Éditions Gallimard, publié en mars 2023
258 pages

Elle possède le plus grand bassin extérieur de France mesurant 50 m en largeur et 150 m en longueur.
Suivre ce nageur, dont Pierre Assouline nous raconte le parcours, est impossible dans sa ligne d’eau. Il nage trop vite. Pourtant tout gamin, à Constantine, il avait dû lutter contre sa phobie de l’eau… Et si c’était ça le secret du livre, la capacité d’Alfred Nakache à se battre contre l’adversité en mobilisant les valeurs inculquées par ses parents et sa volonté de vaincre. Je trouve que c’est une excellente idée d’aborder le sujet difficile de la déportation à travers un sportif adulé, ayant fait partie de l’élite sportive avant la seconde guerre mondiale. L’opposition frontale entre forces de vie et forces de mort atteint son plus haut niveau, plongeant le lecteur dans l’horreur du crime et des criminels mais aussi au cœur des forces individuelles permettant une résilience.
Nous faisons la rencontre d’un sportif hors-norme que nous suivons dès son enfance en Algérie jusqu’à son décès en 1983 dans le port de Cerbère en Pyrénées-orientales, alors qu’il boucle comme chaque jour son kilomètre à la nage. Entre les deux époques, il a été champion de France et d’Europe avant d’être sacré recordman du monde, puis déporté à Auschwitz et Buchenwald suite à une dénonciation. Il a 28 ans quand il est arrêté avec sa femme et sa fille de deux ans et demi. Pierre Assouline écrit qu’on n’arrête pas les enfants de résistants mais on arrête, on déporte et on gaze les enfants juifs.
« Le convoi numéro 66 s’arrête en pleine nuit trois jours après avoir quitté Drancy. Trois jours et deux nuits de cauchemar. […] Paule et sa fille sont envoyées dans la file de gauche pour être embarquées dans un camion avec d’autres mères, des infirmes, des vieux. Alfred dans celle de droite avec des hommes valides, robustes, ainsi que quelques femmes qui le paraissent tout autant et même le vieux Ruben Job, qui a tout de même soixante-quinze ans, mais qui est médecin. »
Il sera le seul à revenir à la fin du printemps 1945, parvenant à reprendre le chemin de la piscine et à participer en 1948 aux Jeux de Londres, premiers jeux après ceux de Berlin de 1936. Tout un symbole ! A travers la vie de ce nageur, l’auteur donne la parole à toutes celles et tous ceux qui dérangeaient (ou dérangent), que ce soit par leur opinion, leur religion, et dont l’existence en tant que telle est remise en cause directement. On observe le passage de la célébrité à la haine absurde, criminelle, contre un compétiteur qui fait de l’ombre à ses rivaux de club, notamment le sinistre Jacques Cartonnet, très actif dans la collaboration. Les nazis, également, n’ont pas oublié que Nakache a battu leurs nageurs aux jeux de Berlin en 1936. Sous le nazisme et le régime de Vichy, le sport est une affaire d’État.
Alfred Nakache, à son retour, rêve de vengeance contre les délateurs sans avoir de preuve irréfutable de la culpabilité de Cartonnet. Celui-ci, double champion du monde du 100 et 200 m brasse, membre de la milice, a été condamné à mort à la libération, mais sa trace se perd dans des couvents en Italie… Roland Gibel autre nageur en eau trouble qui venait à la piscine à Toulouse en uniforme de milicien muni d’un revolver passera devant les juges.
Des passages émouvants évoquent la vie dans les camps de concentration dont il est rappelé que les opposants ont été les premiers à y être regroupés, parvenant à une certaine entraide et solidarité, quelquefois, en plein cauchemar…
C’est un récit parfaitement mené, l’évocation d’une résilience exceptionnelle, de celle qui force le respect, la juste mémoire d’un sportif ayant connu la gloire à l’égal d’un Zidane ou d’un M’Bappé, brusquement plongé dans l’horreur du racisme, de l’antisémitisme. Le nom Alfred Nakache a été donné à de nombreuses piscines (Paris, Toulouse, Montpellier…) et une pièce de théâtre intitulée « Sélectionné » a été présentée cette année au théâtre Marigny. La déportation, les camps d’extermination, la Shoah ont été le fait des nazis mais Pierre Assouline rappelle que Pétain a décidé spontanément d’ouvrir en grand les vannes de l’antisémitisme en abrogeant le décret Crémieux dès l’instauration du régime de Vichy en 1940, les juifs algériens perdant alors la nationalité française, rabaissés au rang d’indigénat.
Pierre Assouline a été responsable du magazine Lire. Il siège au comité de rédaction de la revue L’Histoire et est membre de l’Académie Goncourt depuis 2012. Il a écrit de nombreux romans, biographies, articles et chroniques radio.
Autres citations :
« Sa vie est encore à venir mais on sent déjà le mouvement et la ligne de force susceptibles de l’animer. Il sait ce qui l’attend : nager, rêver, gagner peut-être. Parfois échouer, recommencer, échouer mieux. L’important est de garder le cap. Creuser un sillon et s’y tenir toute une vie durant. Fais ce que dois advienne que pourra. Mieux qu’une devise, une résolution qui distingue l’homme qui nage des hommes qui surnagent. »
« Tenir, se tenir, résister. En toutes circonstances et plus encore par mauvais temps. »
« Une fois dans l’eau, si muette mais si éloquente, il est suffisamment hors du monde pour ne plus adhérer à l’instant. Le voila connecté à l’universel et l’intemporel pour le temps que durera son parcours. Qui nage se sent détaché de l’ordinaire de la vie. Il flotte au dessus. »
« Dès le premier jour, lors de leur séparation sur la rampe d’Auschwitz, quand Paule a été dirigée vers la file de gauche pour ne pas avoir voulu lâcher la main de sa fille, elles ont été envoyées à la chambre à gaz puis leurs cadavres ont été brûlés dans les fours crématoires. Elles n’ont pas été tatouées ; leurs papiers d’identité ont été aussitôt brûlés. Non seulement elles n’existaient déjà plus, mais tout fut fait pour qu’elles n’aient jamais existé. »
« Comme tous ceux qui ont subi un traumatisme, Alfred peut témoigner du comment mais il attend des autres qu’ils lui expliquent le pourquoi. Sinon à quoi bon. Et qu’on ne lui dise pas qu’il n’y a pas de pourquoi. Hier ist kein warum, c’était là-bas, à Auschwitz. »
Notes avis Bibliofeel septembre 2023, Pierre Assouline, Le nageur

ce livre est dans ma liste !
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Très bon choix. Bonne lecture !
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J’ai lu « Lutetia » du même auteur. J’étais curieuse, car j’y ai travaillé plusieurs années et l’histoirem’intéressait. Je vais lire celui-ci. Merci !
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Pierre Assouline a le génie de redonner le souffle de la vie a des personnages et évènements du passé. Ce livre rend en quelque sorte justice là où des délateurs ont réussi à y échapper. Ce n’est pas rien ! Merci pour ton retour sur Lutetia que je n’ai pas lu et qui paraît bien intéressant !
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Merci pour ces explications. Cela donne très envie !
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J’ai entendu parler de ce nageur et de son retour à la compétition après la déportation. Je le note dans ma LAL.
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Je ne peux que te conseiller de le lire car malgré le drame qui serre le cœur il parvient à faire du bien… On a besoin de cet espoir de résistance, de résilience.
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Ma libraire me l’avait conseillé à sa sortie, mais je n’avais pas osé.
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C’est mon libraire qui me l’a fermement conseillé et je ne regrette pas d’avoir suivi sa recommandation !
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Sur le même sujet, j’ai lu il y a peu Le nageur d’Auschwitz (Renaud Leblond – mai 2022), très bien .
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Des livres, une pièce de théâtre, des émissions radios… Un film peut-être prochainement ! Pourquoi pas. Merci pour l’information.
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Un livre que j’ai dévoré très récemment. L’histoire d’un grand nageur qui a respecté ses convictions. Les nageurs (dont Pierre Assouline fait partie, seraient-ils des êtres d’exception ?
Après lecture de « Héros et nageurs » de Charles Sprawson, je suis tout prêt de le penser !
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Je vais m’intéresser à Charles Sprawson et son livre sur les nageurs-héros, cela m’intrigue !
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