Michael CONNELLY, Dans la ville en feu

Edition Calmann-Lévy 2015

Lu dans l’édition livre de poche mai 2016

Traduit de l’anglais par Robert Pépin qui a la particularité d’être à la fois l’éditeur de l’auteur chez Calman-Lévy, son ami de longue date et… son traducteur. Je pense que cela explique la qualité du roman. Visiblement Robert Pépin a les mains libres pour passer et éclairer le texte dans la version française : « Michael décrit avec un réalisme extraordinaire un système très éloigné du nôtre. Comme je ne souhaite pas bourrer mes traductions de notes de bas de pages, je m’efforce de fourrer le texte d’éclaircissements sans que le lecteur s’en aperçoive. » En termes de traduction, une trop grande fidélité au texte d’origine peut être la pire des choses voir Belinda Bauer « Arrêt d’urgence ». Adapter l’œuvre dans une nouvelle langue, tel devrait être l’objectif. Encore faut-il être en phase avec l’auteur comme a pu l’être, par exemple, Alzir Hella, traducteur fameux de Stefan Zweig, ayant largement contribué à la renommée de celui-ci en France.

J’avais repéré ce titre « Dans la ville en feu » sur la table d’un bouquiniste tourangeau dont j’apprécie la sélection des livres présentés, ses goûts s’accordant bien avec les miens. C’était en juin dernier, la mort de George Floyd* américain noir de 46 ans tué le 25 mai 2020 par un policier blanc de Minneapolis avait donné lieu à une série de manifestations et d’émeutes.

Ce récit de Michael Connelly a pour cadre des évènements similaires ayant eu lieu à Los Angeles en 1992. 30 ans ont passé… C’est une bonne façon de réfléchir à des évènements récurrents aux USA tout en lisant un roman policier de qualité, l’auteur sachant parfaitement rendre ici l’écho social et politique. D’ailleurs, il a enquêté sur place et écrit en introduction :

« A tous les lecteurs

Qui font vivre Harry Bosch depuis vingt ans,

Un grand, très grand merci.

Et à ceux qui en ce jour de 1992

M’ouvrirent un passage dans la foule,

Aussi un grand, très grand merci. »

C’est un excellent Connelly, le meilleur que j’ai lu jusqu’à maintenant. Le scénario est époustouflant et sans aucun temps mort. 

Harry Bosch et une équipe mobile se déplacent sur une scène de crime en pleine émeutes :

Deux jours plus tôt, les fractures raciales, sociales et économiques qui agitaient la ville avaient brisé sa surface avec une intensité proprement sismique. Le procès de quatre officiers de police du LAPD accusés d’avoir rossé un motocycliste noir dans une course poursuite à grande vitesse s’était achevé sur un non-lieu, la lecture du verdict dans un prétoire de banlieue situé à quelque soixante kilomètres de là ayant un impact quasi immédiat dans les quartiers sud de Los Angeles. Des petits groupes de gens en colère s’étaient formés au coin des rues pour huer cette injustice. Et très vite les violences avaient commencé. » »

Une journaliste danoise, Anneke Jespersen, a été retrouvée morte au détour d’une ruelle sombre. L’enquête avait été bâclée à l’époque, tant la police avait eu peu de temps à consacrer à une victime parmi d’autres dans cette « ville en feu ». Vingt ans plus tard, Hieronymus « Harry » Bosch est inspecteur aux affaires non résolues. Il s’emploie grâce à une douille recueillie sur la scène du crime à retrouver l’arme du crime et ainsi avancer dans une éventuelle résolution de l’affaire. Y parviendra-t-il alors que son supérieur, le lieutenant O’Tool, le harcèle afin de l’amener à abandonner une enquête qu’il juge non prioritaire, voire cherche à l’évincer du service ? Celui-ci a mis une inspectrice des affaires internes à ses trousses, et cette Nancy Mendenhall ne compte pas le lâcher d’une semelle.

Un scénario dans lequel s’invite le passé militaire récent des États-Unis dont les conséquences sont toujours sensibles actuellement. Bosch était au Vietnam en 1970-1971. Quant à la journaliste assassinée, elle avait couvert « les opérations » Bouclier et Tempête du désert en 1990 pendant ce qui a pris la dénomination sibylline de « guerre du golfe »**… En arrière-plan est abordée la question du retour des combattants et leur devenir, et surtout les tensions existant au sein de la police concernant les questions ethniques dans cette ville, Los Angeles, où les populations noire et hispanique représentent la majorité des habitants. La police étant perçue comme défendant les intérêts des blancs, Bosch embarrasse la hiérarchie de s’intéresser à une victime blanche alors que les nombreuses autres victimes pendant les émeutes ont donné lieu à peu d’investigations.

Art Pepper, célèbre saxophoniste alto, dans une version de 1956 du titre « Patricia », n’ayant pas trouvé cette version de 1981 dont Harry Bosch vante les qualités…

Bosch sait aussi consacrer du temps à sa fille Madeline, « Maddie » et à sa passion du jazz dont de nombreux musiciens et titres accompagnent cette enquête.

« Il en était au troisième album et écoutait une version saisissante de Patricia enregistrée trois décennies plus tôt dans un club de Croydon, en Angleterre. Pepper faisait alors son come-back après des années de prison et de dépendance à la drogue. Ce soir là – c’était en 1981 –, tout allait à merveille. Dans ce morceau, il prouvait que personne ne pourrait jouer mieux que lui. »

L’auteur utilise parfaitement toute cette riche matière dans une construction impeccable, en incluant une réflexion existentielle et abordant des sujets sociaux intéressants, ce qui donne un roman divertissant mais pas seulement. J’ai vraiment eu plaisir à lire cette histoire qui me marquera durablement.

Notes avis Bibliofeel juillet 2020, Michael Connelly, dans la ville en feu

1992, 2020 : les mêmes problèmes de racisme, de répression policière, provoquent des émeutes puis d’importantes manifestations. Les problèmes de fond n’ont jamais été réglés, ni débattus… La pression contre les dirigeants connaît cette fois-ci une ampleur nouvelle émanant de toutes les communautés.

*George Floyd avait été interpellé car soupçonné d’avoir utilisé un faux billet de vingt dollars…

**La guerre du golfe de 1990-1991 sera suivie par « la guerre d’Irak » de 2003-2011 avec des conséquences mondiales terribles en termes d’instabilité et de terrorisme.

2 commentaires sur “Michael CONNELLY, Dans la ville en feu

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