Christian BOBIN, La lumière du monde

Editions Gallimard 2001, lu en folio édité en janvier 2003

Quand j’ai entrepris de tenir ce blog littéraire, je savais que j’allais parler à un moment ou un autre de Christian Bobin. J’ai relu « La lumière du monde », un livre que j’apprécie particulièrement pour son magnifique titre – contrastant avec l’obscurité qui semble gagner du terrain actuellement – et pour ce qu’il dit de ce poète et ce grand écrivain. Loin d’être un auteur mièvre, reproche qui lui est adressé parfois, il m’apparaît être parvenu au fil des ans au sommet de la littérature.

Il s’agit de paroles recueillies par Lydie Dattas. Les questions ont été effacées, il ne reste que des textes superbes sur son enfance, ses croyances, ses lectures, les artistes qui l’ont construits ou qu’il a appris à rejeter, son amour de la nature, de la vie. Il nous présente ici la beauté du monde et une méthode pour savoir la découvrir. J’y ai vu la plupart du temps de magnifiques poèmes en prose dévoilant le génie singulier de l’auteur.

Il est beaucoup question de littérature et l’auteur ne se gêne pas pour donner ses préférences :

« La littérature que j’aime est faite par des braconniers qui traquent le réel et rabattent le gibier merveilleux jusque sur le lecteur. A nos pieds de lecteurs s’envole soudain une perdrix ou un oiseau encore plus rare. L’autre littérature est faite par des gens qui, par des moyens plus ou moins violents, rabattent les lecteurs sur leur personne à eux. Quand ça marche, l’auteur devient sa propre statue. Or on ne nous donne pas les moyens de distinguer entre ces deux littératures. »

Dans ces braconniers qui traquent le réel pour le lecteur, littérature qu’il affectionne, il place André Dhôtel, Arthur Rimbaud, Fiodor Dostoïevski, Emil Cioran

Marcel Proust, avec son œuvre « A la recherche du temps perdu », fait partie de la deuxième catégorie des auteurs fabriquant leur statueainsi que Louis-Ferdinand Céline et son célèbre « Voyage au bout de la nuit », même si ce livre l’a « un peu épaté ». Gustave Flaubert n’est pas épargné…

Je dois à la lecture de ce livre d’avoir découvert André Dhôtel, qu’il cite abondamment, devenu un de mes auteurs essentiels que j’aime retrouver régulièrement :

« Un livre d’André Dhôtel peut envoyer son lecteur sur les routes, à la recherche d’une lumière sauvage, mais Madame Bovary enfonce son lecteur dans un profond fauteuil de sieste culturelle. Flaubert est incomparablement plus connu et estimé que Dhôtel. Pourtant, qu’est-ce qui est plus grand, sinon ce qui nous met en mouvement vers de grandes choses ? Les livres de Flaubert n’ont jamais changé la vie de personne, mais on n’a pas le droit de le dire. »

Ce qu’il cherche par l’écriture c’est approcher l’humain : « Un vrai livre, c’est toujours quelqu’un qui entre dans notre solitude ». Approcher et rapprocher comme la religion qu’il prône, assez personnelle, illuminée de lumière, Dieu et Christ semblant une allégorie de l’amour, de la beauté de la nature, recherchés chaque jour et martyrisés trop souvent. La divinité catholique, dans les mots de Bobin, n’est guère plus, ou est un absolu bienfaisant comme les elfes, les esprits présents dans d’autres cultures et censés veiller sur le monde. A chacun sa foi ou son type d’athéisme, ce n’est surtout pas un auteur prosélyte.

Il s’agit aussi d’un petit essai philosophique, proche dans la forme, des Pensées de Pascal. Même si l’auteur se défend de vouloir expliquer le monde, il le fait à sa manière de poète. La pensée qui se déploie est attachante, les valeurs fortes et tout à fait actuelles, notamment par rapport à la place de l’homme vis-à-vis des autres, dans le respect des différences, et vis à vis de la nature. Il est question aussi de la quête du bonheur et de la place au monde, dans la filiation pour moi du chef d’œuvre d’André Gide : « Les nourritures terrestres ». Il faut être un peu illuminé (illuminations de Rimbaud ?) pour terminer un livre par cette phrase étonnante :

« Je voudrais apprendre à pleurer, je voudrais arriver à moins comprendre parce que je réfléchirais de plus en plus, je voudrais lire des livres qui seraient aussi beaux qu’un pré, et poser mon regard sur de la lumière écrite,  je voudrais arriver à la mort plus frais qu’un bébé, et mourir avec cet étonnement des bébés qu’on sort de l’eau. »

Christian Bobin assume et cultive sa différence : « Les autres enfants s’accommodaient de la surface des choses avec une gaieté brutale. Moi, les groupes m’attristaient : je les ai toujours redoutés. » Il y a dans ces textes, dans cette passion d’écrire, un formidable besoin d’être aimé : « aimer quelqu’un c’est le lire »…

 « Lire ainsi l’autre, c’est favoriser sa respiration, c’est à dire le faire exister. Peut-être que les fous sont des gens que personne n’a jamais lus, rendus furieux de contenir des phrases qu’aucun regard n’a jamais parcouru ».

La nature est le moteur alimentant la phrase du poète qui continue à la voir à hauteur d’enfant :

« Les platanes sont des gens admirables, et la bienveillance de leurs feuilles lie un commerce avec les enfants des écoles. Les fraises des bois ont une lueur terrible, ce sont de toutes petites particules de braise. »

Jean-Sébastien BACH, concerto en do majeur bwv 595 par le quatuor de saxophones Ellipsos.
« Bach c’est une rose. La structure d’une rose est toujours la même, et pourtant je n’imagine pas qu’on puisse un jour s’en lasser. »

Dans l’univers de Bobin la musique a une place essentielle et participe à sa sérénité. La musique des mots s’accorde parfaitement à la musique tout court. Celle de Bach trône en toute première place. C’est beau quand les mots peuvent jouer du Bach, ce qu’il parvient à réaliser bien souvent :

« Bach, c’est le sommet de l’attention qu’on peut porte aux choses, c’est une musique attentive à tout. » « Elle tourne autour d’un centre qu’on atteindra jamais. » 

Cela fait du bien d’entrer dans l’univers et la solitude de Christian Bobin, paradoxalement c’est une présence au monde augmentée, une présence aux autres renouvelée. Ce livre contient de multiples pépites de mots et de phrases admirables. J’approuve totalement quand il affirme :

« On fait du malheur une chose littéraire qui est très bien portée. C’est particulièrement vrai de ces auteurs qui étalent le mal sous prétexte de le dénoncer. Certaines œuvres soi-disant rebelles ne font qu’ajouter au chaos du monde et elles n’aident personne. »

L’œuvre de l’auteur compte déjà quelques soixante-cinq titres. Et si la véritable religion, le sacerdoce de Christian Bobin était l’écriture ?

Notes avis Bibliofeel septembre 2020, Christian Bobin, La lumière du monde

28 commentaires sur “Christian BOBIN, La lumière du monde

  1. J’ai lu avec intérêt ce billet, – à propos d’un auteur que j’affectionne particulièrement et dont j’ai lu tous les livres 😉 – je trouve qu’il rend fort bien hommage à ce qu’il écrit et ce qu’il est, « une présence augmentée », qui augmente à son tour qui le lit. Merci.

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    1. Je suis bien loin d’avoir lu tous ses livres… Quels titres avez-vous particulièrement appréciés ? « Le très bas » a été cité dans les commentaires suivant ? Merci à vous pour l’intérêt porté à cette chronique et pour cet échange à propos de cet auteur attachant : Christian Bobin.

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      1. Grande question que celle de mes titres préférés, j’aime aussi l’œuvre de Christian Bobin dans sa globalité, ne serait-ce que pour ce qu’elle représente de cheminement dans l’écriture… avec ses réussites et ses faiblesses, comme pour n’importe quel auteur. Cependant, « L’éloignement du monde » aux éditions Fata Morgana garde une place particulière : celle du premier titre de Bobin que j’aie lu. Ce livre condense à mon sens tous les thèmes des autres titres, sous forme d’aphorismes ou de textes très courts, et leur concision est d’une densité incroyable. C’est souvent le titre que j’offre à qui veut découvrir cet auteur 😉

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    1. Je découvre tardivement votre commentaire qui me fait bien plaisir. Je pense effectivement qu’il serait dommage de ne pas lire Christian Bobin. Nous avons besoin de la lumière qu’il donne, avec sincérité et poésie.

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  2. Bonjour,

    Très belle mise en lumière pour ce Christian Bobin que je ne connais que peu. Vous m’avez convaincu d’ajouter ce liste dans mes prochains achats (ou emprunts) !

    J’aime ce que vous dites de lui. Et sa plume a l’air de tout avoir pour emporter mon adhésion. J’aime l’écriture organique et imagée. Celle qui n’y va pas avec le dos de la cuillère tout en gardant du style.

    Bien vu!

    A bientôt,

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  3. C’est un très bel article, pour un très bel auteur ! Je suis un inconditionnel de ses travaux littéraires. Vous avez particulièrement bien mis en lumière le fait qu’il nous parle de religion (de spiritualité, ne devrions-nous pas plutôt écrire ?) sans se faire prosélyte. Étant particulièrement sensible au sujet (je suis un athéiste farouche mais un mystique certain !), je trouve qu’il était essentiel que vous souligniez la chose. Tout comme vous, grâce à Christian Bobin, j’ai découvert André Dhôtel, et ce fut la révélation d’un nouvel auteur à faire figurer aux côtés de ceux accompagnent fidèlement mes jours de lecteur. D’ailleurs, Christian Bobin joue le rôle de passeur littéraire et artistique à merveille, tout au long de ses oeuvres. C’est à la fois une politesse, une humilité et une générosité : toutes vertus qui lui ressemblent bien, ne trouvez-vous pas ?J’ai été un peu long, pardonnez-moi, mais votre article le valait bien !

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    1. Merci pour votre commentaire qui complète bien ma chronique. Oui, je trouve ces valeurs là chez Christian Bobin : politesse, générosité, humilité. Vous n’avez pas été trop long, c’est aussi ce type d’échange que l’on espère quand on tient un blog. Belle soirée à vous !

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