KIYÉMIS. Et, refleurir

Éditions Philippe Rey, publié en février 2024,

384 pages

C’est un premier roman remarquable rendant hommage aux rêves d’une vie meilleure, hors des sentiers tracés par des sociétés conservatrices où la femme n’est pas en capacité de choisir sa vie. Le sujet a été souvent traité ces dernières années mais ici la forme et le style étonnent… J’ai été immédiatement captivé par le souffle puissant de la narration. L’histoire du personnage central, Andoun ou Anne-Marie (changer de prénom pour s’inventer une nouvelle vie…) est inspirée de celle de la grand-mère de Kiyémis. D’ailleurs le pseudonyme de l’autrice est la contraction des prénoms de sa mère et de sa grand-mère.

Bessoka, version courte par Manu Dibango, artiste plusieurs fois cité dans le livre.

« Bientôt Eboa Lotin, bientôt Petit Pays, bientôt Grace Decca, bientôt Manu Dibango.
La veille, Anne-Marie avait retrouvé les fleurs jaunes.
Le Jaune, partout, était revenu.
Après toutes ces épreuves, tous ces silences, elle les avait revues, ces boules lumineuses.
Le champ reprenait peu à peu des couleurs, comme à chaque printemps. »

Andoun naît à Nyokon au Cameroun, village à la vie rythmée par le travail de champs vert émeraude des cultures d’arachides. Son père, très aimant, la qualifie de fille spéciale. Elle a en effet une forte personnalité et n’entend pas rester dans la routine de sa famille. Elle n’abdique jamais alors que les obstacles sont nombreux : volonté d’étudier contrariée, grossesse imprévue, dépendance à un mari imposé… Chaque pas vers une nouvelle étape de sa vie la transforme, elle et ceux qui croisent sa route. De Nyokon à Douala, puis Paris où elle rejoint son frère Stéphane, Andoun affronte avec panache la résistance d’un environnement contraire à ses projets. Tiraillée entre son envie d’appartenance et ses désirs, elle tente de dépasser les préjugés. De 1954 à une période récente, on suit une femme libre au prise avec son envie d’émancipation.

Miondo

La cuisine est très présente ici, avec des mets typiquement camerounais. Il est question de salade de papaye et tapioca, de miondo (bâton de manioc) accompagnant le poisson braisé, de plantains frits, de délicieux ntoumba (gâteau de manioc frais fermenté, malaxé et mélangé à l’huile de palme rouge, cuit à la vapeur). Évoqué habituellement pour ses problèmes politiques apparaît ici un Cameroun méconnu, avec son environnement foisonnant, ses richesses, un véritable grenier à provision généreux avec des « forêts aux arbres d’un vert d’or », des champs de tomate, d’arachide…

« Douala était une ville agréable lorsqu’on avait de l’argent. La nourriture y débordait de tous côtés, les loisirs et les circuits ne désemplissaient pas. Mais Douala était une ville à plusieurs étages. Et il était facile de retomber aux étages inférieurs. »

Les hommes offrent leur protection afin de séduire des femmes en manque de droit propre. Elles peuvent être des proies faciles. Avantage d’être en uniforme comme Roger, une première expérience avec à la clé la naissance de la petite Freya. Ensuite Andoun est mariée avec le marchand de poisson, Isaire Koundéré, qu’elle rejette. Attirée par l’aventure et ses désirs, elle croise la route de Solè, l’homme de pouvoir aux promesses envoûtantes. Il y a aussi à Paris, Renaud, l’éternel étudiant et dernier recours pour Anne-Marie et Freya avant la rue quand son frère Stéphane lui a dérobé toutes ses économies.

Les personnages sont bien campés, complexes et divers, permettant au lecteur de voyager dans des thèmes universels mais avec une forme peu rencontrée jusqu’alors. Les femmes suivant leurs désirs d’indépendance doivent jouer de leur beauté, séduire pour survivre à défaut d’autre carte à jouer (Stéphane lorsqu’il l’accueille dans son petit logement en banlieue parisienne lui confisque son passeport). A Paris elle rencontre Johanne qui lui montre le chemin :

« – Chacun ses rêves, ma chère. Je n’ai pas tout quitté, laissé ma famille, laissé mon continent pour être possédée par qui que ce soit. Bien ! Je te laisse à tes affaires. Voyons-nous samedi, d’accord, Je t’emmènerai au restaurant, d’accord ? Tu as l’air d’en avoir bien besoin ?

Et dans un nuage de couleur et de vêtements griffés, elle était partie. 

Anne-Marie resta longtemps sans rien dire. Heureuses les femmes qui n’avaient pas grandi avec la peur de tomber. »

Langue fleur, langue paradis, le style capte la poésie de l’instant ; de courts paragraphes alternent avec des retours constants à la ligne pour des vers libres, puis des poèmes – alignés à gauche ou à droite, cherchant leur place ? – reprenant le récit sous une autre forme. Des ouvertures de guillemets jamais refermées, comme des paroles qui ne s’éteignent pas. De cette forme foisonnante émergent des fleurs rares de langage que le lecteur cueille et réunit comme il l’entend dans des bouquets multicolores et sensibles :

« Baignée par la lumière des pétales, elle avait l’impression de danser avec des milliers de soleil. »

« L’immobilité c’était l’antichambre de la mort. »

Kiyémis est née en région parisienne de parents originaires du Cameroun. Elle est un sacré numéro, une femme « spéciale », si je reprends l’expression utilisée par le père d’Andoun concernant celle qui est pour une partie le double de la grand-mère de Kiyémis dans le récit. En 2017, elle est inscrite en master d’histoire et de sciences politiques à l’Université Paris-VIII. En 2018, elle publie son premier recueil de poèmes, « À nos humanités révoltées« . Blogueuse féminisme, engagée dans l’antiracisme et de la lutte contre la grossophobie, « afropéenne qui fait du bruit« , elle est une femme très talentueuse, ce premier roman particulièrement attachant le montre amplement qui parvient à donner une si belle floraison à notre littérature. Et, refleurir est un superbe message incitant à continuer de lutter contre la fatalité que seraient les dominations.

J’ai lu ce roman dans le cadre de ma participation au jury Orange du livre 2024. C’est un des livres qui m’ont fortement impressionné. Il pourrait bien être dans la sélection des 5 finalistes le 13 mai prochain ? Réponse le 14 mai…

Notes avis Bibliofeel, mai 2024. Et, refleurir, Kiyémis

8 commentaires sur “KIYÉMIS. Et, refleurir

  1. Ton enthousiasme et ta belle chronique donnent envie de se plonger dans ce premier roman original et prometteur. Je ne lis que bien trop peu de littérature africaine ou sur l’Afrique et je note volontiers celui-ci que je lirais bien volontiers dans le cadre du mois africain en octobre.

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