auraient même participé via la CIA au financement d’adaptations cinématographiques dans les années 1954 et 1956 avec une fin modifiée évitant le renvoi dos à dos, capitalisme et communisme.

Pourtant Orwell avait pris soin de souligner, après la parution, que 1984 n’est pas uniquement une satire de l’Union Soviétique. Il s’est donné la peine de dicter deux déclarations à ses éditeurs en expliquant que le nom de l’Angsoc (socialisme anglais) était suggéré mais qu’il visait aussi bien la dictature managériale à l’ouest, qu’à l’est. Lire à ce sujet l’excellente biographie de Bernard Crick rééditée chez Flammarion en octobre 2020.

L’auteur étant décédé de tuberculose en 1950, soit la même année que la parution de la première traduction en France, rien n’empêchait une utilisation univoque de sa dénonciation de tous les totalitarismes vers la seule Union Soviétique, y compris en Espagne fasciste (un comble !) avec la parution sous Franco d’une traduction en 1952.

Je trouve que cette nouvelle traduction dépoussière l’œuvre. Emploi du présent au lieu du prétérit anglais, style plus moderne, plus vif et donc plus en phase avec l’époque actuelle donnant une nouvelle dimension à l’œuvre littéraire où, par exemple les odeurs, les corps sont mis en avant. Des termes sont retraduits et donnent un sens moins connoté : « néoparler » au lieu du « novlang ». Le terme novlang est passé dans le langage courant et mis à toutes les sauces et contresens, il a même une place ambiguë dans le Grand Robert puisque la définition donnée à la novlangue est : « langage stéréotypé dans lequel la réalité est travestie, clichés de la langue politique ». Le « newspeak » d’Orwell va bien plus loin que cela avec un appauvrissement programmé de la langue…

Il y a des avis contradictoires concernant cette nouvelle traduction. Je pense que la controverse est saine, pour peu que ce ne soit pas partisan, chacun ayant sa version et son interprétation de « 1984 ». Orwell a gagné en un sens, de cette entreprise de destruction des mots décrite dans ce roman, on aboutit à l’inverse à une explosion de mots et de débats…

Note avis bibliofeel février 2019, George ORWELL, 1984

9 commentaires sur “George ORWELL, 1984

  1. C’est un grand livre, c’est sûr ! Je l’ai lu il y a bien longtemps, donc je n’en ai pas un souvenir très précis, et je vous remercie pour cette belle note de lecture. Je trouve aussi votre page « à propos » très bien ecrite et elle donne vraiment envie de lire votre blog. Bref, merci !

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  2. Merci pour cet article très intéressant sur une oeuvre que je viens de relire avec plaisir. Je suis sidéré par le fait que 1984 colle autant à l’actualité. Cela ne m’avait pas marqué à la première lecture, il y quelques années, Pour certains, les faits ne comptent pas, la parole a perdu toute qualité. Heureusement, nous avons les livres ! A bientôt !

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    1. Coïncidence, je viens de compléter cet article après avoir écouté l’émission « signe des temps » du 1er novembre sur France culture « Big brother, cet inconnu ». 1984 était mon tout premier article sur ce blog. J’avais apprécié la nouvelle traduction plus moderne de Josée Kanoun. Merci pour ton commentaire et à bientôt !

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  3. J’avais retenu, et c’est encore très très actif en moi, la Puissance de ce fait de l’Amour dans la mise en cause et en questions de ce système capitaliste abouti. Cela me nourrit encore et toujours et comme jamais en cette période présente où se met en place un système bien plus sophistiqué et mortifère tout à la fois de 1948 que de « 1984 »……

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    1. C’est tout à fait ce que je ressens et cela me nourrit également dans mes choix. Je suis touché par votre commentaire car c’est avec cette chronique, d’un livre essentiel pour moi, que j’ai commencé ce blog, il y a tout juste 2 ans !

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      1. Qui n’a pas été touché hormis celles et ceux qui ne l’ont pas ouvert… Il y a de l’intemporalité dans cette histoire d’Amour et elle est rarement relevée, justement, comme vous l’avez si justement fait dans votre chronique…

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          1. Cet ouvrage a pâti je pense de son aura et est considéré à tort comme un pamphlet ou un essai!!!! En me promenant un jour dans le Nord de l’Espagne avec une amie, j’ai aperçu sur la gauche un petit panneau de bois rafistolé avec indiqué dessus « La Ruta Orwell ». Demi-tour, étroit et long chemin et bouleversante découverte, Que d’émotion, le film de Ken Loach a été tourné là!!!!

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