Camille de PERETTI, L’inconnue du portrait

L’inconnue du portrait

Éditions Calmann-Lévy, publié en janvier 2024

364 pages


Camille de Peretti scrute Marthe qui regarde le peintre Gustave Klimt
réalisant son portrait puis après coup le modifiant… C’est mystérieux, profond, admirable !

Au premier contact avec le livre, j’ai été fasciné par l’image, celle de cette jeune femme au regard si doux, pommettes et lèvres carmins, un visage plein de vie qui fait miroiter l’air autour d’elle. Quel bonheur d’avoir un tel bandeau, attirant le lecteur par son mystère, puis, le livre lu, de connaître l’apaisement de la révélation. Ce n’est plus seulement une dame qui pose pour un peintre célèbre. Elle est Marthe, nous est devenue proche, comme sortie du tableau, une jeune femme un peu triste peinte par Gustav Klimt, elle est Marthe dont Camille de Peretti peint la vie tragique avec ses mots.

4 ème de couverture :
« Peint à Vienne en 1910, le tableau de Gustav Klimt Portrait d’une dame est acheté par un collectionneur anonyme en 1916, retouché par le maître un an plus tard, puis volé en 1997, avant de réapparaître en 2019 dans les jardins d’un musée d’art moderne en Italie.
Aucun expert en art, aucun conservateur de musée, aucun enquêteur de police ne sait qui était la jeune femme représentée sur le tableau, ni quels mystères entourent l’histoire mouvementée de son portrait. »

« La toile vibrait de beauté. Elle en avait le souffle coupé et se noyait dans l’œil bleu ciel piqueté de vert. Est-ce qu’elle était réellement le sosie de cette inconnue ? »

Mon avis : Les premiers chapitres sont magnifiques, présentant Isidore qu’on ne lâchera plus jusqu’à la fin. Isidore gagne de quoi vivre en cirant les souliers des banquiers de Wall Street à New-York. Il va passer le relais à Gabriel, dit Boba, afin de se libérer d’un travail peu compatible avec la conquête de la belle Lotte, d’un milieu bien supérieur au sien ! Il sait sourire, écouter et cela va lui servir par la suite !

« Il s’était acheté une veste de grosse laine, un bonnet et une écharpe à grosse rayures pour se donner des airs d’étudiant, car les pauvres font toujours plus pauvres en hiver. »

On va suivre Isidore jusqu’à la grande dépression de 1929, et aussi Michelle et son bébé à Houston au Texas ainsi que Marthe et la petite Pearl à Vienne. Puis le grand saut, chapitres savamment intercalés, vers les années 1970-1980… La suite va bien entendu permettre de nouer les fils tissés par l’autrice, rejoindre de belle manière le grand peintre viennois Gustave Klimt et son modèle, faire vivre aux personnages (aussi à son tableau Portrait d’une dame) bien des aventures.

C’est une fresque magistrale où se mêlent des secrets de familles, des succès éclatants, des amours absolus et d’autres contrariés, des disparitions, des enquêtes, la richesse insolente et la pauvreté absolue… Le début m’a attiré, la suite m’a fait découvrir des personnages attachants puis ce fut l’émotion d’une dernière partie parfaitement maîtrisée. Le style se fait plus lyrique, la musique des mots s’accorde avec le tableau.

« Dehors, Isidore sentait que la nuit était vivante. Mais les chuchotements des arbres, l’écho des fiacres et de sabots au loin, tous ces bruits finiraient par être peu à peu engloutis. »

Camille de Peretti termine son roman dans une inspiration, un souffle que je n’attendais pas. Le mensonge de la fiction devient le réel de l’émotion, une plongée dans la beauté, dans l’identification au dominé, au faible, celui qui a besoin de nous lecteurs. J’aime énormément quand le romanesque me touche au point de sentir mes yeux s’embuer et gêner agréablement ma lecture… Je me suis senti en empathie avec Isidore, personnage de roman quasi hugolien, charismatique d’un crime sans châtiment car crime d’amour absolu et, sans en dire trop, de révolte contre le terrible destin des gens humbles, particulièrement des femmes…

L’autrice a su se saisir d’un mystère courant sur plusieurs générations et en faire une œuvre romanesque, dans la lignée du roman-feuilleton tel que l’a si bien repris Pierre Lemaître, en exploitant au mieux un sujet en or.

La dernière phrase est belle dans l’hommage rendu au peintre « sans qui (selon la formule…) » : « On peut aujourd’hui aller admirer Portrait d’une dame à la Galleria d’Arte Moderna Ricci Oddi tous les jours, sauf le lundi, jour de fermeture. » Mon conseil si vous n’avez pas prévu de faire le voyage, procurez-vous L’inconnue du portrait de Camille de Peretti, on peut le lire à n’importe quelle heure avec le plus grand plaisir !

Camille de Peretti est née en 1980 à Paris. Passionnée de peinture et de littérature, depuis 2005, elle se consacre à l’écriture. Elle est l’autrice de neuf romans dont Thornytorinx, prix du Premier roman de Chambéry et Le Sang des Mirabelles.

Autres citations :

« Martha, Anna et Zita étaient au dégraissage. Elles jetaient les sacs de plume dans les cuves et tournaient l’eau beige rendue laiteuse par le détergeant. Des milliers de plumes de grue, grises, qui se collaient et s’entremêlaient les barbes. Peu à peu, le tourbillon de leurs tiges pointues et de leurs minuscules lames fendant la surface prenait un caractère hypnotique, alors il fallait inverser le mouvement, jusqu’à ce qu’enfin les fragiles poisseuses se détachent les unes des autres. C’était un travail répétitif, qui demandait beaucoup de force physique mais, à dix-sept ans, Martha était dure au mal. Elle n’était pas bavarde, moins que ses deux camarades, pourtant Anna et Zita avaient eu tôt fait de prendre la dernière arrivée sous leur protection. Peut-être leur inspirait-elle de la pitié ? Une douceur triste émanait du regard de la jeune femme, comme si son cœur était d’une pierre de silence. »

« Il avait eu le temps de prévoir plusieurs mensonges. Le plus important était que son récit colle à ce qu’il avait raconté et écrit à Lotte au fil des mois. La vérité et le mensonge sont comme l’eau et l’huile, on imagine pouvoir les mélanger, mais l’huile finit toujours par remonter à la surface. Un bon mensonge agirait comme le vinaigre blanc, il saurait changer le goût de l’eau sans en changer la couleur. »

Notes avis Bibliofeel mars 2024, Camille de Peretti, L’inconnue du portrait

19 commentaires sur “Camille de PERETTI, L’inconnue du portrait

        1. Ah , d’accord ! Je n’ai pas eu ce soucis qui est embêtant quand on bataille pour suivre le fil. C’est un peu la tendance actuelle et dans des proportions bien plus fortes. C’est alors une manière surplombante, sorte de jeu de piste pour suivre l’écrivain, savant organisateur et peut-être manipulateur… Merci de m’avoir laissé votre avis !

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    1. Oui, pas étonnant que ce roman ait recueilli tant de prix. Il aurait pu être bien placé pour le prix Orange 🍊 mais une grande partie du jury a estimé, je pense, qu’il était préférable de mettre en avant un roman moins consensuel, manière d’élargir la palette littéraire. Ce qui a été fait avec l’incroyable « Ami du prince » de Marianne Jaeglé 😄. Merci pour le retour !

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