Emmanuel LAMBERT, On ne peint pas de larmes sur le visage de celui qui meurt

Éditions L’Harmattan, paru en août 2021

235 pages

Il y a un véritable souffle dans ce roman ! Je découvre là une belle plume avec une magnifique construction du récit, jusqu’à la dernière page. Un premier roman mais la maîtrise est grande, peut-être due à la douzaine de pièces de théâtre déjà écrite par l’auteur, comédien au sein de la compagnie Bulles de Zinc.

Magnifiques pages 160 et 161 avec, en fond sonore à la rencontre de Mona et Kaj, « Lady » de Fela Kuti. Un titre féministe, déjà en 1972, du chanteur, saxophoniste, chef d’orchestre et homme politique nigérian. Extrait de l’album Shakara qui posait les fondamentaux de l’afrobeat, cet irrésistible mix de musiques africaines (comme le highlife) et américaines (jazz, funk, blues…). Avec le son des cuivres qui passe d’une voie à l’autre !

Emmanuel Lambert se révèle équilibriste, troubadour jongleur de mots. Les défauts du livre ? Cela m’arrive rarement, mais franchement là, je n’en vois aucun. Trop court peut-être comme l’est la vie elle-même qui court ici d’un personnage à l’autre, d’un pays à l’autre. J’aurais aimé rester un peu plus avec Wolfgang, Louise, Anouck, Mona, Kaj, Boubacar et Amédée. Puissent être nombreux les lecteurs embarqués dans cet incroyable voyage littéraire et humain. Prenez votre plus beau pull – le fameux pull de Wolfgang, soixante-douze ans et une nouvelle vie à inventer, servant de lien dans cette folle équipée – et partez au Kazakhstan pour la base de Baïkonour, direction la lune ! Dit comme ça, on peut avoir des doutes, mais ça fonctionne si bien… Emmanuel Lambert est capable de vous offrir la lune, et ce n’est pas une lubie de milliardaire.

La difficulté de vivre et le désir d’avancer loin s’équilibrent et se répondent, pesées par l’auteur au gramme près. Tout part d’une photo conservée par Wolfgang, prétexte à une quête épique : enfant, il donne la main à un cosmonaute. Je l’avais tellement visualisée que, en réfléchissant à cette chronique, je l’ai recherchée un instant dans le livre. Sauf qu’elle n’y est pas ! Cet auteur est une sorte de chaman, de griot, présentant un roman-voyage, résultat-chef-d’œuvre de ses nombreux périples en Afrique et sur tous les continents.  

Le thème de la mémoire parcourt le récit. Qui ne s’est pas interrogé avec une certaine angoisse sur celle-ci, sur sa force et ses faiblesses ? La mémoire est vue comme un tremblement, un aller-retour entre ce qui a été et ce qui est vécu, voire ce qu’on aurait pu vivre et le désir toujours de le vivre. J’ai aimé quand Aboubacar dit : « La mémoire ne voyage jamais aussi bien que lorsqu’elle est accompagnée. »

J’ai aimé ce brassage des cultures, ces évocations de musiques « ambiançant » l’histoire. Parmi celles-ci : Armstrong, Bregovic, Fela Kuti

J’ai découvert Atomic Bomb, une « curiosité délicatement rétro » du musicien nigérian William Onyeabor, pionnier de la musique électro-funk dans les années 70 et 80.

« Ses oreilles ont soudain d’autres envies, elle veut écouter du Hightlife, de la juju ou de l’Afrobeat… ou mieux, elle veut Atomic bomb d’Onyeabor, le morceau qui a bercé son enfance et qu’elle entendait en boucle. C’est ça, elle veut s’épuiser sur les sons du synthé d’Atomic bomb. »

Justesse et humilité de l’approche, que ce soit dans le petit village de Penvanec en Bratagne, à Baïkonour et en Guinée. Le mariage est réussi entre l’histoire, ses aléas, ses drames et la poésie de la vie en suivant Wolfgang, notre Ulysse plus tout jeune, lâché dans un monde moderne dont il a du mal à intégrer tous les codes.

Question style, Emmanuel Lambert a l’art de faire respirer le lecteur, alternant intensité de l’écriture, dialogues réalistes et poèmes donnant du sens. Le titre s’éclaire peu à peu et il ne reste que le plaisir de découvrir le périple tardif de Wolfgang.

Je ne vais pas cette fois ci résumer le livre, ce sera bien plus savoureux de laisser se dévoiler doucement l’histoire au rythme de l’écriture et du découpage millimétré de l’auteur. Curieux du monde et de la littérature, ne ratez pas ce livre, délicieux voyage que j’aimerais trouver en tête de gondole dans les librairies ou dans les sélections pour les prix. Enfin quoi, on peut bien demander la lune quand on aime… et surtout ne pas économiser les compliments !

Un grand merci à Emmanuel Lambert et aux éditions L’Harmattan pour cette lecture.

Autres citations :

« Elle venait de la rue d’à côté, un DJ avait posé sa sono à l’entrée du cimetière, une femme s’était mise à danser à côté de lui – aussi naturellement que si elle s’était mise à discuter. Pourquoi ne faisait-on pas ça chez lui ? Danser donnait de la légèreté à tout ce qui entourait la femme. Et la légèreté était comme les papillons : ils avaient tendance à disparaître sous le poids d’une société un peu trop affamée d’elle-même. »

« Je me suis dit que c’était bien que tu rencontres mon frère : tu voulais te confronter à ta mémoire, c’est mieux que tu te confrontes à la sienne. Il n’a pas la mémoire solide pour facilement vivre tous les jours mais il peut continuer à être heureux car il a des rêves. »

« Elle rouvre les yeux et compte, ils sont huit. Huit autour d’un cercueil, un cercueil qui a la forme d’un téléphone, comme ça se fait de plus en plus souvent. Cette mode qui consiste à donner des formes aux cercueils vient du Ghana paraît-il. Ils sont huit. Seulement huit, ne peut-elle s’empêcher de penser, Toujours cette même solitude, même dans la mort. »

Notes avis Bibliofeel octobre 2021, Emmanuel Lambert, On ne peint pas de larmes sur le visage de celui qui meurt

8 commentaires sur “Emmanuel LAMBERT, On ne peint pas de larmes sur le visage de celui qui meurt

  1. Waououh ! Un livre au quel tu n’as pas trouvé de défaut, déjà là. Et tu en parles avec un enthousiasme si contagieux qu’on est tres vite saisi par l’irrésistible désir de le lire.
    En plus, mon petit doigt me dit qu’il a tout pour me plaire. J’aime beaucoup le titre, en plus. Ben, tu sais quoi, ? il ira direct en haut de ma PAL.
    Un grand MERCI à toi.

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    1. De rien Solène. C’est moi qui te remercie de ta lecture et de tes commentaires vraiment sympas ! Les livres sont des objets vivants, quand ils passent des uns aux autres, qui peuvent transmettre des émotions incroyables, et celui-ci m’a particulièrement touché. J’espère que tu ne seras pas déçue. Tu me diras…

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