Pierre JOURDE, Le voyage du canapé-lit

Éditions Gallimard, 2019

Lu en folio, paru en mai 2020

322 pages

Les Jourde Brothers (Pierre et Bernard, ce dernier accompagné de sa femme Martine) sont chargés par leur mère de transporter un canapé-lit en velours olive décoré de fleurettes, héritage de la grand-mère, de Créteil à la maison d’Auvergne. Pierre est le plus bavard, les anecdotes se succèdent alors que les villes défilent. On passe allègrement du coq à l’âne dans un joyeux brassage mi-littéraire, mi-dialogue de café de gare, même le lecteur est pris à partie et répond aux injonctions de l’auteur :

« – Non, lecteur, ne t’en va pas, ça me fait de la peine. Excuse-moi si je me suis montré brutal. Écoute-moi encore un peu…

  –   Non non, ça suffit, j’ai un Le Clézio à finir. »

Il est précisé d’emblée que toutes les histoires racontées « se sont réellement produites dans la vie de l’auteur ou de ses proches, y compris le transport en camionnette d’un canapé-lit un week-end de pâques, depuis Créteil jusqu’en Auvergne. » Pierre Jourde est un conteur prolixe capable de tenir son auditoire, au moins le lecteur car son frère Bernard et Martine aimeraient bien qu’il se taise un peu. Il nous emmène loin, racontant des voyages épiques « … au Népal, au Pérou ou dans d’autres régions plus ou moins sauvages et mal localisées, où ils ne connaissaient même pas la blanquette de veau. » Tout cela en expliquant une vie familiale compliquée, les outrances et traits d’humour masquant en partie seulement les souffrances enfouies.

J’avais bien lu en quatrième de couverture la citation de Bernard Pivot affirmant que Pierre Jourde l’avait fait hoqueter de rire. Cela n’avait pas trop retenu mon attention. Et pourtant ! J’ai dû plusieurs fois cesser ma lecture, ne distinguant plus le texte à travers les larmes d’un fou rire nerveux impossible à contrôler !!! Je ne me souviens pas avoir éprouvé un phénomène d’une telle ampleur. Lors d’un spectacle de stand-up, d’un film, oui… Mais à la lecture, cela me semble plus rare ?

La tasse de thé de la honte est un des chapitres les plus hilarants. Pierre Jourde est convié à recevoir le Prix de la critique de l’Académie française. Joueur de mots, il s’amuse à partir de l’âge vénérable des académiciens, lors de l’entrée en grande pompe par le haut des gradins :

« Et commence la descente. Là c’est une autre image qui s’impose. La vingtaine de marches leur prend autant de temps que s’il s’agissait de la face nord des Grandes Jorasses. Ils s’agrippent à la rambarde, se tiennent les uns aux autres, crochètent désespérément tout ce qui passe à portée de leurs mains tavelées et noyées de rides, tout branlants, tout tremblotants, on se dit que si l’un fait un faux pas, c’est la cordée qui va basculer dans le vide. »

La performance de Pierre Jourde consiste à savoir relancer constamment le récit d’une sorte de road movie, support à une biographie familiale, sur quelques centaines de kilomètres seulement entre Paris et la maison du Cantal, au rythme des feux et des croisements. Plus on s’approche du but et plus sa plume s’envole. Après ce chapitre délirant consacré à l’Académie, on a droit à une belle confrontation avec Christine Angot qu’elle a dû apprécier modérément :

« Elle lit son texte, elle le lit bien, avec cette énergie qui la caractérise, prouvant ainsi qu’on peut savoir lire même si on ne sait pas écrire. Comme ce qu’elle écrit se fonde sur deux ou trois effets rudimentaires toujours repris, oralité, répétitions, ça facilite la lecture à voix haute. »

L’auteur fait œuvre d’humoriste inspiré mais pas seulement, il y a de nombreux passages soulignant sa philosophie pragmatique et humaniste profondément attachée à la liberté de pensée, notamment quand il décortique la censure de la presse et de l’édition, toute en douceur et non-dits… Un excellent passage dont je ne peux ici dévoiler toute la profondeur d’analyse. Une raison de plus pour lire ce petit livre si réjouissant, bijou d’écriture dont j’ai aimé l’épigraphe, une citation de Diderot tirée de Jacques le fataliste : « Mais pour Dieu, l’auteur, me dites-vous, où allaient-ils ?… Mais pour Dieu, lecteur, vous répondrai-je, est-ce qu’on sait où l’on va ? Et vous, où allez-vous ? »

Né en 1955, Pierre Jourde est un universitaire et critique, auteur de nombreux romans, essais littéraires, ouvrages satiriques, pamphlets, poèmes, ouvrages collectifs… Il a, entre autres, écrit Le Maréchal absolu (Gallimard), La Littérature sans estomac (L’esprit des péninsules) ou encore C’est la culture qu’on assassine (Balland) en 2011. Une œuvre plutôt multiforme, inventive, joyeuse, iconoclaste comme j’aime, dont cette première lecture m’ouvre les portes.

Et vous, avez-vous des livres qui vous ont entraînés soudainement vers des fous rires inextinguibles ? 

Notes avis Bibliofeel mai 2022, pierre Jourde, Le voyage du canapé-lit

19 commentaires sur “Pierre JOURDE, Le voyage du canapé-lit

  1. Rarement lu ce genre de livres mais je note le nom de l’auteur car c’est tout à fait le genre qu’il me faudrait lire dans les moments de noirceur ou de désespoir……. J’ai été voir ces différents ouvrages et il y a un large choix (certains ont même reçu un prix ce qui n’est pas forcément un critère d’excellence pour moi :-))…. Je retiens son nom et à l’occasion sûrement 🙂

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        1. Pas sûr que ce Pays noir soit aussi joyeux car cet auteur a plusieurs facettes et certains romans m’apparaissent bien sombres… A voir et surtout à lire pour se faire une idée plus précise de qui est Pierre Jourde…

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    1. Oui, je suis sûr qu’il ne faut pas se priver de ces occasions là, elles ne sont pas si nombreuses. Ceci dit l’humour et le rire est quelque-chose de très personnel. J’espère qu’il te plaira si tu tentes cette lecture. Merci Marie-Anne pour ton commentaire !

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  2. Intéressant, tu m’as donné envie de découvrir cet auteur iconoclaste. Je crois ne le connaître que de nom. Pour répondre à ta question finale, je suis en train de lire Middlemarch de George Eliot et certains passages sont hilarants, avec ce sarcasme si anglaise, cette manière de se moquer de ses personnages. Rien à voir avec Pierre Jourde, mais quand on peut se marrer en lisant, profitons-en !

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      1. au pire ce ne serait pas grave il est d’occasion et vraiment pas cher meme avec les frais de port. j’avais lu le livre sur le tibet du meme auteur et c’était pas mal (pas un chef d’oeuvre mais agréable : ma note de l’époque 3/5)

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