Fabrice NICOLINO, C’est l’eau qu’on assassine

Pfas, Pesticides, Microplastiques, Cosmétiques, Médicaments…

Publié en mai 2025, éditions Les liens qui libèrent, 304 pages

Le titre interpelle d’emblée. L’eau, marqueur de notre rapport au monde, est en grand danger et nous tous avec. Fabrice Nicolino est journaliste, auteur de nombreux ouvrages sur la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité et la raréfaction de l’eau disponible. Il a été à l’origine du mouvement « Nous voulons des coquelicots », une vaste pétition pour la fin des pesticides de synthèse qui a recueilli plus d’un million de signatures entre 2018 et 2020, sans obtenir d’avancée significative…

« Dans la suite, on a vu comment l’agriculture industrielle et la FNSEA son bras armé ont obtenu tout ce qu’ils demandaient. Je n’ose qualifier un gouvernement qui se couche devant de tels intérêts particuliers, hostiles à l’avenir, à la santé, à la beauté du monde. Au moment où j’écris ces mots, l’habituelle coalition, responsable de la contamination de tous les milieux de vie, semble avoir gagné la partie. Semble. L’histoire ne saurait s’arrêter là. »

L’eau et la vie ne font qu’un. L’auteur dresse un tableau complet d’un bien commun de plus en plus transformé en produit industriel. La pollution cumulée de la chimie de synthèse menace notre environnement et notre santé. L’actualité lui donne raison : scandales des eaux en bouteille commercialisées par Nestlé, Danone et Alma (avec la complicité de l’État qui plus est) ; pollutions de l’eau du robinet par les microplastiques, par les pesticides, par les Pfas – dits polluants éternels –, les cosmétiques et les médicaments ; de nombreux points de captage rendus inutilisables, des communes obligées de distribuer de l’eau en bouteille à la population… La lecture est facile et on progresse sans peine dans cette enquête d’un meurtre qui nous concerne tous et toutes. Pour convaincre, Fabrice Nicolino tutoie le lecteur : « … mon ami inconnu dont je ne sais ni ton âge, ni ton sexe, ni le boulot que tu fais, faisais, feras. Mais enfin, la vie est courte. Te sentiras-tu fier de toi, sans avoir tout imaginé, tout tenté, tout risqué pour elle ? Pour l’eau ? »

On commence loin, très loin de notre époque, avec l’âge d’or des temps premiers où l’homme arrive dans des terres vierges, puis la terrible litanie des pollutions de l’eau infligée par l’homme pour arriver à la pollution généralisée qu’on connaît actuellement. Les responsabilités sont pointées avec force. On retrouve ici nombre de politiques et des grands corps d’États où l’entre-soi et de la corruption règnent. L’auteur a la critique mordante et pratique l’ironie comme remède aux espoirs brisés depuis longtemps. Ne sont pas épargnés les magasins Biocoop (pourquoi eux ?), Clémentine Autin (pourquoi elle ? et pour des propos bien anodins par rapport au sujet ?), Monique Lang pour sa piscine, tous les ingénieurs de l’eau et tous les politiques, les ARS qui font les analyses (alors que les Agences Régionales de Santé font faire des analyses sur appels d’offre, ce qui n’est pas du tout pareil).

Le livre se présente comme un rapport implacable avec des chiffres (notamment ceux sur la progression des cas de cancers qui ont presque triplé en 40 ans) et des extraits de publication d’organismes officiels, des passages des livres précédents de l’auteur, très prolixe depuis plus d’une trentaine d’années. On pourra toujours lui faire le reproche d’excès de confiance alors même qu’il reconnaît, titre chapitre 8 : « Je ne suis vraiment pas chimiste. » Il est exact que personne n’a réellement des données exhaustives sur ces sujets, souvent passés sous le tapis pour cause de pression économique. Si ce livre parvient à interpeller, je suis assez dubitatif sur une communication de la catastrophe totale, inéluctable, qui pourrait être contre productive
tout en comprenant la colère s’exprimant à chaque page. Annoncer le désastre sans apporter de solutions atteignables m’apparaît une démarche dangereuse. Donner de l’espoir me semble toujours un préalable à l’action :

« Il faut abandonner la dépollution, car elle est le dernier clou sur le cercueil de nos illusions. Il faut se battre ensemble pour que jamais, nulle part, en aucun cas on ne s’avise d’attenter aux équilibres de l’eau. Je vois bien que c’est impossible, mais je vois davantage encore qu’il faut y parvenir. »

Pour avoir travaillé dans le vaste et complexe domaine de l’analyse, j’ai regretté que rien ne soit dit sur les multinationales de l’analyse qui ont investi ce secteur juteux, sans aider sur le fond, leur objectif restant la seule rentabilité maximale. Les appareils de plus en plus performants dament le pion aux laboratoires publics dont les crédits ont été coupés, la plupart ayant dû changer de statut quand ils n’ont pas été rachetés par le privé. Des grands groupes comme Eurofins et Carso pratiquent un lobbying sur les normes, sur les paramètres recherchés, alors que bien souvent on ne sait rien ou pas grand-chose sur les risques encourus au niveau de la consommation. La recherche publique à ce niveau aurait pu être mentionnée, le lien entre résultat d’analyse et interprétation développé… Quels efforts de recherche sur ces sujets ? Quels acteurs ? Quels budgets ?

Après un long développement dénonçant l’assassinat de l’eau, catastrophe totale, inéluctable, l’auteur en appelle à une « révolution mentale » qui arrive enfin dans les dernières pages.

« Ne plus polluer l’eau obligera(it) à repenser tous les process industriels, agricoles, domestiques. Il s’agit donc de réorganiser le monde sur une base plus solide. Un seul mot s’impose, celui de révolution. Et j’en suis d’autant plus partisan que la défense de l’eau porte un message universel qui nous rapproche enfin des gueux qui souffrent tant au bord du Nil, du Gange, du Yangtsé, du Tigre, de l’Euphrate, de tous les autres. Oui, l’eau est cette valeur universelle capable de renouer des liens défaits par la victoire écrasante de l’industrialisation du monde. »

Je remercie vivement les éditions Les liens qui libèrent et Babelio pour cet envoi dans le cadre d’une masse critique non fiction. En complément, pour ceux qui sont intéressés par ce sujet essentiel, je conseille de regarder la très intéressante émission Enquête de santé, Quand l’eau sème le trouble. Où on voit une autre approche, complémentaire au livre.

Voir aussi https://sante.gouv.fr/sante-et-environnement/eaux on y parle de paramètres émergeant concernant les microplastiques. Où on constate la lenteur des décisions prises par les pouvoirs publics et le poids visible des lobbies industriels. Le livre de Fabrice Nicolino malgré ses défauts est un livre d’alerte utile. Il explique que la question eau du robinet ou eau en bouteille est largement dépassée, qu’il est urgent de changer de modèle économique et considérer toute atteinte à l’eau comme un crime.

Notes avis Bibliofeel, juillet 2025, Fabrice Nicolino, C’est l’eau qu’on assassine

7 commentaires sur “Fabrice NICOLINO, C’est l’eau qu’on assassine

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