Luc LEENS, Le père que tu n’auras pas

Éditions Quadrature, paru en février 2022

Préface d’Armel Job

129 pages

Les éditions Quadrature, crées en 2005, se sont spécialisées dans le domaine de la nouvelle. De statut associatif, cette maison d’édition indépendante publie des auteurs francophones avec une large place aux débutants. L’équipe de Quadrature a raison de penser que la nouvelle est un genre littéraire particulier où l’auteur doit posséder l’art de capter l’attention du lecteur, le distraire, l’émouvoir, le faire rêver. Et personnellement j’aime quand cela donne à réfléchir, que ce ne soit pas seulement un bel agencement de phrases. J’attends d’avoir à la fois l’agréable et l’utile… Avec Luc Leens tous ces points sont réunis et la magie opère.

Tout commence avec Bacchus, sommelier du restaurant Le Sixième sens. Il devait s’appeler Étienne mais son père l’a fait appeler Bacchus… Moi, c’est le genre de départ qui m’intrigue. Partant ainsi, soit l’auteur va se planter, soit il est très fort et va me surprendre. Gagné, chaque page est un bonheur d’écriture, la tension monte, l’émotion aussi et la chute me laisse émerveillé. Cela démarre fort et je suis pressé de découvrir les autres histoires.

La peau d’une femme raconte le parcours d’Émilie, une aide-soignante effectuant une reconversion dans la plomberie, devenant la proie d’un machisme imbécile. L’originalité tient au fait de raconter l’histoire de la jeune femme par petits bouts, selon les témoignages de ceux qui l’ont côtoyée avant qu’elle ne se fasse arrêter par la police…

Douze récits très différents se succèdent, autour d’un thème commun, le père attendu – quelquefois la mère –, rêvé (e) et le choc de la réalité de la vie. Dans Le papillon, Élise Dupré, nouvelle venue dans le quartier, sonne à la porte des voisins pour se présenter. Elle ne se doute pas qu’elle va faire connaissance avec un fils et une mère stupéfiants…

L’un contre l’autre et Le virus de Cooper tournent autour du thème du deuil, de la maladie. Vous avez haï le coronavirus, vous adorerez ce virus de Cooper. Une maladie rare, très inquiétante, scientifiquement décrite par Luc Leens :

« Un virus neurotrope qui s’attaque directement au système nerveux. »… « Les premiers effets se manifestent en moins de vingt-quatre heures. Les personnes contaminées se mettent à manifester de la curiosité pour tout ce qui les entoure, les choses et les gens. Pas une curiosité malsaine, indiscrète et voyeuriste, mais un réel intérêt, une véritable envie de connaitre et comprendre ceux qui les entourent. »

La deuxième phase de la maladie fait passer les personnes contaminées de la parole aux actes. Toutes deviennent serviables, prévenantes, solidaires, généreuses… Heureusement les nantis s’organisent pour ne pas être dépossédés par cette épidémie de bienveillance. Le fils fait ce constat terrible alors qu’il visite son père reclus dans sa propriété de peur d’être touché par le virus :

« Par un curieux renversement de situation, ce n’est pas lui qui possède ses biens, ce sont ses biens qui le tienne prisonnier, à l’image de l’orgueilleuse propriété dont il ne peut plus sortir. » 

De terribles secrets de famille sont révélés dans L’aveu d’Éva. On assiste au rapprochement  d’Élise et de sa grand-mère sur fond de meurtre et de violence faite aux femmes.

Douze nouvelles composent ce recueil, toutes dans l’attention aux femmes et aux hommes ayant appris dans la vie, telle qu’elle se présente, à être parents, enfants, époux ou simplement eux-mêmes. Chacun fait ce qu’il peut avec les coups du sort. Dans Le féminin de preux chevalier, on découvre une belle solidarité féminine permettant de déjouer les attentions malsaines de l’abbé Malhont pour sa jeune élève.

Les thèmes ne sont pas nouveaux mais la manière de retenir l’attention, de frapper notre imagination l’est. Je me dis qu’un écrivain est là, variant les sujets, capable d’écrire une nouvelle policière qui tient la route en seulement neufs pages ! C’est Le dernier mot où un directeur de parc animalier – couverture d’activités moins naturelles – se prépare à ôter la vie à une femme, capitaine de gendarmerie, l’ayant démasqué. Excellent dans le genre nouvelle à chute… J’adore.

« Quant au personnel, il accepte de travailler pour une bouchée de pain, comme ce pauvre Kernet que je traîne de contrat saisonnier en CDD depuis dix ans. Je pourrais presque les remplacer par des bénévoles. Rendez-vous compte, j’ai créé un programme « C’est moi le soigneur », où le visiteur paie deux-cent-quarante euros pour une seule journée pendant laquelle il peut nettoyer une cage, nourrir un phacochère et ramasser quelques crottes de tapir ! »

Et puis bouquet final avec cette longue nouvelle éponyme du recueil, Le père que tu n’auras pas, vingt-huit pages très réussies. Une longue lettre d’une mère à sa fille pas encore née, que celle-ci devra lire à ses seize ans. Luc Leens met en scène Isabelle, une femme à la beauté intimidante ou fatale, qui peine à trouver un amour totalement sincère jusqu’à ce qu’elle rencontre Philippe, handicapé en fauteuil, qui lui a bien du mal à envisager l’avenir.

Luc Leens est né en 1956 à Mons, en Belgique. Il était traducteur. Il se consacre depuis 2020 à l’écriture, une reconversion réussie puisqu’il a déjà reçu une quinzaine de prix en France et en Belgique, notamment le prix Albertine Sarrazin. La liste de ses récompenses occupe une bonne demi-page avant la préface d’Armel Job, annonçant le recueil par ces mots étonnants : « Personnellement je ne lis jamais les préfaces. Vous non plus, je suppose. » Raté !  Lue et savourée avant de passer à la belle écriture de Luc Leens, puis relue afin de goûter toute la malice et le style d’un auteur ayant une vingtaine de romans à son actif. Armel Job est un auteur qu’il me faudra découvrir très vite…

L’humour et le talent sont au rendez-vous de ce petit livre qui j’espère trouvera sur sa route de nombreux lecteurs curieux, vous peut-être ?

Notes avis Bibliofeel mars 2022, Luc Leens, Le père que tu n’auras pas

18 commentaires sur “Luc LEENS, Le père que tu n’auras pas

      1. Merci pour votre chronique. Vous avez parfaitement saisi ce que j’ai essayé de mettre dans mon livre. Je voue une immense admiration à Armel Job. Comme vous l’avez très bien compris à la lecture de sa préface, il allie une immense talent avec des qualités personnelles remarquables, notamment une tendresse malicieuse pour le genre humain. Même lorsqu’il décrit les recoins les plus sombres de l’âme humaine, il réussit toujours à garder un équilibre entre la bienveillance et la cruauté à l’égard de ses personnages, entre le tragique et l’ironie de nos vies insignifiantes. Mes tout grands coups de coeur vont à des oeuvres plus anciennes comme « Baigneuse nue sur un roche », « Helena Vannek » ou « Les Mystères de Sainte Freya », mais son dernier roman est lui aussi excellent, Un père à soi, dont la thématique est assez proche de certaines de mes nouvelels.

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        1. Merci pour ce commentaire d’auteur qui est pour moi chose précieuse. C’est un plaisir d’avoir lu et chroniqué votre recueil de nouvelles. Je vais pouvoir faire mon choix parmi tous ces titres d’Armel Job cités. Bonne continuation dans votre travail d’écriture et merci encore d’avoir pris du temps pour commenter ma chronique !

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  1. D’Armel Job, je conseille « Tu ne jugeras point », « Loin des mosquées », « Dans la gueule de la bête » entre autres mais parmi les plus récents, il y a toujours du bon à prendre, sa recette me plaît toujours. J’en ai chroniqué plusieurs sur mon blog, il suffit de taper « Armel Job » dans Rechercher.

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  2. Hello,
    Merci pour cette chronique, « Le Virus de Cooper » a particulièrement retenu mon attention !
    Je m’intéresse de plus en plus aux formes courtes et viens de découvrir la novella « Katja » de Marion Brunet, que j’ai trouvée excellente (éditions in8).
    Sur ce, je file rendre visite au site des éditions Quadrature !
    Merci et bon week-end

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    1. Ah oui. J’ai bien ri à la découverte de cette maladie de Cooper. Depuis le rire a fait place à la consternation car un autre virus est apparu aux portes de l’Europe… Je note pour cette nouvelle de Marion Brunet. Dans la superbe préface, Armel Job dit que la vie n’a pas l’organisation cohérente d’un roman mais plutôt la diversité des nouvelles. Assez juste, non ?

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